Accusations de fraudes sur Alzheimer : 15 années de recherche mises à mal ?

Une enquête du journal spécialisé Science révèle que des illustrations dans un article majeur sur la maladie d’Alzheimer ont été trafiquées. Quel impact a cette fraude sur la recherche menée sur cette maladie depuis quinze ans ? Sciences et Avenir fait le point.

La maladie d’Alzheimer touche environ 50 millions de personnes dans le monde. Des malades sans traitement, pour qui la recherche scientifique sur les mécanismes de la maladie est cruciale. Selon une récente enquête du magazine Science, plusieurs études auraient fait l’objet de fraudes et de manipulations. Des découvertes faites après six mois d’investigations à la suite des révélations d’un neurologue, Matthew Schrag, de l’Université Vanderbilt (Etats-Unis)

Truquages possibles sur une étude majeure

Au coeur des interrogations, les travaux du Français Sylvain Lesné, publiés en 2006. Alors postdoctorant dans une étude américaine, il publie dans la revue Nature un article sur Aβ*56, une protéine oligomère, qui provoquerait des troubles de la mémoire une fois injectée à des rats. Des travaux qui vont dans le sens d’autres recherches publiées à l’époque : la maladie d’Alzheimer serait due à l’accumulation de protéines β-amyloïdes agrégées en plaques entre les neurones.

« L’apport de Sylvain Lesné a été de trouver sous quelle forme les peptides sont les plus toxiques et de montrer que les fonctions cognitives sont altérées avec l’accumulation de plaques, ce qui se mesure facilement sur les rongeurs. Tandis que sous forme soluble, les β-amyloïdes sont moins gênants. C’est surtout accumulés en oligomères qu’ils ont des effets sur le malade« , explique le professeur Philippe Amouyel, directeur général de la Fondation Alzheimer à Sciences et Avenir.

Cette étude majeure dans le champ de recherche d’Alzheimer a été citée plus de 2.200 fois dans la littérature scientifique. Mais selon Science, plusieurs images de cette recherche ont été manipulées. « Après une analyse d’images, on a montré que dans l’article scientifique de Sylvain Lesné, plusieurs d’entre elles se ressemblent énormément et sont similaires à 97%. En regardant dans d’autres études publiées, c’est encore la même image qui semble être utilisée« , explique Philippe Amouyel. En tout, plus de 20 articles suspects ont été identifiés.

Par ailleurs, les résultats de l’étude majeure de 2006 publiée dans Nature n’ont jamais été répliqués, ce qui constitue en temps normal une condition pour prouver qu’une recherche est fiable. « Aujourd’hui en science, la moitié des résultats ne sont jamais confirmés« , regrette Philippe Amouyel. « Il y a d’une part des gens de bonne foi, qui vont publier par erreur un artefact (une erreur survenue lors des manipulations, ndlr) à leur insu. Ou alors, dans une logique de publish or perish (la pression que subissent les chercheurs à publier à tout prix des articles scientifiques pour continuer leur carrière, ndlr), les chercheurs sont amenés à faire des choses qui enfreignent le principe même de la publication scientifique, c’est-à-dire publier des informations fiables et vérifiées. »

Le simufilam, un médicament à retirer du marché ?

Autre point sulfureux soulevé par l’enquête de Science : les travaux sur le simufilam, un médicament contre Alzheimer du laboratoire Cassava Sciences et basé justement sur l’idée que les β-amyloïdes sont en cause. Un sujet pour lequel Matthew Schrag a été contacté par un cabinet d’avocats, afin d’examiner les études réalisées autour de cette molécule.

Selon le laboratoire, le simufilam aurait la propriété de stabiliser une protéine (la filamine A), ce qui aurait pour bénéfice de stabiliser plusieurs protéines dans le cerveau, parmi lesquelles les β-amyloïdes. Aux Etats-Unis, une pétition a été réalisée auprès de la FDA (la Food and Drug Administration, chargée de valider la mise sur le marché des médicaments) pour dénoncer le fait que ces résultats n’ont été prouvés que dans les études du laboratoire Cassava. « Malgré les demandes de stopper les essais cliniques, ceux qui ont été entamés sont toujours en cours. La FDA a déclaré vouloir enquêter afin de savoir si le médicament doit être retiré du marché« , précise le Pr Amouyel.

L’aducanumab, « propulsé » malgré les critiques

En 2021, la mise sur le marché de l’aducanumab aux Etats-Unis avait déjà fait grincer des dents. Cette molécule, qui ne guérit pas la maladie d’Alzheimer mais qui permettrait d’agir sur un de ces processus, est destinée aux stades précoces de la maladie. Le principe actif de l’aducanumab est un anticorps monoclonal anti-amyloïde dont l’effet est de combattre les formes solubles et insolubles des peptides amyloïdes pour freiner ou réduire les signes cliniques de démence.

Or les essais cliniques réalisés avec ce médicament ont montré des résultats en dents de scie. « Le médicament a été approuvé malgré l’avis négatif du comité scientifique de la FDA. A mon avis, il a été propulsé malgré tout car il y a une pression énorme pour trouver une réponse à la maladie d’Alzheimer, et pas parce-que les résultats qu’il a montrés étaient robustes sur le plan scientifique« , explique à Sciences et Avenir, Bryce Vissel, professeur en neurosciences à l’Université de Nouvelle-Galles du Sud et spécialiste des controverses autour des protéines β-amyloïdes.

15 ans de recherche pour rien ?

Avec ces révélations, le monde de la recherche autour d’Alzheimer tremble depuis plusieurs jours. Mais les recherches menées depuis 2006 ne sont pas pour autant mises à mal. « L’histoire ne s’effondre pas« , explique le Pr Amouyel, qui avec le Pr Vissel, estime que la science derrière cette maladie va tout simplement bien au-delà de la seule théorie des protéines β-amyloïdes.

Le rôle de l’immunité, des lipides, de la protéine tau sont autant de pistes qui restent à explorer en parallèle de la théorie des plaques de protéines. « Bloquer ou supprimer les β-amyloïdes n’est probablement pas la seule réponse à Alzheimer. Il est toujours possible que les médicaments développés dans ce sens montrent une efficacité. Attendons de voir les résultats. Mais le mystère ne sera pas résolu avec cette seule théorie« , complète le Pr Vissel.

Les recherches n’ont donc pas été vaines. Et l’enquête de Science laisse toujours la porte ouverte au doute. Matthew Schrag et le magazine ont demandé à travailler sur les données brutes utilisées dans les études mises en cause afin d’essayer de reproduire les résultats obtenus. Mais pour le moment, personne n’a accepté de les transmettre.

sciencesetavenir

You may like