La restitution du patrimoine au coeur du séjour parisien de Patrice Talon

Un mois après avoir reçu Emmanuel Macron à Cotonou, fin juillet, le président béninois viendra à Paris pour une visite de travail, les 29 et 30 août. Patrice Talon se rendra d’abord à l’Unesco accompagné, entre autres, de son ministre des Affaires étrangères, Aurélien Agbénonci.

Une chronique d’Alexandre Vanautgaerden, historien et historien d’art. Il a travaillé et dirigé plusieurs institutions culturelles (musées, bibliothèques) en Belgique, Suisse et France. Il a publié de nombreux livres sur l’humanisme et Érasme, et travaille actuellement sur l’évolution des lieux d’exposition au regard du développement des projets numériques.

le Bénin avait demandé également la restitution de la fameuse sculpture du Dieu Gou, une pièce maîtresse du culte vaudou, encensée par Guillaume Apollinaire et les artistes fondateurs de la Modernité tel Picasso ou Matisse. Or la France, pour l’instant, n’a pas accédé à cette dernière demande.

Patrice Talon devient président le 20 mars 2016, un an avant Emmanuel Macron. Il remporte l’élection face à Lionel Zinsou, Premier ministre du président sortant Yayi Boni.[1] Le nouveau président béninois décide de faire de la culture et du tourisme un axe de développement de son pays dépourvu de richesses en matière première. Patrice Talon a besoin d’un coup d’éclat pour lancer son mandat et remplir sa promesse de campagne : «Le Bénin révélé». Le Bénin avait adressé une première lettre au gouvernement français afin de demander la restitution du Trésor de Béhanzin en 2016.

Le discours fondateur de Ouagadougou

Emmanuel Macron, élu président le 14 mai 2017, aura eu les coudées franches. Encore en campagne, Emmanuel Macron avait déclaré en février que la colonisation en Algérie était un crime contre l’humanité. Position morale intéressante, mais qui ne risquait pas d’avoir de grande conséquence, ni juridiquement ni économiquement.

Le 31 août, le Président fraîchement élu reçoit à l’Élysée Alassane Ouattara, le président de la Côte d’Ivoire qui ne manque pas de l’inviter en Afrique. Dès novembre, Emmanuel Macron se rend sur le continent et visite le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire et le Ghana.

Le nouveau Président désire lui aussi proposer une version « renouvelée » de la France, et faire oublier le discours de Nicolas Sarkoy dix ans plus tôt qui avait cru subtil de déclarer aux Sénégalais que « L’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire ». Emmanuel Macron avait pourtant d’entrée de jeu fait preuve de maladresse lors du sommet du G20 à Hambourg, en déclarant en juillet 2017 : « Quand des pays ont encore aujourd’hui sept à huit enfants par femme, vous pouvez décider d’y dépenser des milliards d’euros, vous ne stabiliserez rien ». Ce n’était pas très heureux. Il décide alors d’entamer son voyage par l’université de Ouagadougou où il prononce son premier discours de politique africaine devant un parterre d’étudiants, après avoir annoncé préalablement un jeu inédit de questions-réponses. Tout le monde s’attendait à ce que l’échange soit épicé.

Dès le début du discours de Ouagadougou,le président français poursuit dans la ligne de ses propos algériens : « Je suis d’une génération de Français pour qui les crimes de la colonisation européenne sont incontestables et font partie de notre histoire ». Puis il déroule son discours, annonçant l’augmentation de l’aide publique au développement (APD), qui n’avait cessé de baisser pendant le quinquennat de François Hollande,évoquant ensuite l’éducation, la politique migratoire, puis les extrémismes religieux.

On se met à attendre le jeu des questions-réponses quand, après 1h21, à 20 minutes du terme de son discours, coup de théâtre. Alors que personne ne s’y attend, il annonce la restitution des œuvres africaines pour être en mesure « de reconstruire un imaginaire commun. » C’était bien tourné. Tout le monde a oublié la fin de son texte sur le sport, et son plaidoyer vibrant sur la langue française et la francophonie qui paraît si désuet quand on l’écoute aujourd’hui. Il termine ce discours par une citation de l’ouvrage Afrotopia de l’économiste sénégalais Felwine Sarr, paru un an avant : « L’Afrique n’a personne à rattraper. Elle ne doit plus courir sur les chemins qu’on lui indique, mais marcher prestement sur le chemin qu’elle se sera choisi. »

Le rapport Savoy-Sarr

L’actuel roi tribal d’Abomey-Calavi devant les statues du roi Glélé et du roi Béhanzin. Photo : Patrick Zachmann/Magnum Photos.

C’est au même Felwine Sarr qu’il commande un rapport sur la restitution des œuvres en mars 2018. Le rapport est rédigé conjointement avec Bénédicte Savoy, enseignante française en histoire de l’art à la Technische Universität de Berlin. Le Rapport sur la restitution du patrimoine culturel africain. Vers une nouvelle éthique relationnelle est remis à Emmanuel Macron le vendredi 23 novembre dans le « salon vert » de l’Élysée.  Et, à la surprise de Bénédicte Savoy et de Felwine Sarr les premiers, le président annonce quelques heures plus tard la restitution du Trésor de Béhanzin au Bénin. Ce qui était virtuel, soudainement, devint possible. La loi relative à la restitution de biens culturels est promulguée le 24 décembre 2020. Puis, cela s’enchaîne : exposition à Paris, signature des Présidents, transfert de propriété, nouvelle pérégrination ; le 10 novembre 2021 les œuvres sont réceptionnées au Bénin, après 129 années. Elles se reposent ensuite pendant deux mois pour absorber le choc thermique, avant d’être présentées dans l’exposition Art du Bénin d’hier et d’aujourd’hui : de la restitution à la révélation.

Abdoulaye Imorou, conservateur au Musée d’Abomey, et Calixte Biah, conservateur au Musée de Ouidah, examinent l’autel portable en cuivre et argent du roi Béhanzin avec Gaëlle Beaujean-Baltzer, responsable de la collection africaine du musée du Quai Branly. Photo : Patrick Zachmann/Magnum Photos.

Dès sa parution et jusqu’à aujourd’hui, le rapport suscite de nombreuses critiques en France sur lesquelles il est inutile de revenir ici. On trouvera un florilège de ces idées et de la polémique dans l’article qui ouvre le bal de Didier Rykner, l’éditorialiste de la Tribune de l’Art, puis chez les avocats des marchands d’art qui se sont largement exprimés dans la presse, Yves-Bernard Debie ou Emmanuel Pierra. Le lecteur se fera lui-même une idée de propos exprimés parfois avec esprit, mais qui travestissent souvent les propos de Felwine Sarr et Bénédicte Savoy. Je relèverai seulement le procédé souvent utilisé chez ces auteurs visant à discréditer d’abord les personnes pour critiquer ensuite leurs idées.

Quoi qu’il en soit, le rapport fait date. Il est publié en même temps que les recommandations faites aux musées allemands qui ont entraîné il y a trois semaines, ce 1er juillet 2022, la signature d’un accord entre l’Allemagne et le Nigeria pour le retour de 1130 « bronzes » du Bénin. Ces œuvres avaient été pillées en 1897 du palais royal de l’Oba par les troupes coloniales britanniques, puis acquises par plusieurs musées allemands. .

La restitution du Dieu Gou en question

Évidemment, la restitution de 26 objets par la France fait pâle figure au regard du nombre de pièces restituées dans le même temps par l’Allemagne. Mais ce sont des pièces majeures, qui représentent la première étape d’un processus.

On ne peut pas parler de la résistance des musées et des conservateurs. Comme pour les partis politiques en France, dont on aurait pu imaginer qu’il y ait une bipartition droite/gauche dans les positions à l’égard des restitutions, le peuple de gauche devant être prétendument favorable à celles-ci. Il s’avère que la fracture est davantage générationnelle que « confessionnelle ». Comme nous le confirmait récemment le juriste Vincent Négri, qui intervient régulièrement à l’Institut national du patrimoine, cette problématique des restitutions pour la jeune génération des conservateurs de musée en France est une question entendue. Il faudra sans doute attendre encore un peu, mais le Dieu Gou finira par retourner au Bénin. Marie-Cécile Zinsou, présidente de la Fondation en faveur de l’art contemporain basée à Cotonou, et Présidente de la Villa Médicis, rappelait d’ailleurs avec humour les propos de François Mitterand à son grand-oncle Émile Derlin Zinsou, président de la République du Dahomey (1968-1969), affirmant que les Africains ne devaient pas s’inquiéter, la France accorderait l’indépendance à toutes ses colonies, à l’exception de l’Algérie. On sait ce qu’il en advint

Les œuvres restituées ne représentent aujourd’hui que la partie visible de l’iceberg du partenariat entre le Bénin et la France. Le président Patrice Talon avait créé après son élection en 2016 une Agence nationale de promotion des patrimoines et de développement du tourisme (ANPT), avec un budget de 650 milliards de francs CFA (990,9 millions d’euros), soit 6 % du PIB national en 2020 La France, via l’Agence française de développement (AFD), soutient activement l’un des 4 musées en construction dans le pays : le Musée de l’épopée des amazones et du royaume de Danhomè (MEARD) au cœur du site palatial d’Abomey, classé patrimoine de l’Unesco depuis 1985. Le projet est financé à hauteur de 23 milliards de francs CFA par Paris, et 15 milliards par Cotonou. C’est dans ce musée que sera exposé à terme le Trésor du Béhanzin. Alain Godonou, conservateur du patrimoine et chargé des musées à l’Agence nationale du patrimoine et du tourisme (ANPT), nous informe que le chantier archéologique sur le site des palais d’Abomey débutera en septembre prochain, et que dans la foulée le musée sera aménagé pour une ouverture prévue en 2025.

MONDAFRIK

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