Pourquoi il sera biologiquement compliqué de s’adapter au changement climatique

Même mises dans les meilleures conditions, des bactéries à l’évolution pourtant rapide n’ont pas réussi à augmenter leur température maximale tolérable de plus de 1°C, concluent de nouveaux travaux. Une nouvelle de mauvais augure, alors que les températures menacent d’augmenter encore jusqu’à presque 5°C au 21e siècle.

Terre se réchauffe
Les températures pourraient augmenter de 0,4 à 4,8°C pendant le 21e siècle.

A quel point les organismes vivants peuvent-ils s’adapter aux fortes températures ? La réponse est malheureusement « moins bien que nous l’espérions », d’après de récents travaux publiés dans Science Advances. Réalisées sur des populations bactériennes, ces expérimentations laissent présager un futur sombre alors que le changement climatique s’installe.

Tester la tolérance thermique face aux vagues de chaleur
“J’ai été surprise, je m’attendais à pouvoir à étendre la tolérance thermique supérieure de nos bactéries de plus de 1°C”, rapporte Macarena Toll-Riera, première autrice de ces nouveaux travaux menés à l’Université de Zurich (Suisse). La tolérance thermique supérieure, c’est la température maximale à laquelle un organisme peut survivre. Sur Terre, cette limite physiologique “devrait subir une pression accrue” en raison de l’augmentation de température de 0,4° à 4,8°C prévue au cours du 21e siècle, écrivent les chercheurs. Mais le vivant a une certaine flexibilité. “Lorsqu’elles sont exposées à un stress environnemental sévère, les populations peuvent éviter l’extinction par une adaptation évolutive, un phénomène connu sous le nom de sauvetage évolutif”, écrivent les chercheurs.

Une bactérie qui ne gagne qu’1°C de tolérance thermique
Pour tester ce sauvetage évolutif face à la chaleur, l’équipe a testé en laboratoire la résistance d’une bactérie. Appelée Pseudoalteromonas haloplanktis, elle habite les mers côtières de l’Antarctique et supporte des températures allant de –2,5 à 29°C. Pour les chercheurs, l’objectif est d’augmenter progressivement le mercure appliqué aux colonies bactériennes de façon à pousser cette limite physiologique au-dessus de 29°C. “Nous avons conçu nos expériences pour maximiser le succès du sauvetage évolutif : nous avons utilisé de grandes populations microbiennes exposées à une augmentation progressive de la température”, explique Macarena Toll-Riera. D’autant que les bactéries ont l’avantage de se cultiver en populations de grande taille, avec des temps de génération courts et de petits génomes. “Ce qui en fait des candidats idéaux pour étudier l’adaptation rapide à une température élevée », expliquent les chercheurs dans la publication.

Mais même en mettant toutes les chances de leur côté, l’adaptation progressive des souches bactériennes est laborieuse. 900 générations successives de P. haloplanktis sont cultivées à des températures croissantes à partir de 15°C, dont 300 générations à un maximum de 30°C. Au-delà, aucune colonie ne parvient plus prospérer. “Nous n’avons pu étendre la tolérance thermique supérieure que de 1°C”, suggérant que la tolérance thermique supérieure ne peut que très peu évoluer, conclut Macarena Toll-Riera.

Trois mutations liées à la chaleur
En observant plus avant les colonies cultivées à 30°C, les chercheurs repèrent trois mutations récurrentes. La première touche 90% de ces bactéries au comble du stress thermique et concerne une enzyme (protéine active) nommée Lon, dont le rôle est de détruire les protéines trop altérées par la chaleur pour fonctionner correctement. Car au-delà d’un seuil de température, les protéines perdent leur structure en trois dimensions nécessaires à leur fonction. Les deux autres mutations concernent 87,5 et 85% des bactéries échaudées, et touchent respectivement une baisse du nombre d’un des deux chromosomes que possède P. haloplanktis et la biosynthèse de sa paroi (qui entoure la cellule bactérienne).

Pourquoi ces mutations et en quoi aident-elles à fonctionner sous la chaleur ? “Malheureusement, nous ne le savons pas encore”, admet Macarena Toll-Riera qui, avec son équipe, réalise des expériences supplémentaires pour le découvrir. “Nous supposons que les mutations observées ont un rôle dans la destruction des protéines mal repliées et le maintien de l’intégrité des parois.” Concernant la mutation Lon, la plus fréquente, elle suppose que l’augmentation de la température entraîne la dénaturation des protéines essentielles à la survie. “Une autre possibilité est que lorsque la température augmente encore plus, le nombre de protéines mal repliées est supérieur à ce que Lon peut traiter. Il est connu que l’accumulation de protéines mal repliées est toxique pour les cellules.”

Les organismes plus grands et vivant en populations plus petites s’adapteront encore moins bien.
Bien que Macarena Toll-Riera reste prudente en attendant plus de données prenant par exemple en compte les possibilités de migrations, ces expériences ne sont pas de bon augure concernant la future capacité du vivant à s’adapter au changement climatique en cours. Alors que les chercheurs ont tout fait pour favoriser une adaptation évolutive progressive à la chaleur de P. haloplanktis, et bien que les bactéries soient par nature des organismes à l’évolution rapide, elles n’ont pas pu gagner plus d’1°C de tolérance maximale. “En outre, bien que le changement climatique mondial soit un processus graduel, il entraîne également des événements climatiques abrupts et extrêmes, tels que des vagues de chaleur, des ouragans et des sécheresses”, s’inquiètent les chercheurs dans la publication. De tels événements peuvent affecter de façon marquée les populations sauvages et ont déjà conduit à l’extinction de certaines populations locales de bourdons, coraux, roussettes et forêts de varech, énumèrent-ils. Si les bactéries ont déjà du mal, les organismes plus grands, vivant en plus petites populations et à des températures plus proches de leurs tolérances thermiques supérieures “sont encore plus susceptibles de s’éteindre pendant les vagues de chaleur extrême”, concluent les chercheurs.

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