La hausse des prix est désormais une réalité au quotidien pour les Maliens. Aucun produit ni aucun secteur n’échappe au phénomène. Transport, carburant, denrées de consommation courante, si les produits de première nécessité ne deviennent pas rares, leur prix les rendent inaccessibles au pouvoir d’achat du consommateur malien, déjà très éprouvé. Entre la conjoncture internationale et les insuffisances des réponses nationales, pour tous les acteurs il faut des solutions urgentes et des mesures à long terme.
« Les produits locaux connaissent une augmentation vertigineuse, mais nous n’y sommes pour rien », justifie Alassane Kodjo, commerçant au marché Kouloubléni de Kalaban Coura, en Commune V du District de Bamako.
« Avant, nous vendions le fonio entre 400 et 450 francs CFA le kilogramme, mais aujourd’hui il est cédé entre 1 000 et 1 100 francs. Le sac de riz local (Gambiaka), était cédé entre 17 000 et 17 500 francs, mais maintenant c’est entre 20 000 et 21 000 francs CFA. L’année dernière à la même période, les fleurs d’hibiscus (Dableni) coûtaient 500 francs CFA le kilogramme, cette année, elles sont cédées à 2 350 francs », détaille le commerçant.
Le sac de maïs, qui revenait entre 12 000 et 15 000 francs, coûte désormais 28 000 francs, plus un coût de transport de 1 500 francs. Le kilogramme de haricot niébé, entre 275 et 300 francs CFA auparavant, revient maintenant à 600 voire 650 francs par endroit. Le bidon de 20 litres d’huile vaut désormais 25 000 francs CFA contre 14 000 auparavant, ce qui a fait passer le litre de 800 à presque 1 300 francs. Quant au sac de farine, de 16 000 francs CFA il est passé à 25 000 francs.
« Ces difficultés viennent de loin », estime M. Kodjo. L’hivernage précédent n’a pas comblé toutes les attentes, avec par endroits des paysans empêchés de cultiver, à cause des attaques ou du manque d’engrais pour certains, ou encore de récoltes détruites. S’y ajoutent les conséquences de la pandémie de Covid-19 et la crise au plan mondial.
Conjugaison de facteurs
« C’est la conjugaison d’un ensemble de facteurs, nationaux et internationaux. Notamment la crise de la Covid-19, qui a affecté les mouvements, la circulation des marchandises, les transports, ce qui a eu pour incidence le renchérissement des coûts. L’augmentation des coûts de production, le fret, les assurances ont aussi impacté les prix », explique le Professeur Abdoul Karim Diamouténé, enseignant-chercheur à la Faculté des sciences économiques et de gestion (FSEG).
Pour ne rien arranger, le déclenchement de la crise russo-ukrainienne en février, avec un pays qui « constitue un point central dans l’acheminement des marchandises », a amplifié la crise. Les protagonistes de cette guerre étant aussi les plus grands producteurs mondiaux de blé, de maïs et d’engrais, les conséquences sur le fret et le ravitaillement ont aussi pu «entraîner des ruptures ponctuelles ».
Le Mali dépendant principalement des importations pour combler le gap de la production nationale, « il est normal d’avoir des tensions » concernant les prix, « si les mesures structurelles pour permettre à la production nationale de suffire ne suivent pas ». Le pays subi aussi depuis le 9 janvier dernier les affres des sanctions économiques et financières imposées par la CEDEAO et l’UEMOA sur le Mali. Même si les denrées de première nécessité sont exonérées de ces sanctions ainsi que les produits pétroliers et pharmaceutiques, le poids des mesures punitives se fait sentir dans plusieurs autres domaines, notamment la construction. La tonne de ciment cédée à 90 000 – 95 000 FCFA avant les sanctions coute désormais par endroit 150 000 FCFA. Les matériaux de construction comme les barres de fer ont également enregistré une hausse. De ce fait, des chantiers sont à l’arrêt en attendant une fumée blanche du côté d’Accra. Mais ces sanctions ont aussi des conséquences sur nos voisins. Au Sénégal, les prix locaux du maïs, du mil et du sorgho ont progressé de 10% le mois dernier a indiqué le dernier Bulletin d’information sur les marchés agricoles du Commissariat à la sécurité alimentaire (CSA).
Le prix moyen par kilogramme de mil a atteint 338 francs CFA, celui du maïs 350 francs CFA, moins cher qu’au Mali où il est cédé désormais à 450 francs CFA le kilo. Paradoxe, car certains de ses produits sont exportés depuis le Mali vers le Sénégal. D’ailleurs, le CSA sénégalais explique la hausse par les interdictions officielles des exportations de céréales (mil, sorgho, maïs) par le Mali et le Burkina Faso et la suspension par la CEDEAO du Mali par où transitaient les produits ivoiriens et le bétail de la Mauritanie. Cela dit, en dehors de ces céréales dont le prix est impacté, d’autres denrées ne sont pas plus chères au Mali qu’ailleurs dans la sous-région. Le dimanche 12 juin, le Premier ministre Choguel Kokalla Maïga affirmait d’ailleurs que le gouvernement renonçait à des centaines de milliards de francs CFA pour maîtriser les prix des produits de première nécessité. « Malgré l’embargo, nous ne sommes pas les moins lotis (…). Toute chose égale par ailleurs, tous les produits de première nécessité, les prix sont les plus bas au Mali que dans toute la sous-région » assurait-il. Des prix vérifiés par le média Ouestaf en mai dernier suite à des propos similaires du Premier ministre. En Côte d’Ivoire par exemple, le kilo de sucre est à 700 francs CFA tandis qu’il est de 600 francs CFA au Mali.
Des commerçants incontrôlés ?
Mais un autre problème demeure, celui du contrôle sur les commerçants pour tenter de maitriser les prix. Harber Maîga, président de la Coordination des commerçants détaillants du Mali se dit lui-même surpris par la spéculation sur le sucre local dont le prix égal celui de l’importé. En novembre 2021 pourtant, le gouvernement avait plafonné les prix de certains produits dont le sucre qui devait être vendu à 500 francs CFA. Ce plafonnement n’a jamais été respecté et aujourd’hui une baisse des prix n’est pas à l’ordre de jour. «Sur le terrain, compte tenu de la conjoncture nationale et internationale, il serait extraordinaire de voir les prix baisser », déclare sans ambages M.Maïga, sans occulter la responsabilité de certains commerçants qui n’hésitent pas à faire de la surenchère. Leur demander, dans le contexte actuel, « un respect des prix » est un leurre, selon le représentant des commerçants détaillants. Ce qui est difficile à comprendre pour certains consommateurs. « A chaque sortie au marché ou presque; nous constatons une hausse, c’est pénible et très difficile à tenir » se lamente Salimata Touré, une ménagère.
Manque de planification
Si l’inflation actuelle est un phénomène mondial, ses répercussions sur notre économie sont d’autant plus importantes que des facteurs supplémentaires l’aggravent dans notre contexte. D’autant plus que, malgré la récurrence du phénomène, des transformations structurelles pour faire face aux fluctuations des prix sur le plan mondial ne sont pas entreprises. Même s’ils sont de bonne foi, les responsables n’ont pas réussi à apporter les solutions adaptées. « On tourne en rond », déplore le Pr Diamouténé, avec toujours les mêmes problèmes. Le gouvernement subventionne, les consommateurs se plaignent, les commerçants estiment que le gouvernement n’en fait pas assez. Les autorités ont notamment décidé de stopper la subvention du gaz butane, faisant par là-même s’envoler les prix. La bouteille de gaz de 6 kg est passée de 2 920 à 6 360 francs CFA. Ce qui fait craindre à certains une pression sur l’environnement et la coupe de bois, notamment. Les autorités n’ont pas donné d’explication officielle quant à l’arrêt de cette subvention, mais selon certaines informations elle serait due aux nombreux arriérés de l’État vis-à-vis des sociétés de distribution de gaz.
D’autre part, en moins de trois mois, les prix à la pompe pour l’essence et le gasoil ont augmenté deux fois, d’abord en mars, puis début juin. Des hausses que les autorités expliquent par la conjoncture internationale et notamment la guerre en Ukraine. Le gouvernement assure avoir consenti à des sacrifices, sinon « les prix auraient atteint de 1 024 à 1 039 francs CFA ». Toutefois, l’effet domino de cette nouvelle hausse est déjà redouté. Par exemple pour l’électricité, dont certains experts estiment que le gasoil et le fuel sont nécessaires pour au moins 40% de la production énergétique du pays. Des associations de défense des consommateurs déplorent que l’État n’ait pas pris des mesures à temps, malgré que son attention ait été plusieurs fois attirée. « Malheureusement en vain», regrette M. Abdoul Wahab Diakité, Vice-président de l’Association des consommateurs du Mali (ASCOMA). Le défi est donc d’utiliser au mieux les opportunités nationales, pour diminuer la dépendance aux importations afin de moins ressentir les chocs. Après «savoir joué sur tous les leviers », il faut maintenant que les autorités accompagnent « les populations qui croient en elles en diminuant les budgets de toutes les institutions et en réduisant au strict minimum les avantages», pense-t-il.
L’État doit chercher à faire lever l’embargo et aller, au-delà des subventions, vers une assistance directe, en accompagnant les familles démunies déjà recensées au moment de la Covid-19, suggère M. Mamedy Dramé, acteur de la société civile. Sans entraver la liberté du commerce, « l’État doit organiser le secteur afin de pouvoir le suivre», estime le Pr Diamouténé. Parce qu’il ne peut pas suivre un nombre inestimable de boutiquiers, il faut opter pour un système de grands magasins. S’il y en avait «au moins 5 à Bamako, les prix ne varieraient pas de cette façon». Et si l’on devait octroyer des subventions, ce serait à ces derniers, dans la transparence.
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