Dix ans après sa découverte, le boson de Higgs pose encore bien des énigmes

Le 4 juillet 2012, l’une des découvertes du siècle en physique, celle du boson de Higgs, était annoncée par les membres du Cern. Une décennie plus tard, cette particule qui donne sa masse à toutes les autres est pourtant loin d’avoir livré tous ses secrets.

CERN
« Je crois qu’on le tient. Vous êtes d’accord ? », plaisantait le physicien allemand Rolf-Dieter Heuer, à l’époque directeur général du Cern, le 4 juillet 2012, dans l’auditorium plein à craquer du vaste complexe implanté près de Genève (Suisse). Rolf-Dieter Heuer parlait bien sûr du boson de Higgs, chaînon manquant de la physique, dite aussi la « particule de Dieu », au grand dam de nombreux chercheurs. Dix ans que la particule qui donne sa masse à la matière qui nous entoure, manifestation visible du « champ de Higgs », a été débusquée dans le Grand collisionneur de hadrons (LHC) par les collaborations CMS et ATLAS. Dix ans ans qu’elle est observée, disséquée, triturée, pour en apprendre le plus possible sur la façon dont elle relie notre monde actuel aux tout premiers instants, bien nébuleux, de l’Univers.

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Aujourd’hui, nous connaissons du boson de Brout-Englert-Higgs (BEH) – son nom complet inspiré de ceux qui ont supposé dès 1964 son existence – sa masse exacte, la façon dont il est produit et ses modes de désintégration les plus fréquents. Le chapitre Higgs est-il donc clos ? Loin de là. « Il reste encore de nombreuses choses à découvrir sur lui », assure à Sciences et Avenir Yves Sirois, physicien au Laboratoire Leprince-Ringuet (CNRS/Institut polytechnique de Paris) qui participa à la découverte du boson en tant que membre de la collaboration CMS. « Même si nous avons énormément progressé en dix ans – bien plus qu’on l’avait imaginé -, nombreuses sont ses propriétés qui nous sont encore inconnues. Les découvrir devrait pouvoir nous aider à interpréter des comportements inattendus chez d’autres particules et à compléter bien d’autres puzzles. » Cela tombe bien : le LHC redémarre, après trois ans d’arrêt pour améliorations techniques. Prévue pour durer quatre ans, cette troisième période de collisions (Run 3) au cours de laquelle des protons seront projetés les uns contre les autres à une vitesse proche de celle de la lumière, n’épargnera certainement pas le Higgs.

La porte-parole de l’expérience ATLAS de l’époque, Fabiola Gianotti, aujourd’hui directrice générale du Cern, et le porte-parole du Cern Joe Incandela, regardant l’écran annonçant la découverte certaine du boson de Higgs dans l’auditorium du site de Meyrin, près de Genève, en Suisse, le 4 juillet 2012. Crédits : Denis Balibouse/Pool/AFP

Le mystère des trois familles
Lors des deux premières sessions (Run 1 et 2), respectivement achevées en 2013 et 2018, les chercheurs sont notamment parvenus à entrevoir la façon dont le boson de Higgs interagissait avec ses congénères les plus massifs, classés dans ce que l’on appelle la troisième famille des fermions : les quarks top et beauty (ou bottom) et le lepton tau, lourd cousin de l’électron. À présent, ils aimeraient entrevoir ce qu’il se passe lorsque le boson de Higgs se couple à des particules plus légères, notamment pour savoir s’il donne également leur masse à ces fermions plus légers ou bien si un autre mécanisme est à l’œuvre. En réalité, le boson de Higgs pourrait régler une bonne fois pour toutes une bien embêtante histoire de familles. Non pas que les particules aient des soucis d’entente entre frères et sœurs, mais la raison pour laquelle elles se repartissent en trois familles, ni plus, ni moins, reste à ce jour un vrai mystère pour les physiciens. Seule une caractéristique permet de les distinguer les unes des autres : la masse des particules qu’elles renferment, autrement dit… la façon dont ces particules interagissent avec le boson de Higgs.

« On pourrait tout expliquer avec une seule famille de leptons et de quarks, mais il en existe trois. Pourquoi cette organisation énigmatique ? », interroge Rosy Nikolaidou, physicienne au CEA au sein de l’Institut de recherche sur les lois fondamentales de l’Univers (Irfu) et membre de la collaboration ATLAS depuis 2002. « À court terme, nous voudrions pouvoir observer la désintégration du boson de Higgs en paires de muons, particules de la deuxième famille. » En août 2020, les physiciens d’ATLAS et CMS ont entrevu des indices laissant entendre qu’ils étaient peut-être parvenus à cette prouesse. Si elle était confirmée, cette dernière permettrait non seulement d’obtenir la première confirmation que des particules de deuxième génération acquièrent bien leur masse par le mécanisme de Higgs, mais aussi peut-être de comprendre pourquoi, à sa création, l’Univers matériel s’est dupliqué en trois versions identiques de lui-même.

Les particules élémentaires selon le modèle standard, où apparaissent les trois familles de fermions, parmi lesquels les quarks (u et d pour la première famille, c et s pour la deuxième, t et b pour la troisième), et les leptons (e et ve pour la première famille, etc.). Crédits : Cern

« Un éventuel écart entre la manière dont le Higgs se désintègre en muons et en taus pourrait nous mettre sur une piste », poursuit Yves Sirois. Le physicien a des raisons d’espérer : en avril 2021, une anomalie identifiée de longue date avec le muon a été cette fois confirmée par une importante expérience menée au FermiLab (États-Unis). Il semble que le « moment magnétique » du muon, soit la façon dont il s’aligne sur des lignes de champ magnétique, comme le ferait l’aiguille d’une boussole, n’a pas la valeur prévue par la théorie. De quoi entrevoir là de la « nouvelle physique », « cette déviation ne pouvant être expliquée par le Higgs », précise Yves Sirois. Et être tenté d’entrevoir la silhouette d’un plus gros poisson que le Higgs, qui nagerait dans des eaux encore insondées. Le Run 3, justement, devrait permettre d’y plonger.

Le Higgs, une particule hermaphrodite ?
Autre propriété du Higgs qui reste à ce jour obscure pour les scientifiques : son champ d’énergie ou, plus précisément, la forme de l’énergie potentielle dans laquelle se situe le champ de Higgs. Ce paramètre, absolument déterminant pour comprendre la façon dont s’est formé l’Univers, pourra être déduit d’un autre paramètre : la façon dont le Higgs se couple à lui-même, dont il se reproduit pour faire d’autres « bébés Higgs », tel un Gremlin entré en contact avec de l’eau ou nourri après minuit. Si son auto-couplage était démontré, il résonnerait comme un nouveau coup de tonnerre dans le monde de la physique car, à notre connaissance, aucune autre particule n’interagit avec elle-même. Malgré tout, la nouvelle ne surprendrait pas tant que cela les physiciens, qui savent maintenant que le Higgs est loin de faire les choses comme les autres.

Prouver cet hermaphrodisme – et surtout quantifier le niveau d’énergie auquel il survient – débloquerait bien des serrures dans notre quête de compréhension de l’Univers. Nous savons que juste après le Big Bang, lorsque l’Univers tout entier pouvait tenir entre nos mains, que les particules n’avaient pas de masse et que les forces fondamentales ne faisaient qu’une, le champ de Higgs a donné une structure différente au vide dans lequel tout ce petit monde baignait. « Ce que l’on se demande, c’est si ce changement s’est passé de façon progressive ou brutale, partout dans l’espace-temps en même temps ou seulement par endroits », questionne Yves Sirois. Si cette transition, appelée « brisure de la symétrie électrofaible », a été soudaine, il y a de fortes chances qu’elle n’ait pas été homogène, formant ça et là tantôt des bulles de vide sans champ de Higgs, appelé ‘faux vide’, tantôt des bulles de vide empli du champ Higgs, nommé cette fois ‘vrai vide’. « Au moment où l’Univers s’est mis à gonfler, on peut imaginer que ces bulles se sont chevauchées les unes les autres, générant à leur exact croisement l’asymétrie matière-antimatière, un autre mystère que nous ne parvenons pas encore à expliquer », poursuit Yves Sirois. « Nous pensons qu’au LHC, nous serons bientôt capables de déterminer s’il y a eu atterrissage en douceur ou transition brutale. »

Un Higgs pourrait en cacher d’autres
Il y a aussi ce problème d’équilibre dans le modèle de Higgs. Le fait qu’il s’agisse d’une particule légère pose souci, puisque les interactions entre ce boson et les particules du modèle standard devraient au contraire faire de lui une particule très lourde. « La masse du Higgs est arbitraire, car le boson n’est pas protégé par une symétrie », explique Rosy Nikolaidou. « Il a tendance à être sensible à toutes les interactions, signifiant que s’il y existe d’autres particules inconnues plus massives, sa masse devrait être encore tirée vers le haut. Or, pour une raison qui nous échappe, il reste stable à une échelle relativement faible. »

Pour résoudre ce paradoxe, l’une des pistes sérieusement envisagées par les physiciens est celle de la supersymétrie, une théorie qui prédit l’existence de bosons de Higgs additionnels. En imaginant au Higgs des frères cachés plus lourds, sa masse ne serait ainsi plus un paramètre libre. « Peut-être y a-t-il en réalité cinq bosons de Higgs, celui trouvé en 2012 étant le plus léger », envisage, rêveur, Yves Sirois. « Nous allons en tout cas les chercher au cours des prochaines années. »

La masse du W, un autre poids sur les épaules
Il y a, enfin, cette énième énigme posée par la masse du boson W. Encore un boson, oui. Avec son cousin le Z, le boson W joue le rôle de vecteur de l’interaction faible, la force responsable de la radioactivité bêta des noyaux atomiques. Les chercheurs ont déjà confirmé que les paires de bosons W ou Z pouvaient produire par désintégration un boson de Higgs et que, inversement, ils pouvaient être le résultat de sa désintégration, comme le prédisait le modèle standard. Mais le 7 avril 2022, un nouveau coup de théâtre est survenu dans le monde décidément agité des particules. On ne pourra pas dire que les physiciens se sont ennuyés ces deux dernières années…

Après plus de dix ans d’analyse de données, la collaboration internationale CDF a annoncé que la masse du boson W, une fondamentale, se révélait bien plus lourde que prévu par les calculs théoriques. Encore un signe que le modèle standard ne tient plus ? Il est encore un peu tôt pour l’affirmer, mais l’anomalie de la masse du boson W pourrait en effet trahir la présence de nouvelles particules, comme celles prédites par la supersymétrie ou la théorie des supercordes. Des particules trop lourdes pour avoir été produites aux échelles d’énergie utilisées lors des précédentes collisions du LHC. Sur ce point encore, le boson de Higgs pourrait apporter son lot de réponses. « La masse du Higgs et celle du quark top déterminent la prédiction théorique de la masse du boson W », détaille Yves Sirois. « Seul le LHC peut aujourd’hui mesurer simultanément ces trois masses. » Voilà encore un objectif supplémentaire pour ce Run 3. Pour ne pas dire une mission de plus pour le boson de Higgs, sur lequel sont à nouveau fondés les espoirs pour les prochaines années.

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