À la prestigieuse université de Yale, des chercheurs ont mené une expérience qui pourrait bien révolutionner la greffe d’organes. Grâce à une nouvelle technique baptisée OrganEx, ils ont réussi à relancer partiellement l’activité cellulaire de certains organes chez un cochon mort depuis une heure.
Des organes qui repartent malgré la mort cérébrale
En effet, tous les organes en question n’ont absolument pas recommencé à fonctionner normalement, comme si rien ne s’était passé. L’arrêt de la circulation sanguine a provoqué des dégâts considérables sur la majorité des tissus, à commencer par le système nerveux ; tous les cobayes étaient dans un état de mort cérébrale complète et irréversible.
En revanche, les chercheurs ont tout de même constaté des signes encourageants. Le cœur, par exemple, s’est remis à produire une petite activité électrique. Certains autres organes, comme les reins, le foie et les poumons, ont également montré des signes d’activité.
« Nous avons restauré certaines fonctions cellulaires à travers de multiples organes qui auraient dû être morts sans notre intervention », explique le neurobiologiste Nenad Sestan. « Ces cellules fonctionnent alors qu’elles auraient dû cesser de le faire il y a des heures ! »
Pour y parvenir, les chercheurs se sont basés sur un cocktail d’électrolytes, de vitamines, d’acides aminés et de nutriments. Ils y ont aussi ajouté des anti-inflammatoires et d’autres substances censées limiter le stress cellulaire. Ils ont ensuite mélangé ce sérum avec du véritable sang de cochon avant de le réchauffer à la température corporelle, puis de le renvoyer dans le système circulatoire.
L’ECMO du futur ?
Le système rappelle vaguement l’ECMO, ou extracorporeal membrane oxygenation. C’est une technique utilisée en hôpital qui permet d’oxygéner l’organisme d’un patient dans une situation d’urgence absolue, par exemple lorsque le cœur et les poumons ont tous les deux cessé de fonctionner.
Selon les chercheurs de Yale, leur technique s’est cependant montrée bien plus efficace pour remettre les fluides en mouvement dans les organes. En testant l’ECMO sur un groupe de contrôle, ils ont conclu que cette approche provoquait davantage de gonflements et d’hémorragies par rapport à l’OrganEx. Mais surtout, l’ECMO qui ne fait que repousser l’inéluctable ; l’OrganEx, en revanche, semble stimuler certains mécanismes de régénération cellulaire de l’organe !
« Ce système montre qu’il est possible non seulement ralentir les dégâts cellulaires, mais aussi d’activer des processus au niveau génétique pour favoriser la réparation cellulaire », explique Brendan parent, un professeur de bioéthique à l’Université de New York non associé à l’étude.
Pour les chercheurs, c’est un résultat très encourageant ; il pose la base d’une approche qui pourrait permettre d’allonger considérablement la fenêtre pendant laquelle un organe reste viable après la mort du donneur. Sur le papier, cela pourrait permettre à des patients en situation d’urgence vitale de bénéficier d’un organe qui n’aurait pas pu être utilisé autrement. Cela évite donc une perte sèche difficilement acceptable dans ce contexte.
Les chercheurs suggèrent aussi que cette technique pourrait aider à régénérer des organes endommagés chez des patients bien vivants, par exemple après une attaque cardiaque.
Vers une redéfinition de la mort clinique ?
Précisons cependant que c’est loin d’être la première fois que des travaux de ce genre affichent un potentiel énorme ; et comme souvent, pour l’instant, ces travaux sont encore très loin d’avoir la moindre application clinique. Il faudra encore procéder à de nombreuses analyses complémentaires pour vérifier ne serait-ce que la pertinence du concept.
La prochaine étape sera par exemple de tester si ces organes réactivés peuvent effectivement se transformer en greffons viables. Dans le cas contraire, ces travaux perdraient immédiatement une grande partie de leur intérêt. Il faudra aussi valider la réplicabilité du protocole.
L’idée vaut quand même la peine d’être explorée, dans la mesure où elle pourrait aider à sauver la vie de certains patients. On peut même y voir un lien avec les récentes xénogreffes de cœurs de porc à des humains qui ont été testées récemment.
Mais même si cette étape est validée, il restera encore tout un tas de questions éthiques, réglementaires et médicales en suspens. Brendan Parent, estime par exemple que cette étude pourrait même « nous forcer à reconsidérer ce qui est “mort” et ce qui ne l’est pas » ! Il sera donc intéressant de suivre les retombées de ces travaux.