Choisir le bois comme matériau de structure, même pour les bâtiments non résidentiels, est une bonne manière d’aider le Québec à atteindre ses cibles de réduction des émissions de GES, expliquent des chercheurs de l’Université Laval et de l’UQAC.
Luciano Rodrigues Viana est doctorant en sciences de l’environnement à l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC) ; Alejandra Zaga Mendez est chercheuse postdoctorale au Département de géographie de l’Université Laval ; Jean-François Bissonnette est professeur adjoint à la Faculté de foresterie, de géographie et de géomatique de l’Université Laval ; Jean-François Boucher est professeur au Départment des sciences fondamentales de l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC).
Les conclusions des deux derniers rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) sont sans équivoque : l’augmentation récente des émissions de gaz à effet de serre (GES) est la plus marquée de l’histoire de l’humanité. Et cette hausse se poursuit.
Les bâtiments occupent une place cruciale dans la transition vers une économie décarbonée, notamment vers des sources d’énergie utilisant peu ou pas de combustibles fossiles. Le secteur de la construction et de la rénovation a été responsable d’environ 37 % des émissions anthropiques mondiales de dioxyde de carbone (CO2) liées à l’énergie en 2020, dont 27 % causées par l’exploitation des bâtiments et 10 % attribuables à la fabrication des matériaux de construction.
Les émissions liées à l’exploitation des bâtiments proviennent notamment de la consommation énergétique relative aux besoins thermiques (chauffage, climatisation et approvisionnement en eau chaude). Quant à la fabrication des matériaux de construction, les émissions sont principalement dues à la production très énergivore de ciment et d’acier. Ensemble, ces deux matériaux ont été responsables de plus de la moitié des émissions mondiales de CO2 liées à la fabrication de l’ensemble des matériaux de construction en 2019.
Il est donc nécessaire de se servir de matériaux sobres en émissions afin de réduire l’empreinte carbone de la construction et de la rénovation des bâtiments.
Impact des bâtiments au Québec
Au Québec, une réduction draconienne de l’empreinte carbone des bâtiments résidentiels et non résidentiels est un objectif de première importance. En effet, en 2019, derrière les secteurs du transport et de l’industrie, les émissions de CO2 des bâtiments résidentiels, commerciaux et institutionnels étaient responsables de 10 % des émissions totales de la province.
Cet impact majeur associé au domaine de la construction suscite des inquiétudes au sein de l’industrie et des différentes instances gouvernementales. On observe donc une prise de conscience croissante de la part de ces acteurs à propos de la réduction de l’empreinte carbone d’un secteur clé pour l’économie québécoise.
Quelles stratégies sont mises en place ?
Afin de réduire l’empreinte carbone des bâtiments, le gouvernement provincial déploie notamment trois stratégies : l’utilisation de sources d’énergie renouvelables pour les systèmes de chauffage (chauffage solaire, biogaz), l’efficacité énergétique (systèmes de ventilation qui diminuent la demande en énergie thermique, isolation des façades) ainsi que la non-utilisation de matériaux de construction à forte empreinte carbone, comme le ciment et l’acier.
À cause des grands besoins en matière de chauffage, les efforts se sont surtout concentrés, dans les dernières années, sur les deux premières stratégies. Ainsi, à l’avenir, les émissions associées à la fabrication, au transport et à l’installation des matériaux de construction deviendront proportionnellement plus importantes que la consommation d’énergie des bâtiments. Ces derniers sont en effet de plus en plus efficaces sur le plan énergétique et s’approvisionnent davantage en énergie à faible teneur en carbone.
Dans la suite du texte, nous souhaitons mettre en lumière la réduction de l’empreinte carbone qui pourrait découler de l’utilisation du bois.
Les bâtiments en bois parmi les solutions potentielles ?
La plupart des études s’entendent sur le fait que construire des bâtiments en bois permettrait de diminuer les émissions de GES du secteur de la construction. Il importe cependant d’évaluer quelle quantité de GES pourrait être ainsi évitée.
Les bénéfices carbone découlant de l’utilisation du bois changent en fonction du choix des systèmes structuraux. Lorsque nous parlons de remplacer les matériaux traditionnels par le bois, cela ne veut pas dire qu’il n’y aura plus du tout d’acier ou de béton dans un bâtiment. Il s’agit plutôt de bâtiments dans lesquels le bois est :
- le seul matériau de structure utilisé ;
- utilisé en combinaison avec d’autres matériaux dans une construction hybride (le système structurel est composé de deux matériaux, voire plus) ;
- utilisé dans une construction mixte (deux systèmes structurels ou plus se chevauchent).
Il importe de noter que les bénéfices du bois varient également en fonction des choix méthodologiques et des données utilisées dans les études. Par exemple, une méta-analyse récente a montré que les bâtiments en bois, lorsque ce dernier remplace les matériaux de construction traditionnels, permettraient d’éviter, en moyenne, 216 kg éq. CO2 m-2 [216 kg éq. CO2 par mètre carré ??] (-69 %).
Le Québec se retrouve dans une position favorable à la construction de bâtiments en bois. En effet :
- La province est un État forestier de classe mondiale, où les forêts sont aménagées selon des critères scientifiques rigoureux qui visent la durabilité (condition obligatoire pour que les constructions en bois soient envisagées) ;
- Les scieries ainsi que les usines de deuxième et troisième transformation emploient l’électricité, source d’énergie parmi les moins « carbonées » au monde, pour le fonctionnement de leurs installations ;
- Contrairement au ciment et à l’acier, la production du bois n’émet pas du tout de GES issus de réactions chimiques.
Lorsque nous nous penchons sur les travaux qui ont comparé les bâtiments en bois avec ceux constitués de matériaux traditionnels au Québec, l’utilisation du bois fait consensus. Par exemple, une récente étude a montré que si 80 % des structures non résidentielles au Québec étaient construites en bois d’ici 2050, cela permettrait d’éviter, en moyenne, 2,6 Mt éq. CO2. Cette quantité équivaut à 3,5 % de l’objectif de réduction des émissions de CO2 du Québec en 2050 par rapport à 1990.
De manière générale, la performance carbone des bâtiments en bois est attribuable à plusieurs particularités, dont un emploi moindre des énergies fossiles pendant la production du bois d’ingénierie ; l’évitement des émissions de carbone des processus industriels à forte empreinte, comme l’acier et le ciment ; l’utilisation de sous-produits issus de la production du bois en remplacement des combustibles fossiles ; le stockage de carbone biogénique dans le bois ; une plus faible consommation d’énergie pendant la phase de construction et de démolition d’un bâtiment ; une moins grande quantité de matériaux nécessaires pour la structure ainsi que pour la finition des bâtiments.
Il est important de souligner que nous trouvons plusieurs exemples de constructions en bois d’envergure mondiale au Québec, comme le projet Arbora, qui constitue le plus grand complexe résidentiel construit en bois massif d’ingénierie au monde et le projet Origine, un bâtiment de 13 étages, dont 12 en bois massif. La réalisation de ces projets imposants témoigne de la volonté des acteurs de l’industrie du bois et du gouvernement provincial de promouvoir la construction de bâtiments en bois.
Il ne s’agit toutefois pas d’une panacée. L’exploitation de cette ressource génère une forte pression sur les écosystèmes forestiers, d’où la nécessité de mettre en place des stratégies qui optimisent à la fois le stockage du carbone en forêt et la protection de la biodiversité.
Mais en matière d’émissions de carbone, le bois semble être le matériau à privilégier au Québec lors de la construction et de la rénovation des bâtiments.
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