Vendredi 10 juin dernier, la diaspora congolaise de Paris, Bruxelles et de Lyon répondait au hastag Rwanda is killing par une mobilisation spontanée. Faisant suite à la reprise des attaques du M23 dans le Kivu, le ton est rapidement monté entre Kinshasa et Kigali, accusé de soutenir le groupe armé. C’est donc sur fond d’escalade diplomatique que des manifestants se sont d’abord rassemblés dans la capitale congolaise, montrant la voie à sa diaspora.
A Lyon, le rendez-vous était donné Place des Terreaux aux Congolais de l’extérieur. La mobilisation a débuté par les discours des différents intervenants : David Kithoko fondateur de Génération Lumière, Gloria Mulopo pour Umoja, Djelly Bakaya de l’association Nous, puis le professeur Kabeya. La parole a ensuite été donnée aux manifestants. Pour finir, des bougies ont été allumées en hommage aux victimes et déposées autour du drapeau de la RDC au son de l’hymne congolais. Président de l’association écologiste Génération Lumière opérant dans la région des Grands Lacs, David Kithoko s’est confié en marge du sit-in.
Sika Kodo : Qui est à l’initiative du mouvement #RwandaIsKilling ?
David Kithoko : C’est apparu sur les réseaux sociaux, impossible de savoir qui précisément l’a lancé. En tout cas, nous n’avons pas cherché à savoir qui était à l’origine. L’association Génération Lumière a l’habitude de lancer les mouvements, mais pour le coup ce sont des personnes de la diaspora congolaise de Lyon qui nous ont contacté en nous disant qu’il fallait qu’on fasse quelque chose. Nous avons aidé à l’organisation, nous avons mis en place un cadre, mais c’est plutôt des appels et des messages qui nous ont été adressés par des personnes qui ont eu envie de faire quelque chose. Nous portons la charge de l’organisation.
A en croire les flyers, la mobilisation s’adresse-t-elle seulement aux Congolais ?
Pourquoi est-ce que c’est écrit diaspora congolaise. Pour montrer qu’on s’adresse à cette diaspora, ce n’est pas exclusif. Cela ne veut pas dire que d’autres diasporas ne peuvent pas venir se joindre à nous. C’est une question mondiale. Mais c’est un appel de la diaspora congolaise encore une fois. Ce n’est pas une structure, ce n’est pas l’association Génération Lumière, c’est vraiment la diaspora congolaise qui invite à se mobiliser. Les structures se greffent dessus, mais à la base, c’est quelque chose qui vient du peuple.
Qu’est-ce qui a déclenché cette mobilisation ?
C’est la guerre dans le Kivu. Je pense que vous avez vu que le M23 renaît de ses cendres. Personnellement, je pense que ce sont les négociations de Tshisekedi qui ont provoqué ça, et le fait qu’il ait envoyé une force armée dans une région dans laquelle, malgré tout, il y avait une autorité civile qui essayait de faire tant bien que mal certaines choses. Est-ce le fait de priver les civils du pouvoir et de le remettre à l’armée qui n’est pas habituée à cette zone-là ? Sachons-le, ce sont des personnes qui viennent de Kinshasa qu’on embarque là-bas. Est-ce que cela n’a pas réveillé les vieux démons ? Je n’en sais rien.
Les vieux démons étaient-ils vraiment endormis ?
Non, ils ne l’étaient pas, mais ils étaient lents, ils n’avaient pas la même intensité qu’ils ont aujourd’hui. En fait, ça fait cinq ans, malheureusement, qu’on prédit une 3ème guerre, parce qu’il y a tous les ingrédients pour. Notamment, la demande extérieure croissante de minerais et les bandes armées, à savoir 130 groupes armés. L’augmentation de la demande de minerais du fait du changement climatique, parce qu’on est en train de passer à un autre modèle basé sur beaucoup plus sur des minerais, avec l’électrique ; et enfin la classe politique congolaise qui est telle qu’elle est : c’est-à dire-médiocre. Donc tout ça, y compris la faiblesse de l’armée, et avec toujours les mêmes acteurs encore en place dont Kagamé, le même régime et la continuité de ce régime présageait de cette situation. Ce qu’on est en train de vivre actuellement n’est peut-être que les prémisses d’une éventuelle 3ème guerre.
Quelles sont les revendications derrière cette mobilisation ?
Il y en a un certain nombre. D’abord de faire cesser le génocide qui est en train de se dérouler. Il est devenu lent, mais ça reste un génocide, même s’il n’est pas reconnu comme tel. Ensuite, rendre hommage aux victimes. Ces victimes-là existent. Il y a les morts, ceux qui fuient etc… Enfin, c’est vraiment réclamer la justice, un tribunal international pour le Congo, c’est ce que le Dr Mukwege réclame. Nous, on s’inscrit là-dedans. Pourquoi est-ce qu’on veut cela ? Parce qu’on connaît les victimes, on les connaît même personnellement, on sait comment elles ont été tuées, violées, massacrées etc… Mais, on ne nous dit pas qui sont les responsables, donc on veut bien savoir qui ils sont. Combattre l’impunité également. Et nous, spécifiquement à Lyon, on veut se saisir de cette opportunité pour former à l’éducation politique nos gens. Qu’ils soient armés politiquement. Faire de la politisation pour aboutir à ce qu’on va appeler la mise à l’agenda, la publicisation de ces problèmes.
Plus de 12 ans après le rapport Mapping qui pointait certaines responsabilités rwandaises entre autres forces étrangères, le Rwanda continue de nier toute implication. Pourquoi le rapport Mapping semble-t-il enterré ?
Il n’est pas enterré, il est connu. C’est la volonté du Rwanda et autres qu’il le soit. Je ne peux pas connaître la volonté du Rwanda, mais indéniablement, les autorités rwandaises sont régulièrement citées. Elles sont responsables. La publicisation vise justement à prouver à quel point Kigali est impliqué. C’est tout à l’intérêt du Rwanda qu’on ne sache rien de ce qui se passe. Mais il existe des preuves qui sont évidentes.
La communauté internationale peine à désigner le Rwanda comme étant responsable. Est-ce une forme de culpabilité relative au génocide rwandais ou de la complicité ?
En fait, le Rwanda est érigé en modèle et ceux qui érigent les modèles sont les mêmes que ceux qui sont censés condamner. C’est difficile de condamner son meilleur élève. C’est ça le seul problème. C’est vrai que malheureusement on peut avoir un sentiment que le génocide peut être utilisé comme un élément bloquant de tout questionnement dans la responsabilité de Kagamé. Pas forcément dans le génocide rwandais, mais sur les autres champs de guerre dans lesquels le Rwanda est impliqué. Entre autres, la déstabilisation politique de la RDC etc… Il y a la responsabilité du Rwanda, mais il est effectivement difficile de l’évoquer vis-à-vis de la communauté internationale. J’aimerais qu’on arrête d’en parler à un moment donné, parce que c’est qui la communauté internationale ? C’est abstrait en réalité et il faut que ça prenne forme et qu’on sache qui constitue la communauté internationale.
Il est temps que nous nous prenions en charge, avec la publicisation notamment, jusqu’à en arriver à ce que la communauté internationale devienne concrète. On doit publiciser, mettre cela dans l’agenda politique. Et au fur et à mesure qu’on va mettre cela dans l’agenda politique, on va mieux saisir ce qu’est la communauté internationale. Par exemple, on a une mission de l’ONU chez nous, depuis plus de 20 ans, et les résultats ne sont pas là. Ils sont censés maintenir la paix.
Quel peut être le rôle de la diaspora congolaise dans la résolution de ces conflits ?
La diaspora congolaise dispose d’un super atout, c’est d’être extérieure. Elle n’est plus directement sous le feu de l’action. Ce qui lui laisse plus ou moins l’espace pour réfléchir à des actions, travailler, organiser. C’est un premier point à ne pas négliger : l’organisation. Un autre élément, puisqu’on parle de la communauté internationale, cette diaspora peut s’en saisir plus facilement. Ce n’est pas une personne qui vit la guerre directement qui va le faire. C’est celui qui s’en est extrait et qui peut être un porte-parole. Et encore une fois, la diaspora congolaise peut être un porte-parole crédible puisqu’elle connaît ces enjeux. Elle l’a vécu, elle les vit dans sa chair. Ce n’est pas aux experts, ni aux ONG qu’il revient d’en parler. Il appartient à ceux qui ont un lien presque charnel avec ces évènements d’en parler. Et puis, historiquement, tous les changements qu’il y a eu dans la région des Grand Lacs ont été apportés de l’extérieur. Même pour le Rwanda, ce sont des hommes qui se sont réfugiés à l’extérieur, qui ont pris le pouvoir. On pourrait faire le même parallèle avec le Burundi, l’Ouganda et même la RDC. Kabila père, où était-il avant de chasser Mobutu du pouvoir ? Il était en Tanzanie. Donc, le changement vient de l’extérieur. Lorsque la diaspora va comprendre cela, elle va pouvoir travailler. Pourquoi est-ce que ça vient de l’extérieur ? Parce que la pression et l’oppression ne sont pas là. Cela laisse l’espace, le temps pour réfléchir et organiser.
Quelles sont les actions prévues pour la suite ?
A Lyon, on aimerait pérenniser, régulariser les rencontres avec la diaspora pour l’organiser afin de faire de l’éducation politique. Et travailler sur du lobbying, sur des actions concrètes. Donc, on espère que ça va continuer. En tout cas, nous y sommes prêts.
afrik