Dans le Wyoming, le combat d’un père contre l’épidémie de suicides

Il y a 16 ans, Lance Neiberger a songé à mettre fin à ses jours lorsque son fils s’est pendu. Cet ingénieur pétrolier du Wyoming mène désormais un combat acharné contre la propagation de suicides qui ravage son Etat de l’Ouest américain.

« J’étais dans mon bureau quand ma femme m’a appelé. Elle m’a dit +rentre tout de suite+ », se remémore le septuagénaire.

« J’ai sauté dans ma voiture et j’ai foncé jusque chez moi », raconte cet homme au regard vif. « Ma fille était dans notre jardin, à genoux, en train de hurler. »

Lyle, 17 ans, venait de se tuer.

« Je savais qu’il luttait contre une dépression, je savais qu’il avait du mal à gérer certaines choses », confie son père aujourd’hui. « Je n’ai pas été là pour mon fils au moment où il avait le plus besoin de moi », déplore-t-il.

Afin de surmonter ses propres idées suicidaires, Lance Neiberger, habitant de la ville de Casper, rejoint un groupe de prévention du suicide — un fléau qui ravage le Wyoming plus que n’importe quel autre Etat américain.

– « Mentalité de cow-boy » –

Dans le Wyoming, connu pour être l’Etat le moins peuplé d’Amérique, le taux de suicide est deux fois plus élevé que dans le reste du pays.

Ici, les villes sont distantes de plus de 150 km, la météo plus qu’inhospitalière et deux-tiers des adultes ont une arme à leur domicile — autant de facteurs pointés par les experts pour expliquer que l’on s’y met fin à sa vie plus qu’ailleurs.

Ajoutez à cela une « mentalité de cow-boy », héritage direct de l’hostilité de la région, « où il faut se relever quand on tombe, où il ne faut pas pleurer quand on est un homme », décrit Lance Neiberger.

Le Wyoming a aussi une population très majoritairement blanche – statistiquement davantage en proie au suicide. En 2020, 70% des Américains qui se sont suicidés étaient des hommes blancs.

La douzaine d’ambulances stationnées devant chez lui, le bruit du sac mortuaire… Depuis 16 ans, Lance Neiberger revit quotidiennement le décès de son fils à travers ses interventions dans les écoles, centres et foires de la région, en proie à cette profonde crise de santé mentale.

« On a un problème, il est grand temps de le résoudre », alerte-t-il.

Le Montana, l’Idaho et le Colorado voisins sont aussi ravagés par ce fléau. Si bien que la région toute entière, traversée par les montagnes Rocheuses, a hérité du sinistre surnom de « suicide belt » — la « diagonale du suicide ».

En 2018, une ligne d’écoute téléphonique a été lancée dans le Wyoming, afin de mettre en relation ceux qui ont besoin d’aide et des professionnels de santé familiers des problématiques si spécifiques de la région. En juillet dernier, un numéro national d’urgence, le 988, a aussi été créé pour renforcer le dispositif.

Mais cette aide est insuffisante.

– « Le fond » –

« Nous avons des communautés très rurales, et dans ces communautés, les soins pour la santé mentale, et même physique, manquent cruellement », explique Lance Neiberger.

« Rien que dans cette ville, on n’a pas assez de psychiatres pour prescrire des médicaments », abonde Jason Whitmire, qui a rejoint le même groupe de prévention après avoir « touché le fond ».

Ce géologue natif du Wyoming, qui souffre d’un trouble bipolaire, a frôlé le suicide à deux reprises.

La première fois, en 2013, « j’étais à 45 minutes de la maison, j’avais prévu de rentrer chez moi et d’utiliser un pistolet », se remémore le trentenaire, père de deux jeunes enfants.

Sur l’autoroute, un « déclic ».

« Je me suis effondré, j’ai appelé mes proches pour leur dire que j’étais en danger », raconte-t-il d’une voix posée.

Mais quatre ans plus tard, Jason Whitmire tente à nouveau de mettre fin à ses jours.

Après des années de « montagnes russes », il assure qu’il est aujourd’hui bénéfique pour lui de partager son témoignage.

Aux côtés de Lance Neiberger, il a préparé ces dernières semaines une série de manifestations que le groupe organise en septembre, le mois de la prévention contre le suicide aux Etats-Unis.

« J’ai bon espoir que ça puisse peut-être servir à quelqu’un. »

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