Jean-Louis Trintignant est mort, vendredi 17 juin, à l’âge de 91 ans. Artiste discret et insondable, l’acteur aux 160 rôles a marqué 60 ans du cinéma français et européen grâce à un jeu tout en retenu porté par une voix singulière.
Jean-Louis Trintignant en fauteuil-roulant se laissant submerger par les flots d’une mer agitée… La dernière scène que l’acteur français a léguée au cinéma n’est pas des plus enchantées. C’est elle qui clôt « Happy End », film bien mal nommé de Michael Haneke. Jean-Louis Trintignant y interprétait un patriarche acariâtre et affaibli. Il avait alors 86 ans et se savait atteint d’un cancer. En dépit d’un état de santé fragile, le comédien impressionnait. Par son regard tout d’abord, impitoyable. Et sa voix, surtout. Cette voix magnifique que le temps et la maladie n’étaient pas parvenus à altérer. Elle s’est finalement éteinte vendredi 17 juin, après avoir traversé, immuable, plus de 60 ans de l’histoire du cinéma français.
La voix de Jean-Louis Trintignant a empreint le septième art. On l’a entendue dans les plus grands films, chez les plus grands réalisateurs : François Truffaut, Éric Rohmer, Claude Chabrol, Claude Lelouch, Jacques Audiard parmi les Français ; Ettore Scola, Costa-Gavras, Bernardo Bertolucci, Krzysztof Kieślowski du côté des metteurs en scènes européens. Au théâtre aussi, elle a porté les plus grands textes, ceux de Shakespeare, Jean Giraudoux, Tennessee Williams, Guillaume Apollinaire, Louis Aragon… Pour de nombreux enfants, aujourd’hui quadragénaires, cette voix fut aussi celle du narrateur du « Petit Prince », ce célèbre conte d’Antoine de Saint-Exupéry qui fit l’objet d’un enregistrement vinyle au début des années 1970. Plus déconcertant, elle fut également longtemps associée à la mine patibulaire de Jack Nicholson que l’acteur doubla pour la version française du terrifiant « Shining ». À film de réputation internationale, doubleur de réputation internationale.
Car au même titre qu’Yves Montand, Alain Delon, Jean-Paul Belmondo ou encore Gérard Depardieu, à côté desquels – et non pas à l’ombre desquels – il a façonné une impressionnante filmographie, Jean-Louis Trintignant jouissait d’une notoriété dépassant les frontières hexagonales. Le plus souvent à son corps défendant. Artiste discret, mystérieux, insondable, le comédien n’a jamais vraiment couru les plateaux de télévision, les tapis rouges, les unes de magazine… « J’étais extrêmement timide. Et puis la notoriété, ça ne m’a jamais intéressé. Vous savez, c’est amusant la première fois, mais après plus du tout. Pourquoi on nous donne des récompenses ? Nous sommes déjà bien payés, on ferait mieux de donner des Oscars aux gens qui font des métiers pas marrants », affirmait-il en juillet dernier à l’occasion d’une interview accordée à Nice-Matin où il annonçait mettre fin à sa carrière.
Jean-Louis Trintignant est mort
Des distinctions, Jean-Louis Trintignant en a pourtant reçues. César, Ours d’Argent au Festival de Berlin… Mais c’est à Cannes que son destin d’acteur fut le plus lié. De la romance « Un homme et une femme » au drame « Amour », le célèbre festival a ponctué sa vie. De Cannes 1966 à Cannes 2012, retour sur cinq moments-clés de la carrière du comédien aux 160 rôles.
Et Dieu… créa un homme et une femme
Lorsqu’en 1966, il débarque à Cannes où « Une homme et une femme » est en compétition, Jean-Louis Trintignant n’est pas vraiment un inconnu. Dix ans auparavant, le grand public avait découvert son visage de jeune premier dans « Et Dieu… créa la femme », le film scandale de Roger Vadim qui propulsa Brigitte Bardot au sommet de la célébrité. Hors écran, les deux comédiens eurent même une courte idylle qui fit couler beaucoup d’encre dans la presse à potins. Appelé par la suite au côté de l’armée française, alors engagée en Algérie, Jean-Louis Trintignant avait temporairement disparu des plateaux de cinéma.
Sa présence à l’affiche du film de Claude Lelouch est donc une sorte de « come-back » international. Un « come-back » gagnant puisque « Un homme et une femme » reçoit la Palme d’or, puis l’Oscar du meilleur film étranger. À 36 ans, Jean-Louis Trintignant s’impose alors comme l’un des nouveaux visages du jeune cinéma français.
Sa nuit chez Maud
Trois ans après le succès de « Un homme et une femme », Jean-Louis Trintignant s’illustre dans deux grands films qui passeront à la postérité. Dans « Z » de Costa-Gavras, il joue un juge d’instruction troublé d’une dictature militaire troublante (ce qui lui vaut, en passant, le prix d’interprétation masculine à Cannes). Dans un tout autre genre, Éric Rohmer lui offre le rôle d’un amoureux aussi inconstant que moraliste dans l’indémodable marivaudage intello « Ma nuit chez Maud ». Taiseux dans le premier, bavard dans le deuxième, Jean-Louis Trintignant brille dans tous les registres.
De fait, entre 1960 et 1980, l’acteur tourne beaucoup. Pas une année ne se passe sans que le cinéma français lui offre de grands rôles. Le comédien est dirigé par tout ce que le septième art compte de réalisateurs incontournables. Il est partout : fresque historique de René Clément (« Paris brûle-t-il ? »), œuvres expérimentales d’Alain Robbe-Grillet (« Trans-Europ Express »), chronique bourgeoise de Claude Chabrol (« Les Biches »), film politique d’Yves Boisset (« L’Attentat »), polars de Jacques Deray (« Un homme est mort », « Flic Story »), comédie romantique de Claude Berri (« Je vous aime »), farce vaudevillesque de François Truffaut (« Vivement dimanche »), drames amoureux de Nadine Trintignant, son épouse (« Mon amour, mon amour »). Ses camarades de jeu s’appellent Alain Delon, Yves Montand, Gérard Depardieu, Michel Piccoli, Philippe Noiret, Romy Schneider, Catherine Deneuve, Fanny Ardant, Nathalie Baye…
Gian Luigi
En cet âge d’or où le cinéma dresse encore des passerelles au-dessus des Alpes, Jean-Louis Trintignant travaille beaucoup en Italie. En 1962 déjà, il tournait pour Dino Risi qui, avec « Le Fanfaron », chef d’œuvre de la comédie italienne, lui permet de jouer au côté du grand Vittorio Gassman. Il s’essaie même au western spaghetti avec « Le Grand Silence » de Sergio Corbucci.
Mais c’est Bernardo Bertolucci qui, en 1970, lui offre son rôle le plus marquant dans la langue de Dante. Dans « Le Conformiste », il joue un professeur de philosophie se fondant dans le moule fasciste de la dictature mussolinienne. Avec cette œuvre à cheval entre la satire politique et le drame psychologique, Jean-Louis Trintignant inscrit son nom au panthéon du cinéma européen.
Poèmes à Marie
Parallèlement, il mène de front une carrière sur les planches. Il y joue des textes classiques (« Hamlet », « La guerre de Troie n’aura pas lieu ») comme des pièces contemporaines, tel « Art » de Yasmine Reza, l’un des plus grands succès public des années 1990, décennie durant laquelle il délaisse le cinéma pour la scène.
C’est au théâtre, d’ailleurs, qu’il donnera le plus souvent la réplique à sa fille Marie. En 1999, père et fille créent la surprise – et le trouble – en interprétant les « Poèmes à Lou », textes à haute teneur érotique de Guillaume Apollinaire. En 2002, il jouera une dernière avec elle. Au cinéma cette fois-ci, avec « Janis et John » de Samuel Benchetrit. L’année suivante, Marie Trintignant meurt sous les coups de son compagnon, le chanteur de Noir Désir Bertrand Cantat. Jean-Louis Trintignant, dévasté, abandonne le septième art. Mais, en hommage à sa fille défunte, remonte sur scène pour interpréter, seul, les vers d’Apollinaire.
Donner l’exemple
Après huit années d’absence sur les grands écrans, il se laisse convaincre par le réalisateur autrichien Michael Haneke de revenir au cinéma. Ce sera pour « Amour », drame dans lequel il partage l’affiche avec une actrice aussi culte que lui : Emmanuelle Riva. Cette histoire d’un couple d’octogénaires confronté au naufrage du vieillissement bouleverse le festival de Cannes lors de sa présentation en compétition.
De l’aveu même de Nanni Moretti, le président du jury d’alors, le film remporte la Palme d’or 2012 grâce, en partie, à la prestation du duo. Lors de la remise du prix, Jean-Louis Trintignant déclame en guise de discours un vers de Jacques Prévert qui restera comme l’une de ses dernières répliques les plus marquantes : « Et si on essayait d’être heureux, ne serait-ce que pour donner l’exemple ? »
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