En Afrique, les missions de l’ONU « en fin de course »

Le gouvernement congolais a appelé au départ du porte-parole de la Monusco, la mission des Nations unies, a-t-on appris mercredi, alors qu’une vague de violentes manifestations contre la présence des Casques bleus a fait 36 morts. Le 20 juillet dernier, les autorités maliennes avaient elles aussi expulsé le représentant des Nations unies, dans un contexte de fortes tensions. Comment expliquer cette défiance grandissante vis-à-vis des forces de l’ONU en Afrique ? Entretien.

La mission des Nations unies en République démocratique du Congo se dirige-t-elle vers un retrait anticipé ? Un courrier rendu public mercredi 3 août révèle que le gouvernement congolais a demandé à l’ONU le départ de son porte-parole dans le pays. Une requête qui intervient dans un contexte de violentes manifestations dans l’est du pays contre la présence des Casques bleus, qui a coûté la vie à 36 personnes en une semaine.

Présente depuis 22 ans dans le pays, la mission de l’ONU en RDC (Monusco), est l’une des plus importantes et des plus coûteuses au monde, avec quelque 14 000 soldats de la paix sur le terrain. Mais son efficacité est remise en question par la population, notamment dans la région du Kivu, où les civils sont la cible d’exactions de groupes armés.

Pour faire le point sur cette crise de confiance à l’égard des Casques bleus, France 24 s’est entretenu avec Michel Luntumbue, chercheur au Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité (GRIP), spécialiste des questions sécuritaires en Afrique.

Comment expliquez-vous cette soudaine montée de tensions autour de la présence de la Monusco dans le pays au cours des dernières semaines ?

Cette crise doit être replacée dans le contexte sécuritaire complexe et fragile de la République démocratique du Congo. Il s’agit d’un pays immense, aux richesses fabuleuses mais dirigé par un pouvoir faible et qui suscite les convoitises de puissances étrangères ainsi que des pays riverains depuis plusieurs décennies.

L’insécurité dans le Kivu, à l’est, date de la crise des réfugiés déclenchée par le génocide rwandais (du 7 avril au 17 juillet 1994). Mais plus généralement, le pays souffre d’un déficit de contrôle sur son territoire depuis la guerre de 1996, qui a entrainé la fin du long règne de Mobutu, remplacé par Laurent-Désiré Kabila.

Aujourd’hui, l’est du pays fait face à la résurgence des rebelles du M23, que l’État congolais accuse le Rwanda de soutenir. Cette rébellion composée de soldats mutinés issus de la communauté rwandophone avait lancé une offensive en 2012 et pris la ville de Goma. Une brigade avait alors été mise en place au sein de la Monusco pour appuyer l’armée, ce qui avait permis de le neutraliser.

Après près d’une décennie d’exil dans les pays voisins, un groupe reconstitué du M23 a lancé, depuis mars 2021, plusieurs attaques contre les bases de l’armée. Cette nouvelle menace s’ajoute à la multitude de groupes armés déjà présents dans cette zone et qui commettent des exactions, avec en première ligne le ADF-Nalou, affilié à l’État Islamique, responsable actuellement du plus grand nombre de morts chez les civils.

Cette aggravation de la situation sécuritaire intervient alors que la Monusco a entamé un processus de désengagement avec une réduction de ses troupes, dans l’optique d’une sortie du pays prévue en 2024.

Il y a en RDC un phénomène certain de lassitude vis-à-vis de cette mission, présente depuis plus de vingt ans et que beaucoup de citoyens considèrent inefficace. À cela s’ajoute le sentiment de frustration face au désintérêt de la communauté internationale à l’égard de la situation dans le pays. Les Congolais se considèrent agressés par le Rwanda mais regrettent que, contrairement au conflit entre l’Ukraine et Russie, cette « agression » ne soit pas reconnue comme telle et que l’Occident continue à faire des affaires avec Kigali.

Plusieurs pays africains ont questionné l’efficacité des Casques bleus sur leur sol ces dernières années. C’est notamment le cas du Mali où le Premier ministre a appelé à repenser le positionnement de la mission et à mettre en place un mandat « plus robuste ». À quoi tiennent ces critiques ?

Ces critiques tiennent au fait que les Casques bleus ne sont pas une force offensive. Ils ne sont pas là pour faire la guerre mais pour empêcher que celle-ci ait lieu. Les missions des Nations unies sont déployées sur la base du consentement de l’État hôte, lorsque la situation dans le pays représente une menace pour la paix et la sécurité internationale. Le but est d’accompagner un processus politique de dialogue et de réconciliation nationale.

En théorie, le recours à la force se limite au cas de légitime défense ou de défense du mandat. cette force ne doit en aucun cas devenir partie prenante au conflit. Ce principe d’impartialité est essentiel pour garantir aux forces onusiennes le rôle d’arbitre.

Face à la mutation du contexte sécuritaire et à la montée des menaces asymétriques, certains acteurs internationaux souhaitent voir évoluer les opérations de la paix vers des mandats plus offensifs, avec notamment la mise en place de brigades, sur le modèle de la force d’intervention de la Monusco, pour lutter efficacement contre les groupes armés, comme ce fut le cas contre les forces du M23 en 2013.

Le problème est que cette formule de brigade offensive est beaucoup moins efficace face aux groupes armés non conventionnels qui pullulent dans l’est de la RDC comme au Sahel. Dans l’est du Congo, ces groupes vivent de la prédation des ressources naturelles et ciblent les populations, parfois sans projet politique clairement identifiable, et cette situation rend la protection des communautés locales extrêmement complexe.

Ces tensions autour de la présence des Casques bleus peut-elle à votre sens conduire au retrait des missions onusiennes en Afrique ?

Il y a indéniablement une tendance lourde : les opérations multidimensionnelles de grande taille déployées en Afrique arrivent en fin de course.

Avec l’évolution des conflits et la multiplication des acteurs, ces missions deviennent trop complexes sur le terrain. Le climat actuel de « quasi-guerre froide » au sein du Conseil de sécurité aura immanquablement un impact sur l’évolution des opérations de paix onusiennes. Le leadership des Nations unies se trouve quelque peu fragilisé par la guerre en Ukraine qui rend difficile l’atteinte du consensus sur certaines questions, dont l’évolution des mandats de missions.

À cela s’ajoutent les calculs politiques des dirigeants. Le président congolais Félix Tshisekedi, favorable à la collaboration avec la Monusco, se trouve aujourd’hui dans une position délicate. Son positionnement sur cette question va avoir un impact lors de l’élection de 2023 car les deux provinces du Kivu sont de gros réservoirs de voix. Il est désormais contraint de taper du point sur la table et affirme qu’il veut revoir le calendrier de sortie de la mission.

Au Mali, le phénomène est inverse puisque les critiques contre l’ONU viennent en premier lieu du gouvernement. Mais les autorités savent qu’en jouant cette carte elles surfent sur le sentiment souverainiste qui fédère les électeurs.

Dans ce contexte, on peut s’attendre à un effet boule de neige des appels au retrait de ces forces ou, à minima, des demandes d’évolution de leurs modalités. Le scénario qui semble le plus plausible aujourd’hui reste celui d’un retrait graduel des Casques bleus, remplacés à terme par des forces militaires régionales, plus offensives, soutenues par les Nations unies.

Cette option permettrait à la fois de passer la main en évitant de créer un vide sécuritaire et d’adapter les règles d’engagement de l’ONU, jugées aujourd’hui insuffisamment en phase avec les défis sécuritaires actuels.

france24

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