Afrique de l’Ouest : une poussée djihadiste vers les Etats côtiers

Il y a d’abord eu le nord du Mali. Puis le Niger et le Burkina Faso. Et désormais, les pays côtiers ? En Afrique de l’Ouest, la menace djihadiste qui déchire le cœur du Sahel progresse vers le sud, du Bénin à la Côte d’Ivoire.

Il y a d’abord eu le nord du Mali. Puis le Niger et le Burkina Faso. Et désormais, les pays côtiers ? En Afrique de l’Ouest, la menace djihadiste qui déchire le cœur du Sahel progresse vers le sud, du Bénin à la Côte d’Ivoire.

Face à la récente multiplication des incursions – et parfois des attaques meurtrières – dans leurs régions les plus septentrionales, ces Etats du golfe de Guinée affinent leur réponse sécuritaire et politique. Mais comment ne pas reproduire les mêmes erreurs que leurs voisins sahéliens ? C’est la question qui plane au moment où la France, poussée dehors par la junte de Bamako, a achevé lundi le retrait de ses troupes du Mali, où la situation sécuritaire continue de se dégrader, comme au Niger et au Burkina Faso.

Parmi les Etats côtiers, le nord du Bénin a payé le plus lourd tribut, avec une vingtaine d’attaques ciblant ses forces de sécurité depuis fin 2021 où l’armée a été déployée. « Ce que nous vivons est terrifiant », confie un officier béninois posté à la frontière avec le Burkina Faso. « Nous nous réveillons chaque matin sans savoir si nous verrons le jour suivant ».

Fin juillet, le président béninois Patrice Talon a exhorté son homologue français Emmanuel Macron, en visite à Cotonou, à l’aider à acquérir davantage d’équipements, notamment des drones. A cette occasion, Emmanuel Macron avait souligné la poursuite de l’engagement de la France dans « la lutte contre le terrorisme » en Afrique de l’Ouest. Il avait également affirmé être « disposé » à participer à une réunion de « l’Initiative d’Accra », lancée en 2017 par les pays côtiers et le Burkina Faso pour renforcer leur coopération sécuritaire.

« La dégradation de la situation sécuritaire au Burkina Faso et au Mali fait du nord des pays côtiers la nouvelle ligne de front contre les groupes armés opérant au Sahel », note la fondation allemande Konrad Adenauer. Au Togo, qui a connu sa première attaque meurtrière en mai 2021, et au Ghana, épargné jusqu’ici en dépit d’incursions et de centaines de recrutements locaux – selon un rapport de la fondation allemande -, les armées sont déployées dans le nord depuis plusieurs années.

Tout comme en Côte d’Ivoire, qui a été la cible d’attaques entre 2020-2021, mais n’en a plus connu depuis un an. Militariser les frontières « sera inefficace, comme ce fut le cas au Sahel », prévient toutefois le groupe de réflexion marocain Policy Center for the New South dans un rapport publié en août.

Car les groupes djihadistes du Sahel « ne sont pas des armées traditionnelles », soulignent les auteurs du rapport : ils se propagent « en diffusant leurs idées et en exploitant les griefs des populations » dans ces régions souvent délaissées. Les attaques ne sont que « la partie visible de l’iceberg », note Jeannine Ella Abatan, chercheuse à l’Institut d’études de sécurité (ISS).

« Depuis 2019, des études menées au Sahel ont montré que les groupes extrémistes violents s’approvisionnaient déjà dans les pays côtiers, non seulement en moyens logistiques et opérationnels, mais aussi à des fins de financement », précise-t-elle.

Ces groupes n’occupent pas de territoires dans les pays côtiers, mais y mènent « des incursions » et des « attaques sophistiquées », seulement réalisables avec de bons renseignements et « la complicité » d’acteurs locaux, ajoute la chercheuse. Car la véritable menace est bien celle de recrutements locaux.

« Les conditions difficiles de vie peuvent facilement traîner des désespérés vers le camp des terroristes », affirme à l’AFP un officier de police dans le nord du Bénin. La semaine passée, une vidéo de deux djihadistes parlant le bariba, langue du nord du Bénin, incitant les populations à les rejoindre et les menaçant en cas de collaboration avec l’Etat, a largement circulé sur les réseaux sociaux.

« Il faut absolument que l’Etat réponde aux besoins de ces populations, qu’elles se sentent protégées par les forces de sécurité, au risque qu’elles ne se tournent vers ces groupes pour assurer leur protection », insiste Jeannine Ella Abatan.

Fin juillet, Amnesty International mettait ainsi en garde contre des violations de droits humains commises par les forces de sécurité dans le nord du Bénin et du Togo, notamment des arrestations et détentions arbitraires. Pour la chercheuse de l’ISS, il importe de « répondre aux causes profondes de l’extrémisme violent ».

Les pays côtiers ont commencé à agir. Des mesures de prévention de l’extrémisme ont été mises en place dès 2019. Au Bénin, le gouvernement a lancé des projets de développement dans ces régions délaissées par l’Etat, tourné historiquement (depuis la colonisation française) vers la côte. Commissariats, écoles et hôpitaux y ont été construits. Idem en Côte d’Ivoire, où plusieurs millions d’euros ont été investis.

Mais pour le Policy Center for the New South, la militarisation aux frontières doit être abandonnée. Elle accentue, d’après ce « think tank », les souffrances de populations déjà très pauvres et dépendantes du commerce transfrontalier pour survivre. « Sans un changement drastique d’approche, le Bénin et les autres pays verront leurs citoyens prendre les mêmes décisions que leurs voisins sahéliens : ils collaboreront avec les extrémistes pour pouvoir rester vivants ».

euronews

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