Endeuillé et en colère, l’Irak enterre jeudi les victimes des tirs d’artillerie imputés à la Turquie ayant tué la veille neuf civils dans des jardins récréatifs du Kurdistan, un drame qui vient aggraver les tensions entre les deux pays voisins.
Bagdad a accusé les forces turques d’avoir mené ces frappes, tandis qu’Ankara a nié toute responsabilité, pointant du doigt les insurgés kurdes turcs du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), classé groupe « terroriste » par la Turquie et ses alliés occidentaux.
Transporté par avion militaire depuis Erbil, capitale de la région autonome du Kurdistan dans le nord, les neuf cercueils recouverts du drapeau national et de gerbes de fleurs ont été accueillis à l’aéroport de Bagdad par le Premier ministre Moustafa al-Kazimi.
Le chef du gouvernement a rencontré à l’aéroport les familles, selon ses services. Les proches des victimes ont récupéré les corps pour organiser les enterrements, qui se feront pour la plupart dans la ville sainte de Najaf comme le veut la tradition chiite.
Jeudi a été décrété journée de deuil national et l’opinion publique irakienne ne décolère pas au lendemain de la tragédie ayant fait neuf morts et 23 blessés dans le district de Zakho.
La plupart des victimes sont des touristes irakiens du sud ou du centre, qui ont l’habitude de fuir les chaleurs caniculaires estivales pour trouver un peu de fraîcheur dans la région montagneuse du nord, à la frontière avec la Turquie.
Bagdad a convoqué jeudi l’ambassadeur de Turquie pour lui remettre « une lettre de protestation », selon un communiqué, l’Irak « appelant la Turquie à régler ses problèmes intérieurs loin des frontières de l’Irak et sans nuire à son peuple ».
– Un « choc » –
Dans une maison à Bagdad, Nour fait partie des amis venus présenter leur condoléances pour la mort de Abbas Alaa. Ingénieur de 24 ans marié depuis une semaine à peine, Abbas était avec son épouse au Kurdistan pour leur lune de miel. « Son épouse est blessée », déplore Nour.
Quand la famille revient de l’aéroport avec la victime, l’assistance s’effondre en larmes, certains posant la tête sur le cercueil pour un dernier adieu.
« C’est un choc pour ses amis, ses proches, jusqu’à maintenant on n’arrive pas à y croire », indique Nour.
La Turquie dispose de dizaines de bases militaires depuis 25 ans au Kurdistan irakien et lance régulièrement dans le nord de l’Irak des opérations militaires contre le PKK.
Ces opérations sur le sol irakien compliquent les relations entre le gouvernement central irakien et Ankara, un des premiers partenaires commerciaux de l’Irak.
Jeudi matin, près d’un centre de délivrance de visas turcs à Bagdad, placé sous haute protection policière, quelques dizaines de manifestants ont réclamé l’expulsion de l’ambassadeur turc, selon un photographe de l’AFP.
« A la Turquie et à l’ambassade, on leur dit ça suffit », a lancé l’un d’eux, Ali Yassine. « Ca sert à rien le pacifisme, nous voulons brûler l’ambassade, l’ambassadeur turc doit être expulsé. Notre gouvernement ne fait rien », a fustigé cet homme de 53 ans.
– Drapeaux turcs brûlés –
Mercredi soir et jeudi, des manifestations similaires ont eu lieu à travers le pays, à Kirkouk au nord de Bagdad, ou encore à Kerbala ou Najaf, grandes villes chiites au sud de la capitale.
Des drapeaux turcs ont été brûlés et piétinés, tandis que sur des portraits imprimés par les manifestants le président Recep Tayyip Erdogan était traité de « terroriste ».
Bagdad a durci le ton en exigeant le retrait des forces armées turques de l’ensemble du territoire irakien, même si dans les faits le statu quo devrait l’emporter.
L’Irak a en outre annoncé « le rappel du chargé d’affaires irakien à Ankara pour consultations, et l’arrêt des procédures d’envoi d’un nouvel ambassadeur en Turquie », selon un communiqué officiel.
La diplomatie allemande a condamné l’attaque, appelant à « faire la lumière de toute urgence sur les circonstances et les responsabilités » des tirs.
Paris a dénoncé une « frappe indiscriminée » contre « une aire de loisirs », rappelant « son attachement à la souveraineté de l’Irak et à la stabilité de la région autonome du Kurdistan ».
afp