Le sommet des affaires « Afrique-États-Unis » s’est ouvert, mercredi 20 juillet, à Marrakech au Maroc. Il dure jusqu’à vendredi et réunit outre une délégation gouvernementale américaine, des dirigeants politiques et représentants des milieux d’affaires africains ainsi que des décideurs et investisseurs du secteur privé américain. Au menu : l’économie et les affaires avec, en toile de fond, les questions clé de la lutte contre le changement climatique et la transition énergétique, mais aussi la sécurité alimentaire, la santé, l’agriculture, les infrastructures, les nouvelles technologies ou encore la fracture numérique.
En arrivant au pouvoir, en janvier 2021, le président américain s’est donné pour priorité diplomatique de contrer l’influence grandissante en Afrique de la Russie et surtout de la Chine. Or cette dernière a beaucoup avancé ses pions ces dernières années sur le continent africain, via d’énormes investissements dans les infrastructures et les ressources minières notamment.
Catalyser plusieurs milliards de dollars
Washington entend jouer sur le même terrain et veut mobiliser des « milliards de dollars » d’investissements en faveur du continent africain, en partenariat avec le secteur privé. « Les États-Unis cherchent à catalyser des milliards de dollars en relations commerciales et en investissements, pour créer des emplois et bâtir une croissance économique inclusive et durable à travers le continent africain », a souligné Alice Albright, PDG de l’agence de développement américaine Millennium Challenge Corporation (MCC). « Nous devons mettre à profit tout l’éventail des instruments du gouvernement américain, exploiter la puissance du secteur privé américain et renforcer nos partenariats avec les chefs d’entreprise et les investisseurs à travers la diaspora africaine », a-t-elle poursuivi.
Si sous la présidence de Donald Trump, l’Afrique ne figurait plus du tout en haut de l’agenda américain, la donne est en train de changer. Et les chiffres de la croissance africaine démographique y sont pour beaucoup également. D’ici à 2050, un quart de la population mondiale sera africaine et le Nigeria dépassera les États-Unis en tant que troisième pays le plus peuplé du monde. Sans compter le fait que le continent africain est déjà l’un des marchés de consommation à la croissance la plus rapide au monde avec 1,4 milliard d’habitants jeunes et une classe moyenne croissante.
Profusion d’opportunités
Des faits qui ont convaincu le Corporate Council on Africa (CCA), organisation privée, d’organiser pour la première fois sur le continent africain et en Afrique du Nord ce rendez-vous d’affaires annuel.
« Il est temps pour l’Afrique [?] de jouer son rôle central et naturel sur la scène internationale », a lancé le chef de la diplomatie marocaine Nasser Bourita en ouvrant les débats. Le choix du Maroc est loin d’être anodin pour les États-Unis, le royaume chérifien ? cinquième plus grande économie d’Afrique ? est une destination phare pour les investissements sur le continent africain.
« C’est un moment opportun pour les investissements américains en Afrique, à grande échelle », a renchéri Akinwumi Adesina, président de la Banque africaine de développement. Selon lui, « demain ne peut pas attendre. L’heure de l’Afrique, c’est maintenant. L’avenir de l’Afrique est radieux. Nous sommes ouverts aux affaires et nous vous accueillons à bras ouverts ». Parmi les gros projets qui pourraient changer la donne et attirer les investisseurs, le patron de la banque panafricaine a cité le complexe de raffinerie de pétrole et de production d’engrais du groupe Dangote présent au Nigeria estimé à 20 milliards de dollars, ainsi que ceux du groupe sud-africain MTN, qui opère actuellement dans 19 marchés. Adesina a aussi souligné que malgré les turbulences, comme la pandémie de Covid-19 qui a eu de forts impacts sur les économies, le nombre d’opérations de capital-investissement en Afrique est passé de 230 en 2019 à 255 en 2020, preuve que les opportunités abondent encore en Afrique.
« L’objectif de notre administration », a indiqué la vice-présidente Kamala Harris, « est de promouvoir une croissance et un développement économiques inclusifs et durables sur tout le continent, d’accroître les flux de capitaux et d’encourager l’esprit dynamique d’entrepreneuriat et d’innovation qui prévaut dans toute l’Afrique ».
Les États-Unis largement distancés par la Chine en Afrique sur le terrain économique
Concrètement, les échanges bilatéraux entre les États-Unis et l’ensemble des pays africains se sont réduits comme peau de chagrin depuis 2009, lorsque Pékin a ravi le rang de premier partenaire commercial du continent à Washington, passant d’un pic de 142 milliards de dollars en 2008 à seulement 64 milliards de dollars en 2021, selon les chiffres cités par le think tank américain Carnegie Endowment for International Peace. Quant aux IDE américains en Afrique en 2020, ils s’élevaient à 47,5 milliards de dollars, soit 5,2 % des investissements mondiaux des États-Unis.
Et au-delà de l’Africa Growth and Opportunity Act, connu sous le nom d’AGOA ? créé en 2000, pour donner à une liste de pays éligibles un accès en franchise de droits aux marchés américains pour des milliers de produits, c’est un millefeuille d’initiatives qui sous-tend les échanges économiques entre les États-Unis et l’Afrique.
Il y a deux ans, l’administration Trump a lancé Prosper Africa axé sur le secteur privé, avec pour objectif d’accroître le commerce et les investissements sur le continent. Bilan : 800 accords commerciaux et d’investissement ont été signés dans 45 pays d’Afrique, pour une valeur estimée à 50 milliards de dollars. Quant au Millenium Challenge Corporation, l’agence gouvernementale, elle a investi quelque 9 milliards USD (8,85 milliards d’euros) dans 25 pays d’Afrique depuis 2004. Dernièrement, le président Biden, avec l’appui du G7, a convenu de lancer une nouvelle initiative orientée cette fois-ci sur les projets d’infrastructures dans les pays en développement.
Pour Akinwumi Adesina, l’urgence serait également pour les entreprises américaines d’investir dans l’initiative dite de Facilité africaine de production alimentaire d’urgence de 1,5 milliard de dollars de la Banque africaine de développement, conçue pour atténuer l’impact de la crise alimentaire mondiale actuelle, qui s’est aggravée avec l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Cette facilité, la première en son genre, entend aider les pays à acquérir et à distribuer les engrais et semences agricoles, à fournir un soutien d’urgence les prochaines saisons de plantation, à accroître de 30 % leur production alimentaire et produire l’équivalent de 12 milliards de dollars de denrées alimentaires.
Cap sur l’avenir
Après les outrances et le mépris manifeste de Donald Trump, l’administration Biden veut rattraper le temps perdu, et met le cap vers l’avenir. Elle compte, notamment, sur la future zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf). En effet, la Zlecaf pourrait, d’après Washington, changer la donne pour l’intégration économique et le commerce africain, mais aussi stimuler les investissements, potentiellement des entreprises américaines intéressées par des produits à valeur ajoutée fabriqués sur le continent dans des secteurs clés.
Cette mise en avant des opportunités africaines n’est pas nouvelle, mais elle est censée donner le coup d’envoi d’un nouveau départ dans les relations entre Washington et les pays africains. La Maison-Blanche a saisi l’occasion de ce rendez-vous pour annoncer que le président Joe Biden accueillerait du 13 au 15 décembre prochains des dirigeants africains pour un sommet censé « souligner l’importance des relations entre les États-Unis et l’Afrique ». Ce sommet doit « promouvoir davantage un nouvel engagement économique », « renforcer l’engagement des États-Unis et de l’Afrique en faveur de la démocratie et des droits humains », permettre de travailler sur la coopération face aux pandémies, sur la sécurité alimentaire, sur la crise climatique ainsi que sur la paix. Aucun événement de cette envergure n’a eu lieu depuis le premier sommet Afrique-États-Unis de 2014, organisé sous Obama.
LEPOINT