Un an après la chute de Kaboul, les principaux commandants de l’opposition connus pour avoir tenu la vallée du Panchir sont toujours exilés au Tadjikistan. La résistance armée a bien du mal à mobiliser, malgré le fort ressentiment de la population envers les Taliban.
Lorsque Kaboul est tombée aux mains des Taliban le 15 août 2021, entérinant le retour au pouvoir du groupe fondamentaliste musulman en Afghanistan, les regards se sont tournés vers la vallée du Panchir, symbole historique de la résistance. Ahmad Shah Massoud, le défunt commandant de cette région située au nord-est de Kaboul, était parvenu à tenir en échec les Soviétiques dans les années 1980 puis les Taliban dans les années 1990.
Marchant dans les pas de son père, Ahmad Massoud avait promis de relancer la lutte armée contre les islamistes au pouvoir, depuis le Panchir.
Mais en septembre, les Taliban ont revendiqué la victoire dans cette région alors que le jeune commandant de 32 ans s’enfuyait au Tadjikistan voisin avec plusieurs autres figures de la résistance. L’objectif de ce retrait semblait être d’utiliser le Tadjikistan comme base arrière pour affronter les Taliban. Une stratégie jugée alors peu viable par nombre d’experts.
Depuis lors, les rares journalistes ayant eu accès au Panchir ont fait état de plusieurs attaques organisées par la résistance contre les positions talibanes. Selon des sources locales citées par le Washington Post, « les assauts contre les positions des Taliban sont réguliers. Des dizaines de civils ont été tués alors que d’autres ont été emprisonnés lors d’arrestations massives. »
La résistance en déroute
Aujourd’hui, la situation est bien différente de celle qui prévalait dans le Panchir d’Ahmad Shah Massoud, chef de la lutte armée contre les Taliban lors de leur précédent règne de 1996 à 2001.
À l’époque, « Ahmad Shah Massoud maintenait un bastion à partir duquel il pouvait résister. Aujourd’hui, le Panchir est occupé par les Taliban », analyse Omar Sadr, ancien professeur adjoint de science politique à l’Université américaine d’Afghanistan et chercheur principal à l’Université de Pittsburgh.
« La résistance se trouve dans les montagnes ; ils ne contrôlent pas les villages ou les routes. Cela rend la tâche beaucoup plus difficile pour les chaînes d’approvisionnement nécessaire aux combats. »
À l’échelle de l’Afghanistan, l’opposition est « très faible », souligne Vanda Felbab-Brown, chargée de mission au Centre pour la sécurité, la stratégie et la technologie de la Brookings Institution. « L’opposition a eu du mal à mobiliser le soutien des tribus et à monter des opérations d’envergure », poursuit la chercheuse. « Nous nous attendions à ce qu’ils lancent des attaques au printemps, mais les Taliban sont parvenus à neutraliser cette menace. Aujourd’hui, la résistance est encore plus faible que ce que nous avions anticipé. »
Pour Omar Sadr, les commandants de l’opposition ont commis une erreur en se basant de l’autre côté de la frontière : « Les dirigeants de haut niveau sont au Tadjikistan tandis que les combattants de niveau intermédiaire sont au Panchir. Ahmad Massoud est un chef politique, pas vraiment un chef militaire, et il aurait été bien mieux que lui et d’autres hauts responsables rejoignent les forces sur le terrain. Cela aurait renforcé leur légitimité et stimulé le moral des troupes. »
La fable des « Taliban 2.0 »
Lorsque les Taliban se sont emparés de Kaboul l’année dernière, les nouveaux dirigeants ont d’abord cherché à se démarquer de l’image brutale incarnée par le groupe islamiste. Cette posture plus moderne s’est vite révélée de la pure propagande, suscitant un fort ressentiment au sein de la population.
« Cette histoire de ‘Taliban 2.0’ est bien évidemment une fable : ils ont instauré la discrimination politique et économique des non-Pachtouns, interdit l’éducation des filles, et ils pratiquent des exécutions extrajudiciaires », souligne Omar Sadr.
« À leur arrivée, tout le monde voulait mettre fin au conflit en Afghanistan. Les Taliban avaient la possibilité de s’orienter vers un accord politique inclusif qui aurait suscité le soutien des communautés. Mais ce sont des fondamentalistes, ils n’ont jamais cru aux accords de paix. Ils n’ont fait que se radicaliser et devenir plus répressifs. Les gens se sentent floués », conclut le chercheur.
Lassitude face à la guerre
Malgré ce sentiment de rancœur et de déception, peu d’Afghans prennent aujourd’hui les armes contre le pouvoir. « Bien qu’ils souffrent de l’intensification de la répression des Taliban et de la terrible situation économique, les Afghans sont tout simplement fatigués de la guerre », explique Vanda Felbab-Brown.
Car l’Afghanistan a déjà connu quatre décennies de conflits sanglants, qui ont débuté avec l’invasion de l’URSS en 1979, en soutien au gouvernement communiste alors en place.
Au moins 1,8 million d’Afghans ont perdu la vie durant les dix années d’occupation de l’URSS. Après le départ des Soviétiques en 1989, l’Afghanistan a traversé plusieurs guerres civiles. L’arrivée au pouvoir des Taliban en 1996 a ensuite enclenché un nouveau cycle d’affrontements, avec les résistants de l’Alliance du Nord d’abord, puis l’entrée en guerre des États-Unis en 2001, pour vingt ans.
Après avoir constitué l’épine dorsale de la résistance aux Taliban lorsque ceux-ci étaient au pouvoir à Kaboul à la fin des années 1990, les provinces du Nord-Est ont continué ce combat durant l’intervention américaine en fournissant la majorité des forces de l’armée afghane. Malgré ces décennies de guerre exténuantes et de sacrifices, l’opposition n’est pas parvenue à empêcher le retour au pouvoir des Taliban.
Pour Omar Sadr, cette situation explique la perte de vitesse de l’opposition dans ces bastions historiques de la résistance : « Les provinces de Baghlan et de Badakhchan ont fourni le plus grand nombre de soldats à l’armée de la République et elles ont subi le plus grand nombre de pertes. Des cadavres revenaient chaque jour. Aujourd’hui, beaucoup de gens se demandent s’il n’est pas préférable d’accepter le pouvoir en place, quel qu’il soit. »
Le Pakistan ne voudra « jamais » renverser les Taliban
Tout au long des quatre décennies de conflit qui ont frappé le pays, des puissances étrangères ont utilisé l’Afghanistan pour étendre leur influence. Le Pakistan voisin était le protecteur de longue date des Taliban, désireux d’assurer la défaite de la République soutenue par les États-Unis à Kaboul, qu’Islamabad jugeait trop proche de son ennemi juré, l’Inde.
Mais les Taliban sont depuis longtemps proches du groupe jihadiste Tehrik-e-Taliban (TTP, le Mouvement des Taliban du Pakistan), qui veut renverser l’État pakistanais.
« Le Pakistan attendait des Taliban qu’ils l’aident à conclure un accord politique avec le TTP afin que ce dernier ne menace pas le gouvernement pakistanais, et ce plan a déjà échoué », note Weeda Mehran, codirectrice du Centre des hautes études internationales de l’université d’Exeter. « Les autorités pakistanaises sont très préoccupées par le fait que les Taliban ont donné des passeports afghans aux membres du TTP. »
Selon la chercheuse, il est clair que certains éléments des Taliban « agissent de plus en plus indépendamment du Pakistan », obligeant le Pakistan à « revoir son approche des Taliban ».
Cependant, la déception du Pakistan à l’égard des Taliban ne signifie pas pour autant un soutien à l’opposition. La résistance afghane ne peut pas compter sur Islamabad pour obtenir le soutien étranger dont elle a besoin pour avoir une chance de réussir.
« L’objectif final du Pakistan ne sera jamais de renverser le gouvernement taliban », selon Omar Sadr. « Tout au plus, le Pakistan rendra plus difficile le maintien au pouvoir des Taliban. Comme d’autres pays de la région, tels que la Chine, le Pakistan considère les Taliban comme antiaméricains. Et, bien sûr, il ne les voit pas comme des alliés de l’Inde, comme c’était le cas de la République. Donc, même si le Pakistan se retourne contre les Taliban, il ne soutiendra pas l’insurrection. »
france24