Accès aux soins : double peine pour les détenus malades

Le récent rapport de l’Observatoire International des Prisons (OIP) rendu public cet été, pointe les nombreuses failles de la prise en charge sanitaire des 70.000 personnes aujourd’hui détenues en France. Il soulève aussi les limites du déploiement en cours au niveau national de la télémédecine, une vraie fausse solution au manque chronique de moyens humains.

Le manque d’accès aux soins en prison est récurrent

« J’ai fait ma coloscopie attaché au lit, avec l’escorte présente dans la pièce », écrit un détenu. « J’ai eu une prise de sang par cathéter à la main, avec les menottes », indique un deuxième. Au centre de détention de Roanne, n’ayant pu obtenir d’examen gynécologique pendant sa détention, une jeune femme de 26 ans a dû attendre un an et demi avant de pouvoir, lors d’une sortie pour aménagement de peine, réaliser enfin un frottis qui mettra en évidence un cancer du col de l’utérus et nécessitera une intervention chirurgicale en urgence. Autant de tristes témoignages tous issus du récent rapport de l’Observatoire International des Prisons (OIP) rendu public cet été.

De nombreux prisonniers de plus de 60 ans
Au-delà de l’indignité des soins, du retard au diagnostic lié au manque de moyens humains et à l’insuffisance des équipements, il en ressort que l’accès aux soins spécialisés (consultations ophtalmo, kinésithérapie, dentiste, dermatologie mais aussi psychiatrie….) s’avère, dans le milieu carcéral, particulièrement compliqué, parfois même impossible.

Dès lors, comment ces populations, dont l’état de santé est souvent déjà dégradé au moment de l’incarcération, peuvent-elles être accompagnées sur le plan sanitaire au cours de leur détention ? Comment conjuguer longues peines et prise en charge au long cours des maladies chroniques présentes chez les prisonniers de plus de 60 ans dont la proportion a quadruplé entre 1980 et 2021, passant de 0,9% à 4,2% ?

Autant de questions et d’éclairages précieux apportés par les 40 pages de ce rapport pour le moins accablant. Précieux car le sujet est, on le sait, très insuffisamment documenté à ce jour, le focus ayant, ces dernières années, surtout été mis sur la santé mentale (voir encadré ci-dessous), le Comité Consultatif National d’Ethique (CCNE) s’en étant d’ailleurs inquiété dès 2006, en évoquant « le déplacement des soins de l’hôpital psychiatrique vers la prison ».

Plus de télémédecine, mais pas plus de moyens humains
Derrière les barreaux, « les besoins en matière sanitaire sont énormes », précise le récent rapport. Qui poursuit : « Le suivi requis par certaines pathologies semble, à bien des égards, incompatible avec les restrictions imposées par les logiques pénitentiaires ».

Issu d’une longue enquête de plusieurs mois, ce rapport s’appuie sur cinq sources distinctes : des témoignages de détenus et de leurs proches transmis directement à l’OIP, les réponses à un questionnaire adressé à un groupe de détenus avec lesquels l’OIP est en contact régulier, une enquête sur la télémédecine en prison datant de 2021, des entretiens réalisés avec une quinzaine de médecins coordonnateurs des unités sanitaires en milieu pénitentiaire (USMP, il en existe 187) et des conseillers d’insertion et juges d’application des peines. Et enfin, les différents rapports d’activité d’USMP et d’unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA), réservées elles, aux troubles mentaux.

Au total, le rapport dresse donc un état des lieux assez déplorable de l’accès aux soins spécialisés, identifie de nombreux freins (manque de moyens humains, manque d’équipements, impossibilité de faire entrer en détention le matériel médical pourtant prescrit par les soignants, violation du secret médical… ).

Il pointe aussi le déploiement de la télémédecine actuellement en cours au niveau national, sans augmentation parallèle de moyens humains et matériels. Or, « la télémédecine doit servir à améliorer l’accès aux soins, pas à venir pallier l’absence de professionnels », pointe le Dr Béatrice Carton, médecin cheffe de l’Unité Sanitaire de la Maison d’arrêt de Bois d’Arcy et présidente de l’Association des Professionnels de Santé exerçant en Prison (Apsep).

Et l’OIP de conclure en proposant une série de recommandations afin de réduire l’effet « double peine » qui s’exerce sur les détenus malades pour faire en sorte que le principe d’égalité des soins entre personnes détenues et population générale, pourtant bien inscrit dans la loi depuis 1994, s’avère un jour enfin une réalité.

La santé mentale en prison

Les faits sont bien connus, la santé mentale des personnes incarcérées n’est pas bonne : troubles psychotiques, troubles de la personnalité, troubles liés au stress, addictions… Selon la seule étude épidémiologique menée en 2006 par l’Inserm, un détenu sur quatre est atteint d’un trouble mental.

Mais peu d’études se sont penchées sur le nombre d’hospitalisations psychiatriques dans cette population. Suite à l’ouverture progressive depuis 2010 de neuf unités hospitalières psychiatriques à temps plein et exclusivement réservées aux personnes incarcérées, les unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA, 440 lits), une étude récente parue au printemps dernier pointait… leur échec.

Menée sur les données analysées entre 2009 et 2019, toutes issues du PMSI (les fiches remplies lors des entrées à l’hôpital en fonction du diagnostic), elle montrait que le taux d’hospitalisation complète en psychiatrie des personnes incarcérées avait sur cette même période de 10 ans augmenté de 50,6%. Et les auteurs concluaient logiquement que la création des structures dédiées n’avait donc pas permis de réduire l’hospitalisation en hôpital psychiatrique.

Selon l’étude de 2006 de l’Inserm, 3,8 % des détenus souffraient clairement de schizophrénie et nécessitaient un traitement approprié.

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