Il n’est pas rare de trouver, dans les catalogues des opérateurs de télécom, des forfaits mobile montant jusqu’à 150, 200 voire 250 gigas. Ces enveloppes data alléchantes, bien souvent proposées à des prix très bas, ont vite fait d’attirer l’œil des clients. Du véritable pain bénit pour les opérateurs mobiles. Toutefois, le revers de la médaille n’a rien de radieux : cette course à la data et à la surconsommation entraîne dans son sillage une pollution numérique assez inquiétante.
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Données mobiles et impact écologique : le coût réel de la course à la surenchère
A l’heure où tous les terminaux mobiles sans exception offrent un accès internet, il est devenu presque impensable de ne pas posséder (au moins) un forfait mobile avec 100 Go de data internet. Ce chiffre, indiqué en gros sur les publicités des forfaits mobiles, représente les données disponibles pour l’accès internet sur mobile. Plus ce chiffre est gonflé, plus l’usager profite de dizaines, voire de centaines d’heures de navigation internet sur son smartphone.
Or, ces dernières années, on note une recrudescence record des usages connectés sur mobile. Le développement rapide des applications mobiles de réseaux sociaux et de plateformes de streaming ont d’ailleurs accompagné cette tendance : le smartphone est devenu un objet incontournable. L’utilisateur moderne se sert de son smartphone comme d’un ordinateur : les usages se transforment et deviennent nomades, les séries télévisées sont visionnées en streaming dans le métro et les réseaux sociaux sont consultés à toute heure. L’édition 2021 du baromètre du numérique, publié chaque année par l’Arcep, souligne ainsi que 84% des français possèdent un smartphone, un chiffre en hausse de 7 points par rapport à l’année passée.
L’Arcep relève également que plus de 83% de la population française se connecte à internet tous les jours et que 87% des usages numériques sur smartphone concernent la navigation internet. Pas étonnant, alors, que la demande pour des forfaits mobiles avec des grosses enveloppes data augmente et que les opérateurs mobiles soient là pour y répondre. Avec le temps, l’enveloppe data des forfaits mobiles est donc devenue l’argument principal de vente des opérateurs de télécoms.
Néanmoins, cette course virtuelle à la data pourrait bien avoir un impact fort dans le monde réel. Depuis le mois de janvier 2022, les opérateurs sont tenus d’afficher en grammes équivalent CO2 l’impact numérique de ces enveloppes data. C’est la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire, entrée en vigueur le 1er janvier 2022, qui a instauré cette nouvelle obligation pour les opérateurs. Entre deux articles concernant la réduction des déchets et la préservation des ressources naturelles, le texte de loi stipule en effet que les opérateurs ont désormais le devoir “d’informer les clients sur le coût carbone de leurs consommations numériques”.
Dans les faits, L’Arcep considère aujourd’hui que les secteurs du numérique et de la téléphonie mobile sont responsables de plus de 2,5% des émissions de gaz à effet de serre en France et plus de 4% à l’échelle mondiale, dont 55% proviennent du trafic de données sur mobile. Si ce chiffre semble, de premier abord, assez réduit, voici une mauvaise nouvelle : il risque de doubler d’ici à 2025.
Le calcul de l’impact écologique proposé par l’ADEME est remis en question
Depuis janvier 2022, via leur espace client, les usagers des principaux opérateurs de téléphonie mobile peuvent donc découvrir l’impact réel de leur consommation internet mobile. Exprimée eqCO2 (équivalent CO2), elle confronte les usagers à une dure réalité : la consultation des réseaux sociaux, l’écoute de musique en streaming ou le visionnage de vidéos équivaut, selon leur consommation, à la pollution engendrée par quelques kilomètres parcourus en voiture, plusieurs baignoires remplies d’eau ou encore à la consommation d’une ampoule restée allumée pendant plusieurs jours. Grâce à ce système, les clients prennent conscience de l’impact de leurs usages numériques : chaque information recherchée, chaque vidéo visionnée mobilise des ressources matérielles et énergétiques qui génèrent du gaz à effet de serre. Ainsi, on considère qu’un gigaoctet de données internet mobile consommé représente 49,4 g de CO2 rejeté dans l’atmosphère.
Cette loi espère ainsi participer au changement et encourager les clients à consommer de façon plus responsable. Pour adopter des bonnes pratiques, l’Arcep préconise ainsi une activation du réseau WiFi plus fréquente lorsque cela est possible afin de moins surcharger les réseaux internet mobile. Les usagers mobiles sont également encouragés à visionner leurs vidéos en basse définition, ou même à les télécharger lorsque cela est possible pour consommer ainsi moins de data internet. Ce faisant, les terminaux et les infrastructures intervenant dans le stockage et le transfert de données sont moins sollicités : l’impact carbone du numérique tend alors à être réduit.
Si cette méthode de calcul mise en place par l’ADEME part d’un bon sentiment, elle trouve très rapidement ses limites. Certains critiquent ainsi ouvertement la formule employée pour calculer l’empreinte carbone des usagers, se basant sur un volume de CO2 généré pour un volume de data consommées. Les choix méthodologiques sont alors vivement critiqués : si la formule prend en compte certains facteurs, elle en oublie d’autres jugés essentiels comme l’empreinte carbone du développement et de la maintenance des applications et logiciels utilisés ou encore le coût carbone de la fabrication des infrastructures mobiles. L’équivalent carbone proposé aujourd’hui aux clients sur leur espace client est alors très approximatif et jugé bien trop éloigné de la réalité.
D’autres professionnels du digital comme Gilles Babinet, vice-président du Conseil national du numérique, fustigent encore un système simpliste et biaisé, laissant de côté de nombreux avantages du numérique dans la lutte contre le réchauffement climatique. Les applications sur mobile Bla Bla Car et Too Good To Go sont ainsi régulièrement citées pour leur engagement fort contre le gaspillage et les émissions de gaz à effet de serre. Faut-il alors considérer que les émissions de CO2 générées par la consultation de ces applications sont neutralisées par leurs bienfaits ?
Enfin, certains voient, dans ce calcul, une certaine forme d’hypocrisie écologique. Pierre Beysac, activiste du numérique et porte-parole du Parti Pirate en France, ne s’est pas gêné pour faire entendre sa voix face à ces nouvelles directives qu’il taxe d’”arnaque intellectuelle”. Dans un long texte publié sur son site personnel, l’activiste du numérique appelle à la mise en place de “méthodologies plus rigoureuses permettant un ciblage utile des efforts à réaliser“. En effet, sur le marché des télécoms, la consommation data des clients est loin d’être l’activité ayant le plus gros impact sur l’environnement. Cet impact peut même être rapidement divisé par 2, voire même annulé en se tournant vers un forfait mobile pas cher, proposant peu de data internet et permettant une meilleure gestion de ses consommations. Toutefois, même une réduction drastique de la consommation des clients n’aura qu’un tout petit impact sur l’empreinte carbone des grosses entreprises de télécom.
Smartphone, surconsommation et désastre écologique : le problème se trouve ailleurs
Il faut s’intéresser à d’autres problématiques pour mettre le doigt sur des dangers de plus grande envergure. On peut notamment citer la surconsommation de smartphones alimentée par les opérateurs de télécoms proposant des téléphones neufs avec leurs offres mobiles. Depuis 2007, l’année de lancement du premier iPhone par la marque Apple, c’est ainsi plus de 10 milliards de smartphones qui ont été vendus dans le monde.
L’ADEME considère aujourd’hui que plus de 88 % des français changent régulièrement de smartphone alors même que leur ancien terminal fonctionne encore. En moyenne, les usagers conservent leur smartphone entre 2 et 3 ans avant d’en changer. La faute aux offres promotionnelles, aux effets de mode et à la publicité qui pousse les clients dans un mode de consommation rapide et jetable.
Or, la fabrication d’un smartphone a de lourdes conséquences écologiques. Pour produire un terminal connecté, il faut ainsi jusqu’à 70 matériaux différents et plus de 50 métaux dont certains métaux précieux. C’est alors l’extraction des minerais nécessaires à la fabrication des smartphones qui pose notamment le plus de problèmes. Les exploitations minières chargés de l’extraction de ces minerais sont ainsi responsables de la destruction d’écosystèmes, mais aussi de la pollution de l’air et de l’eau en raison des procédés d’extraction chimiques utilisés. Dans son bulletin d’information sur le poids écologique des smartphones, L’ADEME relève que les ¾ de l’impact environnemental d’un smartphone interviennent lors de sa fabrication.
En chine, l’un des pays hébergeant un grand nombre d’exploitations minières, l’extraction d’une tonne de métaux rare entraîne la pollution de 75 000 mètres cube d’eau et la production de plus d’une tonne de déchets radioactifs. La production de smartphone est alors un véritable désastre écologique à tous les niveaux. Sur les plans économique et social, il faut également parler des conditions de travail désastreuses et du non-respect des droits humains fondamentaux pratiqués dans bon nombre de ces exploitations.
Il reste encore un long chemin à parcourir pour accéder à une conscience écologique marquée.
Si la consommation data des clients fait indubitablement partie du problème, elle ne constitue malheureusement que la partie immergée de l’iceberg. En revanche, la course à la data et à la nouveauté alourdissent de façon conséquence le bilan carbone de l’industrie du numérique.
Face à toutes ces problématiques, il faut néanmoins louer les tentatives des opérateurs téléphoniques de choisir une nouvelle approche. Certains font ainsi le choix d’un mode de consommation plus modéré, comme TeleCoop qui lutte contre l’obsolescence programmée des terminaux mobiles. De plus en plus d’opérateurs s’équipent également en smartphone d’occasions reconditionnés pour appeler à une sobriété dans le mode de consommation. Enfin, Source Mobile, un opérateur de Bouygues Telecom, encourage une consommation plus responsable de ses données mobiles en donnant l’occasion à ses clients de réinvestir leurs gigas non consommés dans des œuvres de charité.
Si ces actions sont certes louables, elles sont encore trop rares pour faire la différence. La réduction de l’impact écologique du secteur du numérique et de la téléphonie mobile doit passer par une refonte totale du système. La surconsommation et la course à la nouveauté à laquelle les clients sont habitués entraînent une pollution record : il est alors urgent de se tourner vers un mode de vie plus sobre afin de réduire durablement l’impact écologique et d’atteindre le sacro-saint objectif de la neutralité carbone.
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