Des chercheurs viennent de confirmer le lien entre les molécules produites par des bactéries intestinales après avoir mangé de la viande et un risque accru de développer des maladies cardiovasculaires. Ces composés chimiques n’expliquent cependant qu’une partie du mécanisme. D’autres facteurs, comme l’insulino-résistance, entrent également en jeu dans ce processus complexe.
Viande transformée et maladies cardiovasculaires
Une consommation régulière de viande rouge et de viande transformée favorise les maladies cardiovasculaires. Certains composés issus de la digestion seraient en partie responsables.
Les maladies cardiovasculaires constituent la principale cause de décès dans le monde, selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS). Consommer régulièrement de la viande rouge et de la viande transformée, comme la charcuterie, semble être un des multiples facteurs impliqués dans la survenue de ces maladies.
Bien que largement étudiés, les mécanismes physiologiques expliquant le lien entre consommation de viande et maladies cardiovasculaires restent controversés. Jusqu’à présent, les études s’étaient plutôt penchées sur les niveaux de graisses saturées et le cholestérol sanguin pour expliquer le lien entre produits animaux et risques cardiovasculaires. Une nouvelle étude publiée le 1er août 2022 dans la revue Arteriosclerosis, Thrombosis, and Vascular Biology révèle cependant le rôle du microbiote intestinal dans les liens entre consommation de viande et survenue de maladies cardiovasculaires.
Les chercheurs ont tout d’abord mis en évidence une augmentation significative de 15% d’événements cardiovasculaires chez les personnes qui mangent de la viande rouge cinq fois par semaine ou plus, par rapport aux individus qui en consomment seulement une fois par semaine ou moins. L’étude suggère également que la L-carnitine, un acide aminé très présent dans la viande rouge, joue un rôle relativement important dans cette augmentation du risque.
La L-carnitine et ses métabolites associés à un risque accru
En effet, en digérant la L-carnitine, les bactéries de notre tube digestif produisent des métabolites, dont est issu le N-oxyde de triméthylamine (TMAO). « Après avoir mangé des aliments d’origine animale, nos microbes intestinaux peuvent transformer les nutriments comme la L-carnitine en γ-butyrobétaïne et crotonobétaïne. Chacun d’eux peut être transformé en TMA par nos bactéries intestinales. La TMA peut ensuite être convertie en TMAO par certaines enzymes du foie », explique à Sciences et Avenir Meng Wang, un des auteurs de l’étude.
Les scientifiques ont découvert qu’une plus forte présence de TMAO et de ses métabolites explique environ 8% à 11% des risques de maladies cardiovasculaires associés à la consommation de viande. « Quelques études ont été faites sur le TMAO et les risques cardiovasculaires mais nous n’avions pas le schéma en entier. Cette étude est la première à montrer le chemin complet entre la viande rouge et les maladies cardiovasculaires en passant par le TMAO », affirme auprès de Sciences et Avenir Mélanie Deschasaux-Tanguy, chargée de recherche en épidémiologie nutritionnelle à l’INSERM, extérieur à l’étude.
Augmentation des inflammations et thromboses
Le TMAO serait donc impliqué dans différents mécanismes ayant des conséquences sur le risque cardiovasculaire. Une récente revue de la littérature indique par exemple que ce métabolite augmenterait l’inflammation vasculaire et le risque de thrombose et diminuerait le transport du cholestérol. « Dans les études testées sur les animaux, le TMAO peut favoriser la coagulation du sang et la formation de plaques dans les vaisseaux sanguins », précise Meng Wang.
Mais pour l’instant, les mécanismes exacts conduisant à ces effets restent flous : « Nous ne savons toujours pas si le TMAO est juste un marqueur de l’état général de la santé cardiovasculaire ou une molécule qui agit directement. Pour l’instant nous pensons que c’est un peu les deux », admet Mélanie Deschasaux-Tanguy.
La TMA est produite par le microbiote au moment de la digestion de la L-carnitine, de la choline et d’autres éléments présents dans les produits animaux, en particulier la viande. Elle est ensuite convertie en TMAO dans notre foie. Le TMAO serait impliqué dans la survenue de maladies cardiovasculaires, en augmentant par exemple l’inflammation vasculaire. Crédit : Zhang X, Gérard P. Diet-gut microbiota interactions on cardiovascular disease. Comput Struct Biotechnol J. 2022 Mar 29.
Près de 4000 participants
Pour mener à bien leur étude, les chercheurs ont récupéré les données de santé de 3931 états-uniens, hommes et femmes, initialement recrutés de 1989 à 1990 et suivis durant 12 ans en moyenne. Ils étaient tous âgés de 65 ans et plus, la moyenne d’âge tournant autour de 73 ans au moment de l’inclusion.
A l’époque, les participants ont tous dû répondre à un questionnaire sur leur fréquence de consommation de viande rouge, de viande transformée, de poisson, de volaille et d’œufs, ainsi que sur leur hygiène de vie. Leur état de santé a été évalué au cours du suivi, notamment le développement de maladies cardiovasculaires.
Avec toutes ces données, plusieurs biomarqueurs sanguins liés à la viande, dont le TMAO, ont pu être mesurés par les auteurs de la récente étude, grâce à des échantillons sanguins prélevés au début de l’étude et à nouveau en 1996-1997. Les chercheurs ont réalisé que les produits de nos bactéries intestinales, au moment de la digestion, n’expliquent pas à eux seuls le lien entre consommation de produits animaux et risque cardiovasculaire.
L’insulino-résistance, meilleure indicateur que le TMAO
« Les relations entre TMAO ou ses métabolites et consommation de viande rouge ou transformée sont très modestes, ce que reconnaissent les auteurs. Cela ne plaide guère pour leur valeur de marqueur alimentaire », commente Didier Chapelot, médecin et enseignant-chercheur en physiopathologie de la nutrition humaine à l’Université Sorbonne Paris Nord, extérieur à l’étude.
Il existe en effet d’autres facteurs pouvant expliquer cette association. Au-delà de ces 8 à 11 %, 90% de l’association viande rouge et maladies cardiovasculaires n’est pas expliquée par le TMAO et les précurseurs associés. Le glucose, l’insuline et la CRP, un marqueur de l’inflammation, expliquent finalement plus ce lien entre viande rouge et maladies cardiovasculaires. « Il semble que même pour la viande, l’insulino-résistance reste l’indicateur biologique majeur sur lequel il faut agir, et ceci peut passer par une multitude de mesures non seulement diététiques mais aussi comportementales comme l’activité physique », précise Didier Chapelot.
Le microbiote est complexe
Il faut également prendre en compte la complexité de notre microbiote : « Il existe une forte variabilité inter-individuelle. Certaines bactéries vont être capables de faire cette transformation de L-carnitine en TMA mais pas toutes. La quantité variable de ces bactéries présentes chez les gens va probablement influencer l’impact que va avoir la L-carnitine sur la production de TMA et le risque cardiovasculaire », ajoute Mélanie Deschasaux-Tanguy.
Pour limiter ce mécanisme, il serait possible d’envisager un traitement qui jouerait sur une modulation du microbiote afin d’éviter de produire du TMAO en excès. « Mais bien sûr, nous pouvons aussi jouer sur la prévention directement. La meilleure piste pour réduire le risque cardiovasculaire lié à la viande étant bien sûr de limiter sa consommation de viande », conseille la chercheuse de l’INSERM.
Plusieurs facteurs à prendre en compte
Il est également important de noter que les maladies cardiovasculaires ne sont pas uniquement expliquées par la consommation de viande. « Les maladies cardiovasculaires sont multifactorielles : l’âge, le tabac, l’alcool ou encore la sédentarité jouent aussi beaucoup », note Mélanie Deschasaux-Tanguy.
Consommer des fruits et légumes, pratiquer une activité physique régulière, dormir suffisamment ou encore adopter un régime à faible index glycémique sont autant de comportements qui permettent de s’assurer une bonne santé cardiovasculaire.
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