Qu’est-ce que le droit à l’avortement aux Etats-Unis ?

Dans une volte-face historique, la très conservatrice Cour suprême des Etats-Unis a enterré vendredi l’arrêt Roe vs Wade qui, depuis près d’un demi-siècle, garantissait le droit des Américaines à avorter mais n’avait jamais été accepté par la droite religieuse. Désormais les États fédérés ont toute la liberté d’interdire ou non l’avortement.

C’est une décision historique qui remet en cause le droit à l’avortement pour les Américaines fondé sur l’arrêt Roe contre Wade de 1973. La Cour Suprême des Etats-Unis vient d’enterrer, vendredi 24 juin, cet arrêt emblématique.

Cette décision ne rend pas les interruptions de grossesse illégales, mais renvoie les Etats-Unis à la situation en vigueur avant « Roe v. Wade », quand chaque Etat était libre de les autoriser ou non.

Début mai, le média americain Politico avait révélé le projet d’annuler le droit à l’avortement sur la base d’un projet de loi de la Cour Suprême d’une centaine de pages sur l’interruption volontaire de grossesse (IVG) qui avait fuité. Cette révélation avait provoqué une avalanche de réactions surtout du coté des organisations de défense du droit à l’avortement.

Roe vs. Wade, parcours historique
En 1973, la Cour Suprême a franchi une étape historique avec la publication de l’arrêt Roe vs Wade consacrant le droit à l’avortement. Sept juges contre deux ont voté en faveur de ce document juridique. Ils étaient tous des hommes. Par cette décision, ces juges ont soutenu le droit des femmes de pouvoir choisir d’avoir ou non des enfants, en d’autres termes, de recourir à l’interruption volontaire de grossesse (IVG) si elles le désirent.

L’arrêt Roe vs Wade remonte à une affaire qui était devant la Cour Suprême des Etats-Unis au cours des années 1970. C’est une femme texane, Jane Roe, de son vrai nom Norma McCorvey, âgée de 21 ans, qui attendait son troisième enfant. Elle a voulu recourir à l’avortement car elle avait déjà abandonné son deuxième enfant. Mais, cette jeune mère s’est heurtée de plein fouet à la loi texane interdisant toute interruption volontaire de grossesse. Toutes les cliniques au Texas qui la pratiquaient illégallement ont été fermées. En cette meme année, l’IVG était aussi interdite dans tous les autres Etats américains. Face à ce blocage, Jane Roe a choisi de recourir à la justice afin d’obtenir une autorisation légale pour son IVG. Elle a déposé une plainte contre les lois anti-avortement.

Deux avocates américaines, Sarah Weddington et Linda Coffee, ont représenté Jane Roe devant un tribunal du Texas. Elles voulaient contester des lois texanes sur l’IVG, qui, selon elles, étaient contradictoires à la Constitution américaine. Henry Wade, l’avocat du Texas, assurait la défense.

Jane Roe perd son procès devant la Cour de district, mais, Weddington fait appel et la Cour Suprême, la plus haute juridiction du pays, se saisit alors du dossier. Cette affaire a fait l’objet de longs débats sur l’IVG et sa légalisation. Après trois ans de bataille juridique acharnée, la Cour suprême a donné raison à « Jane Roe » contre l’avocat texan de la défense, Henry Wade. Et la décision Roe vs Wade a été votée en 1972 et publié le 22 janvier 1973.

A travers cet arrêt de justice, la Cour suprême a reconnu que le 14e amendement de la Constitution américaine garantissait un droit des femmes à avorter et que les Etats ne pouvait pas les en priver. En 1992, la Cour a précisé que ce droit était valable tant que le fœtus n’est pas « viable », soit avant 22 à 24 semaines de grossesse.

Des Etats américains contre Roe vs. Wade
Depuis ce pas historique dans l’histoire de l’avortement aux Etats-Unis, l’IVG a toujours continué de susciter des débats entre les pro et anti. Des Etats conservateurs américains minimisent l’arrêt Roe vs Wade et sont très restrictifs en matière d’IVG.

La dernière en date est la nouvelle loi texane du 1er septembre 2021 interdisant l’IVG quatre semaines après la fécondation, même en cas d’inceste ou de viol. Une loi fortement critiquée et dénoncée par plusieurs organisations de défense du droit des femmes à avorter. Ces dernières avaient saisi en urgence la Cour suprême pour lui demander de bloquer l’entrée en vigueur du texte, mais la Haute Cour de justice américaine s’est gardée d’intervenir.

En 2022, pas moins de 31 Etats sur 50 ont introduit des propositions de loi anti-avortement, représentant pas moins de 529 textes, selon l’institut pro-choix Guttmacher.

Un Etat peut-il abroger une décision fédérale ?
Les lois contre l’IVG publiées par des Etats sont qualifiées par les pro-avortement « d’anti-constitutionnelles ». Leur argument : elles sont en dessous des délais prévus par l’arrêt Roe vs Wade, autorisant l’avortement avant 22 à 24 semaines de grossesse.

« Il n’existe aucune loi fédérale sur l’avortement aux Etats-Unis. Et, cette fuite vient questionner sur la viabilité de cette jurisprudence et aussi sur la légalisation ou pas des lois anti-avortements aux Etats-Unis », selon le professeur et historien américain Simon Grivet.

« Si les révélations du média Politico se confirment, la Cour Suprême des Etats-Unis veut clairement dire qu’il n’est pas normal que sa jurisprudence Roe vs Wade s’oppose aux lois ou décisions des Etats américains en ce qui concerne l’avortement », poursuit Simon Grivet.

A cet égard, mardi 3 mai, au lendemain de la fuite de l’avant-projet, la Cour suprême des Etats-Unis a reconnu l’authenticité du document parvenu au site d’information américain Politico. Une enquête est déja ordonnée selon le chef de la Cour, le juge John Roberts.

Cependant, cette haute juridiction précise que le dit document ne représente pas une décision finale.

Ce projet de loi devait encore faire l’objet de négociations jusqu’à sa publication avant le 30 juin 2022. La peur que cette loi rentre en vigueur hante déja des femmes américaines et des défenseurs du droit à l’avortement, car, comme le souligne Simon Grivet, cela signifie « plus de droit national à l’avortement » aux Etats-Unis.

Cette crainte d’un retour en arrière est devenue réalité, 50 ans après.

tv5

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