Ils sont quatorze à dessiner pour Asantii. Des stylistes qui viennent de RDC, d’Angola, d’Éthiopie, du Ghana, de la Côte d’Ivoire, du Kenya, du Maroc, du Nigeria, du Rwanda, du Sénégal, de l’Afrique du Sud et de Tanzanie. L’idée de collaborer avec une nouvelle marque panafricaine les rend enthousiastes. Pour cause : le projet est unique. Dévoilé au début du mois d’août – d’abord à Londres (où le studio de création est supervisé par une équipe de développement de produits forte de son expérience dans de grands groupes de luxe, sous la houlette de Vanessa Anglin, ancienne responsable chez Burberry ), puis à Kigali -, il vise à présenter deux collections par an.
Pour tous et pour longtemps
On y trouve des basiques intemporels vendus entre 50 et 300 euros, qui ne répondent pas au phénomène de saisonnalité très présent dans l’industrie de la mode. «On prend le chemin contraire à celui de la fast fashion, on veut pouvoir vendre nos vêtements à tout moment de l’année», explique la fondatrice Maryse Mbonyumutwa. Ce qui donne des jeans larges en denim brut, de nombreuses chemises travaillées dans les volumes et les détails (volants, fronces, liens, broderies…), quelques vestes en jean, longue et courte, taillées dans les grandes largeurs, ainsi que des tuniques longues.
Les pièces proposées sont destinées à parler au plus grand nombre et sont, pour la plupart, fabriquées à partir de matières sourcées en Afrique (coton égyptien, cuir, raphia…). «Avec Asantii, je veux montrer que la mode africaine va bien au-delà du wax. On veut éviter le label communautaire et aller vers une portée internationale. Quand je travaillais dans le textile en Chine, nous avons eu de nombreuses marques étrangères à produire, mais jamais je n’ai eu en main le dossier technique d’un label qui venait d’Afrique. Avec Asantii, je veux rectifier le tir», poursuit Maryse Mbonyumutwa.
L’entrepreneuse rwandaise, qui s’est associée avec le groupe chinois C&D et Vanessa Anglin, travaille son projet depuis trois ans, avec envie et grandes ambitions. Elle totalise vingt-trois années passées dans l’industrie du textile à explorer tous les maillons de la chaîne dans les usines chinoises, mais aussi celles du Bangladesh, de l’Inde et plus récemment d’Éthiopie qui s’est doté d’une zone industrielle gigantesque, mais où les petites mains sont les moins chères de la planète. L’expérience et le réseau lui ont permis d’en saisir les travers, ce qui a fait naître chez elle une soif d’opportunités. Comme le lancement d’un site de production de grande envergure au Rwanda, en 2019, pays jusque-là peu exploitée par l’industrie textile.
Après avoir bénéficié d’un coup de pouce de l’État, elle est parvenue à créer 4300 emplois assortis d’un projet sociétal (salaires équitables, crèche à disposition des enfants des employés, repas gratuits, distribution de serviette hygiéniques…). L’usine répond d’abord à une logique de production pour les marques étrangères. Le projet Asantii s’est ensuite imbriqué dans la machine avec une grande liberté. «L’avantage d’avoir notre propre infrastructure, est que l’on commence toujours par de petites quantités, ce qui permet d’éviter le gaspillage, précise l’entrepreneuse. En allant produire ailleurs, nous aurions dû nous plier à un quota minimum.»
Toutes ces mises en actions sont également une façon d’en découdre avec la fripe, vue comme une concurrence déloyale. Les importations massives de vêtements de seconde main en Afrique créent des opportunités économiques, mais sont aussi considérées comme un obstacle au développement d’une véritable industrie textile. Au Rwanda, le gouvernement surtaxe les fripes depuis 2016 dans le but de les éliminer progressivement du marché. «La seconde main est un combat. Malheureusement, le textile qui arrive ici s’apparente de plus en plus à des déchets. Avec l’avènement du vintage, on trie davantage et les belles pièces restent en Europe. Seuls 30% des vêtements importés vont sur les marchés, le reste finit dans les poubelles», regrette Maryse Mbonyumutwa.
Désireuse de promouvoir la création africaine, la Rwandaise met aussi à disposition de son collectif de créateurs son usine à pour leur marque propre. À la manière d’un incubateur, elle leur offre une production adaptée, idéale pour toute jeune marque qui se lance. Et une façon pour elle de fidéliser de jeunes talents. Qui sait, ils seront peut-être ses meilleurs clients. Un pari sur l’avenir où tout le monde y gagne.
madamefigaro