Critique Bullet Train : l’anti-John Wick de Brad Pitt

Bénéficiant d’une autoroute avec une période estivale délaissée par les grosses machines hollywoodiennes, Bullet Train entend bien nous offrir notre dose de pétarade décomplexée. Et en plus, il y a Brad Pitt.

Au sein d’un été bien morne en blockbusters made in Oncle Sam où seuls Top Gun : Maverick et Thor : Love & Thunder se disputent le bout de gras dans les salles obscures, Sony y a vu l’opportunité de s’y tailler une belle part de lion et déploie, face à la concurrence en perte de vitesse, son film d’action à 320 km/h : Bullet Train.

Un titre qui s’inspire de l’expression utilisée par les Anglo-saxons pour désigner le Shinkansen, le fameux train haut de gamme japonais. Jusqu’à là, rien d’excitant nous direz-vous, sauf que le réalisateur David Leitch a placé à bord Brad Pitt et une flopée d’assassins. Et si, on ne sait par quel miracle, vous avez réussi à esquiver le matraquage promotionnel entre affichages en ville, pubs tv, sur les réseaux sociaux, au cinéma, etc. (on serait curieux de connaître le budget marketing) et que vous ne savez toujours pas de quoi ça parle, on vous résume le délire.

Coccinelle est un mercenaire persuadé d’être particulièrement malchanceux. Il se voit confier une mission en apparence toute simple : dérober une mallette à bord du Shinkansen. Ce qui tombe plutôt bien puisqu’il entend désormais accomplir son travail le plus pacifiquement du monde, sans arme ni violence. Sauf que plusieurs assassins aux intérêts divergents se trouvent également dans le train et qu’ils sont tous intéressés par la mallette. Pour Coccinelle, le plus dur commence : parvenir à descendre.

Après le succès de John Wick, le duo d’anciens cascadeurs devenus réalisateurs Chad Stahelski et David Leitch se séparent. Le premier continue de diriger un Keanu Reeves flinguant le monde entier (le quatrième opus sort en mars 2023) tandis que le second multiplie les projets avec pour seule ligne de conduite un cinéma d’action désinhibé où on doit y avoir la punchline facile et un pète au casque.

On ne saurait dire si David Leitch est un sorcier vaudou ou si notre passion pour le plomb et la gaudriole au cinéma nous aveugle constamment, mais chacun de ses films s’annonce toujours comme une délicieuse promesse sur le papier (Atomic Blonde, Deadpool 2, Fast & Furious : Hobbs & Shaw) avant de se rendre compte que le résultat final n’atteint, dans la douleur, qu’un tiers de son potentiel (Atomic Blonde, Deadpool 2, Fast & Furious : Hobbs & Shaw). Désillusion, frustration et surtout mémoire de poisson rouge puisqu’on repart pour un tour, et avec envie en plus.

Faut secouer, sinon la pulpe, elle reste en bas !

Bullet Train est un pur produit d’Hollywood de ces quinze dernières années avec toute la panoplie qui va avec. Une caméra qui joue sur le zoom pour l’effet comique, des digressions verbeuses qui parviennent à camoufler que niveau séquences d’action, tout a été vu pendant la promotion du film, une bande-son pop pour le sens du décalage et des ralentis pour le style.

Le long-métrage continue ainsi de prouver que David Leitch est plus un commercial qu’un réalisateur, parvenant à nous vendre une contre-façon qui mélange tout le travail des copains en s’inspirant allégrement des Tarantino, Gunn, Snyder, Rodriguez et tout ceux qui ont posé les bases de la pop-culture cinématographique moderne. Une sorte de melting pot où on a conservé les idées, mais pas le talent puisque même niveau baston, la mise en scène clipesque de Leitch nous laisse penser que Stahelski était le vrai chef d’orchestre de l’ancien duo (ce dont les opus suivants du Baba Yaga nous avaient déjà convaincu en vérité).

Avant que vous nous traitiez de pisse-froid ou d’agents à la solde du lobby du jean délavé, Bullet Train n’est pas un métrage raté pour autant. Et cela ne tient pas à la présence de Joey King dont chaque apparition agaçante semble crier « Regardez moi, je suis dans un film avec Brad Pitt ! », mais en celle de ses partenaires. En premier lieu, le duo Aaron Taylor-Johnson et Brian Tyree Henry monte étonnamment en puissance au fil des minutes et on finit par s’y attacher. Dans une pluie de stars, ils parviennent à briller bien au-dessus de leurs camarades fantomatiques.

Et puis il y a Coccinelle, mieux connu sous le nom de Brad Pitt. Est-ce que Bullet Train aurait la même saveur sans sa tête d’affiche ? La réponse est évidente. Brad joue le parfait looser qui s’amuse avec délectation à égratigner son statut de sex-symbol. Bob sur la tête, grosse lunettes, pacifiste, maladroit, un brin lâche et complètement à côté de la plaque, Coccinelle est l’anti-héros par excellence, celui qu’on ne remarque pas et qui se fait tuer minute une dans le scénario classique. Un rôle de type ordinaire à contre-emploi qui aurait pu devenir une épine dans le pied en le confiant à une star dont le charisme n’est plus à prouver, mais qui, au contraire, ne fait que démontrer, encore une fois, quel formidable acteur Brad Pitt est.

Avec lui en tête de gondole, le film parvient à faire son petit effet, notamment parce que l’entreprise ne semble pas dirigée par cynisme, mais par un gamin amoureux du cinéma d’action des années 80-90 qui, même s’il n’a pas le talent, a l’envie de nous divertir avec la plus grande désinvolture. Si on accepte de mettre au placard tout ce qu’on a déjà vu ailleurs (la fameuse mémoire de poisson rouge) et qu’on prend quelques substances hallucinogènes, Bullet Train s’apprécie comme le divertissement estival honnête et sans prétention dont on ne ressortira pas plus intelligents, mais qui ne nous aura, au moins, pas pris pour des idiots.

JDG

You may like