Le président de la Fédération de Russie avait manifesté sa volonté de reprendre les exportations du blé vers le reste du monde. Mais face aux sanctions contre son pays, il faudra régler certains détails liés aux conditions d’exportation et au paiement des produits. En attendant, l’Ukraine a démarré ses exportations via ses ports. L’intervention du président de l’Union africaine Macky Sall, commence à produire des effets positifs.
AU SUJET DE L’EXPORTATION DU BLÉ DU TERRITOIRE DE L’UKRAINE
Depuis le début de l’opération militaire spéciale, l’Occident tente d’accélérer l’exportation de céréales depuis le territoire de l’Ukraine. Le 10 mai 2022, le président américain J.Biden a exprimé son inquiétude à ce sujet, déclarant que le conflit avait fait grimper les prix alimentaires mondiaux à des niveaux record. Il a expliqué cela par le fait que la Russie et l’Ukraine sont les plus grands exportateurs mondiaux de céréales, notamment de maïs. Kiev, selon les Etats-Unis, dispose de 20 millions de tonnes de céréales dans ses installations de stockage. Selon le chef de la Maison Blanche, les États-Unis et leurs alliés étudient les moyens de ramener cette céréale sur le marché mondial et visent ainsi à faire baisser les prix.
Les autorités de l’Ukraine ont déjà commencé à transférer les exportations des céréales des ports de la mer Noire, qui représentaient jusqu’à 90% de ses exportations, vers d’autres voies de transit. Tout d’abord, le transit par la Roumanie a été organisé : des ports ukrainiens du Danube (Reni, Izmail, Ust-Dunaysk), le long du Danube, jusqu’au port roumain de Constanta, où les céréales sont rechargées sur des navires pour être ensuite livrées à des pays tiers. Il est également prévu d’organiser des exportations via le port bulgare de Varna.
En avril 2022, le traitement des marchandises dans les ports ukrainiens du Danube a quadruplé, pour atteindre 850 000 tonnes. Le vice-ministre ukrainien des infrastructures, Y.Vaskov, a fait savoir que ce chiffre peut être porté à plus d’un million de tonnes par mois. Cependant, comme a noté le fonctionnaire ukrainien, en général, les ports fluviaux ne peuvent pas laisser passer plus de 10% du chiffre d’affaires des ports maritimes (15 millions de tonnes par an). Il n’est donc pas surprenant qu’à Kiev, où les paroles de J. Biden sont considérées comme un ordre, on cherche frénétiquement de nouvelles voies d’exportation pour les céréales du territoire ukrainien.
C’était le thème principal des discussions du 16 mai 2022 à Varsovie, auxquelles ont participé le ministre polonais de l’agriculture M.Kowalczyk, le ministre ukrainien de la politique agricole M.Solskyi, le secrétaire américain à l’agriculture T. Vilsack et le commissaire européen à l’agriculture, J.Wojciechowski. La réunion aurait porté sur l’amélioration du transport et du commerce des céréales et autres cultures en provenance d’Ukraine dans les conditions de l’opération militaire spéciale russe. Un accord, visant à simplifier le contrôle vétérinaire des cargaisons de céréales ukrainiennes, a été le principal résultat de cet événement, puisqu’il sera ainsi plus facile et plus rapide de franchir la frontière, et donc d’exporter des céréales en Pologne.
L’accord prévoit également une augmentation du nombre d’inspecteurs vétérinaires aux postes d’inspection frontaliers et l’organisation de leur travail en mode «24/7», aux postes les plus chargés.
M.Kowalczyk a annoncé la création d’une société de logistique commune ukraino-polonaise, qui s’occuperait, entre autres, de l’exportation des céréales ukrainiennes et de leur transport vers les consommateurs. Il a en outre rappelé que les autres voies d’exportation passent par la Pologne et ses ports maritimes.
Le ministre ukrainien de l’agriculture à son tour a déclaré que le pays avait avant tout besoin de l’aide de l’Occident en matière d’exportation de céréales. Il a décrit la Pologne comme le partenaire-clé de Kiev à cet égard et a remercié les États-Unis et l’Union européenne pour leur soutien. Selon lui, le document signé avec l’interlocuteur polonais, «portera ses fruits dans un avenir proche».
Il semble que Varsovie et Kiev pourraient résoudre la question en tête-à-tête. Cependant, l’implication des États-Unis et de l’Union européenne dans les négociations démontre leur intérêt.
T.Vilsack a exposé la position de la partie américaine dans une interview accordée à un média polonais. Selon lui, la tâche de Washington est de préserver l’approvisionnement en céréales ukrainiennes des pays qui en ont cruellement besoin, notamment au Moyen-Orient et en Afrique du Nord.
Apparemment, la déclaration du secrétaire américain à l’agriculture laisse entendre que Washington a lui-même l’intention d’utiliser la problématique du blé ukrainien, pour recevoir plus de soutien de sa politique étrangère. Ce n’est pas un hasard si le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord sont mentionnés dans ce contexte. Selon les experts, il n’y a «aucune trace d’investissement américain dans l’ordre international», tandis que le soutien international aux sanctions anti-russes est pratiquement inexistant en dehors de l’Europe et de l’Asie du Nord-Est, et «cela devient de plus en plus évident au Moyen-Orient». Les États de la région ne sont pas disposés à se ranger du côté de l’un des camps, dans une compétition de superpuissances, en revendiquant l’importance des relations avec la Russie.
L’Union européenne suit également la ligne de Washington, et en particulier l’Allemagne qui, comme l’a noté le Ministre russe des affaires étrangères Sergei Lavrov, «i[a perdu ses derniers signes d’indépendance après l’arrivée au pouvoir du gouvernement actuel». Les analystes politiques estiment que Berlin travaille activement à la création d’un «pont céréalier» pour exporter des produits agricoles de l’Ukraine.
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Dans le même temps, la Commission européenne a promis de créer des «couloirs de solidarité» pour les exportations de céréales. Selon le commissaire européen à l’agriculture, J.Wojciechowski, la Commission européenne a adopté une déclaration spéciale, concernant l’aide urgente à l’Ukraine dans ce domaine. Il s’agit de la mise à disposition par les États-membres de l’UE, des équipements de transbordement nécessaires, des conteneurs pour le transport fluvial, un soutien dans la logistique, la facilitation du dédouanement des marchandises aux frontières de l’UE et de la coordination par la Commission européenne de la création de corridors de transport appropriés. Bruxelles espère que les mesures susmentionnées permettront d’exporter plus de cinq millions de tonnes de céréales par mois.
Ainsi, Kiev, Varsovie et Bruxelles espèrent atteindre l’objectif fixé par M. Biden, c’est-à-dire d’exporter 20 millions de tonnes de céréales depuis l’Ukraine en quatre mois, vers le début de l’automne. Et le fait que M. Kowalczyk prévoit une augmentation des prix des denrées alimentaires de 25 à 30% et que les perspectives de récolte de céréales en Ukraine en 2022 ne sont pas claires, apparemment, n’intéresse personne.
Quels sont les objectifs poursuivis par la Pologne? En dehors de la volonté d’être utile aux Américains, il y a des signes que Varsovie essaye de «jouer son propre jeu» dans le sujet du blé ukrainien. Ce qui semblait impensable auparavant (la mise en œuvre du projet «Rzeczpospolita 2.0»), commence maintenant à capter les esprits. Les analystes admettent à cet égard, l’idée, exprimée dès le début de l’opération spéciale, de fusionner la Pologne et l’Ukraine en un «organisme unique».
Tout en faisant une remarque sur le fait que cela ne plairait pas aux citoyens de ces pays aujourd’hui, les experts estiment que «cela est beaucoup plus rationnel, décent et efficace pour assurer la sécurité et la prospérité». Dans un tel contexte, la Pologne pourrait revendiquer l’Ukraine occidentale. Toutefois, cette partie de l’Ukraine, à l’exception de la région de Ternopil, n’est pas parmi les principaux producteurs de céréales ukrainiens. L’exportation urgente du blé de l’Ukraine est donc intéressante pour Varsovie, entre autres parce qu’elle lui permettra de concentrer une partie des céréales entre ses mains, pour résoudre le problème de la sécurité alimentaire des partenaires potentiels de «Rzeczpospolita 2.0». La menace d’une éventuelle famine pourrait rendre les élites et la société civile en Ukraine Occidentale, plus favorables à l’idée d’une telle union. La conséquence majeure est que cela pourrait conduire finalement à la destruction de l’État ukrainien en tant que tel.
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