Des dizaines d’avions et de navires de l’armée chinoise ont pénétré dans la zone de défense aérienne taïwanaise, vendredi, au deuxième jour des plus grands exercices militaires jamais organisés par Pékin tout autour de l’île. Des manœuvres qui permettent aux experts militaires occidentaux d’étudier la modernisation de l’armée chinoise.
Un hélicoptère militaire chinois survole l’île de Pingtan, l’une des zones de Chine continentale les plus proches de Taïwan, le 4 août 2022, à l’approche d’exercices militaires massifs au large de l’île.
Branle-bas de combat sur l’île de Taïwan, cernée de toute part par des zones d’exercices militaires chinois à tirs réels. Des F-16 taïwanais ont ainsi dû décoller de toute urgence, vendredi 5 août, tandis que 49 avions de chasse chinois pénétraient dans la zone de défense aérienne de l’île, selon un communiqué du ministère taïwanais de la Défense. Treize navires de guerre chinois avaient franchi un peu plus tôt la ligne médiane du détroit qui sépare l’île de la Chine continentale, tandis que plusieurs missiles balistiques étaient ostensiblement « testés » par les autorités de Pékin.
Cette démonstration de force est présentée comme une réponse à la visite à Taipei de Nancy Pelosi, la présidente de la Chambre des représentants américaine. Pékin considère l’ile de Taïwan comme une partie intégrante de son territoire, qui doit être ramenée de gré ou de force dans le giron national. Ces exercices de l’armée chinoise, qui doivent se poursuivre jusqu’à dimanche midi, sont l’occasion pour les experts militaires occidentaux d’étudier le rapport de force dans le détroit de Taïwan. France 24 s’est entretenu à ce sujet avec le professeur Alessio Patalano, spécialiste de la stratégie maritime en Asie orientale au King’s College de Londres.
Est-ce que les exercices militaires chinois actuels permettent de déterminer la capacité de Pékin à mener à terme une invasion de Taïwan ?
On se rend clairement compte que les capacités militaires chinoises se sont progressivement améliorées. Quand on compare avec les exercices précédents, en 1995-1996 et au début des années 2000, on constate que les Chinois ont des missiles à plus longue portée et qu’ils ont augmenté la qualité de leurs munitions et capacités militaires (…). La marine chinoise peut désormais se déployer plus confortablement loin du continent, au-delà de la côte orientale de Taïwan. Mais on manque toujours d’informations sur les capacités chinoises dans le domaine sous-marin, faute de sources ouvertes.
La menace militaire est beaucoup plus crédible qu’elle l’était il y a 20 ans. Mais il reste difficile de déterminer si l’armée chinoise peut réellement mener à bien une opération aussi importante que l’invasion de Taïwan.
La dernière guerre de haute intensité impliquant la Chine date de 1979. Est-ce que l’armée chinoise a la capacité de mener des opérations interarmées modernes impliquant la coordination des forces navales, aériennes et terrestres ?
Ces exercices vont permettre de voir dans quelle mesure la réforme militaire de 2016, qui a créé cinq zones de commandements interarmés, a permis d’améliorer ces capacités de coordination. À première vue, cela a effectivement l’air d’être le cas.
Mais cela ne signifie pas non plus que cette coordination sera parfaite du début à la fin. Ces exercices militaires chinois vont durer quelques jours, tandis qu’une opération militaire pour envahir Taïwan prendrait beaucoup plus de temps. Comme on l’a vu avec les plans d’invasion russes en Ukraine, il y a une différence fondamentale entre un plan sur un bout de papier et l’épreuve du terrain.
Taïwan manque de pilotes pour sa flotte d’avions de combat F-16, selon une récente enquête de Bloomberg, qui souligne que les incursions répétées de jets chinois ralentissent les programmes de formation de pilotes. Est-ce que ces exercices militaires chinois peuvent détériorer les capacités militaires taïwanaises ?
Pas nécessairement. Le problème des pilotes est d’abord lié à une période de transition entre deux postures stratégiques. Au milieu des années 2010, Taïwan a voulu passer d’une armée de conscrits à une force professionnelle dominée par les volontaires. Ils reviennent un peu là-dessus, notamment parce que l’exemple de l’Ukraine a montré qu’un système avec une défense territoriale et des civils armés pouvait être dissuasif.
Ces périodes de transition coûtent de l’argent et créent des déséquilibres – comme par exemple ce manque de pilotes à un moment donné. Mais les Taïwanais en sont conscients et vont finir par régler le problème.
france24