Mercredi 6 juillet 2022, le Parlement européen a décidé de labelliser « verte » – ou au moins « de transition » – la production d’électricité nucléaire tout comme la production à partir de gaz fossile. Qu’en est-il exactement ?
Cette fois ça y est. C’est fait. Le Parlement européen a voté. La production d’électricité dans les centrales nucléaires et dans les centrales à gaz – sous certaines conditions tout de même – sera désormais considérée comme « verte ». Ou plus exactement comme « de transition ». De quoi permettre des investissements dans ces deux filières tout en restant dans le cadre de l’objectif de neutralité carbone décrété par l’Union européenne (UE) pour 2050. Parce que c’est bien de cela qu’il s’agit. De neutralité carbone. Alors, au-delà des arguments dogmatiques, tentons de comprendre.
Pour ce qui est du nucléaire d’abord. Rappelons qu’en 2021, le Centre commun de recherche, le laboratoire de recherche scientifique et technique de l’Union européenne, avait publié un rapport qui concluait qu’il « n’existe aucune preuve scientifique que l’énergie nucléaire nuit davantage à la santé humaine ou à l’environnement que d’autres technologies de production d’électricité déjà incluses dans la taxonomie de l’UE en tant qu’activités soutenant l’atténuation du changement climatique ». « Les impacts de l’énergie nucléaire sont pour la plupart comparables à ceux de l’hydroélectricité et des énergies renouvelables, en ce qui concerne les effets non radiologiques », précisait encore ce rapport. Plus récemment, une étude le confirmait. Le nucléaire émet extrêmement peu d’équivalent CO2 par kilowattheure (gCO2e/kWh) produit. En France, bien moins que le solaire ou l’éolien, par exemple.
Dans un communiqué publié suite au vote du Parlement européen, le réseau « Sortir du nucléaire » qualifie l’énergie nucléaire de « dangereuse, polluante, productrice de déchets ingérables, et trop lente et trop coûteuse pour constituer un levier pertinent face à l’urgence climatique ». Mais la plupart de ces arguments semblent à balayer d’un revers de main eu égard à l’objectif de la taxonomie européenne. Rappelons-le, cet objectif, c’est celui de la neutralité carbone. Même si la taxonomie pose quelques conditions au nucléaire. Des conditions relatives notamment à la gestion de ses déchets et aux mesures de sécurité, et qui limitent la qualification « d’énergie de transition » à l’horizon 2045.
La seule vraie question qui peut, peut-être, se poser, c’est celle de l’urgence climatique. Peut-être. Parce que les centrales nucléaires existantes sont là pour y répondre. Et les experts le disent et le répètent : c’est dès à présent qu’il faut investir dans le nucléaire de demain. Justement pour ne pas prendre de retard sur nos objectifs de neutralité carbone. Certainement pas – comme certains pronucléaires peuvent le laisser croire – pour s’opposer aux énergies renouvelables. Car à la fin, toutes les énergies bas carbone seront bonnes à être mobilisées.
Le nucléaire et le gaz sur un pied d’égalité climatique ?
Alors, qu’en est-il du gaz ? Celui que beaucoup aiment à qualifier de gaz naturel et que les antinucléaires aiment à pousser, alors qu’il n’est en réalité autre qu’un gaz fossile ! « Oui, mais le gaz n’est inclus dans la taxonomie européenne que sous certaines conditions », répondent les progaz. Si la centrale à gaz en question remplace une centrale à charbon, par exemple. Et ce, avant 2030. Mais aussi, si la centrale à gaz n’émet pas plus de 100 gCO2e/kWh. Oui, vous avez bien lu, 100 gCO2e/kWh. Comparé aux 4 gCO2e/kWh du nucléaire français, ça fait froid dans le dos.
Et ce qui suit va rendre l’intégration du gaz fossile à la taxonomie « verte » encore un peu plus incompréhensible. Des chercheurs allemands, en effet, démontrent aujourd’hui que le gaz fossile ne peut pas être considéré comme « une technologie de transition vers un système d’énergie 100 % renouvelable tel que défini par l’Accord de Paris sur le climat ». Selon eux, le gaz fossile n’est « en aucun cas » une alternative à préférer au charbon ou au pétrole. Parce qu’il n’est pas seulement responsable d’émissions de dioxyde de carbone (CO2), mais aussi d’émissions de méthane (CH4) tout au long de la chaîne de valeur. Par le biais d’émissions fugitives de ce puissant gaz à effet de serre qui n’ont jusque-là pas été assez prises en compte dans le bilan carbone du gaz fossile.
Il faut sortir du gaz fossile
Les chercheurs estiment par ailleurs, grâce à leur approche interdisciplinaire, qu’une expansion de l’infrastructure gazière « cimenterait la dépendance aux combustibles fossiles et aux émissions liées pendant des décennies. Avec des coûts économiques énormes retardant le développement d’un système énergétique 100 % renouvelable. » De quoi, donc, freiner la transition énergétique tout en entraînant d’énormes risques économiques. « La crise énergétique, climatique et géopolitique entourant les combustibles fossiles met aujourd’hui en évidence la nécessité d’une sortie du gaz fossile, qui doit être organisée et mise en œuvre par la société dans son ensemble. » C’est la conclusion des chercheurs.
La vraie question qui se pose, finalement, c’est peut-être de savoir comment deux moyens de production aussi différents du point de vue de leur impact sur notre climat ont pu être soumis à un seul et même vote au Parlement européen…
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