Le procès de l’effondrement du pont autoroutier de Gênes s’ouvre jeudi en Italie pour déterminer, quatre ans après, les responsabilités de cette catastrophe qui a coûté la vie à 43 personnes.
Le 14 août 2018, sous une pluie battante, le pont autoroutier Morandi, un axe essentiel pour les trajets locaux et le trafic entre l’Italie et la France, s’écroule, précipitant dans le vide des dizaines de véhicules et leurs passagers.
La tragédie jette alors une lumière crue sur le piètre état des infrastructures de transport en Italie et le rôle trouble de la société Autostrade per l’Italia (Aspi), accusée de ne pas avoir entretenu l’ouvrage d’art pour faire des économies au mépris de la sécurité.
« Le pont Morandi était une bombe à retardement. Vous pouviez entendre le tic-tac, mais vous ne saviez pas quand elle allait exploser », a déclaré en février Walter Cotugno, l’un des procureurs.
Pour lui, il ne fait aucun doute que les dirigeants d’Autostrade et de la société d’ingénierie Spea, chargée de la maintenance, « étaient conscients du risque d’effondrement », mais qu’ils ont rechigné à financer des travaux afin de « préserver les dividendes » des actionnaires.
Le constat de l’enquête des magistrats est accablant : « Entre l’inauguration (du pont) en 1967 et l’effondrement – donc 51 ans plus tard –, il n’a pas été procédé aux interventions de maintenance minimales pour renforcer les haubans du pilier numéro 9 », qui s’est affaissé le jour du drame.
Un témoin de taille, le nouveau patron et cadre d’Autostrade depuis 2015
La plupart des mis en cause convoqués par le tribunal de Gênes sont des cadres et des techniciens des deux sociétés, dont le directeur général d’Autostrade de l’époque, Giovanni Castellucci, parti avec une indemnité de 13 millions d’euros, ainsi que l’ancien patron de Spea Antonino Galata et des fonctionnaires du ministère des Infrastructures.
Ils sont poursuivis notamment pour homicide involontaire, atteinte à la sécurité des transports et faux en écriture publique. La durée du procès est estimée à deux ou trois ans.
Pour Giovanni Paolo Accinni, l’un des avocats de Giovanni Castellucci, l’acte d’accusation « tombera comme une feuille d’automne » si le procès est « équitable » et « protège non seulement les victimes, mais aussi les innocents ».
Mais l’accusation pourra compter sur un témoin de taille : Roberto Tomasi, successeur de Giovanni Castellucci et cadre d’Autostrade depuis 2015, qui affiche sa volonté de tourner la page et qui pourrait s’avérer encombrant pour son prédécesseur.
Autostrade appartenait au moment du drame au groupe Atlantia, contrôlé par la richissime famille Benetton, qui a fini par céder sa part en mai à l’État, poussé vers la sortie sous la pression de la classe politique et la vindicte populaire.
« La vie de mon fils n’a pas de prix, je veux un vrai procès »
Si leurs anciens dirigeants se retrouvent sur le banc des accusés, les sociétés Autostrade et Spea échappent en revanche au procès grâce à un accord à l’amiable conclu avec le parquet, prévoyant le paiement de 29 millions d’euros à l’État.
Pour Raffaele Caruso, avocat du Comité des proches des victimes du pont Morandi, ce pacte « constitue une première reconnaissance de responsabilité » de la part des deux sociétés. « C’est l’un des procès les plus importants de l’histoire récente de l’Italie, en ce qui concerne le nombre de mis en cause, l’ampleur de la tragédie, et au regard de la blessure infligée à toute une ville », a-t-il déclaré à l’AFP.
Seules deux familles de victimes ont refusé d’accepter les indemnisations proposées par Autostrade, qui a déboursé plus de 60 millions d’euros à ce titre.
Egle Possetti, présidente du Comité des proches des victimes, a décliné l’offre pour ne pas perdre la possibilité de se constituer partie civile et de peser sur le procès. « Je suis sûre que beaucoup, pas tous, savaient que le pont allait s’écrouler un jour, et certains ont fait semblant de ne pas le voir », confie-t-elle, amère, à l’AFP.
L’autre refus est venu de Roberto Battiloro, qui a perdu dans le drame son fils Giovanni, un jeune vidéaste de 29 ans, et qui s’est vu proposer un million d’euros : « La vie de mon fils n’a pas de prix, je veux un vrai procès. »
AFP