Sa visite de trois jours en Algérie aura été l’occasion pour le président français d’accomplir des gestes symboliques sur le plan confessionnel, avec des escales au cimetière juif de Saint-Eugène, à la Grande Mosquée d’Alger, ainsi qu’à la chapelle chrétienne d’Oran.
Emmanuel Macron avec le ministre algérien des Affaires étrangères Ramtane Lamamra et le recteur Mohamed Mamoun El-Kacimi El-Hassani, à la Grande Mosquée d’Alger, le 26 août 2022. © Ludovic MARIN / AFP
C’est l’un des rares lieux en Algérie où se perpétue le souvenir des juifs, dont la présence dans le pays remonte à leur expulsion d’Espagne avec les musulmans à partir du XIVe siècle. Situé en contrebas de la basilique Notre-Dame d’Afrique qui domine la grande baie d’Alger, le cimetière des Européens de Saint-Eugène est un lieu d’histoire et de mémoire.
Ces 18 hectares abritent les tombes et les sépultures de quelque 135 000 défunts européens. Emmanuel Macron entendait le visiter en compagnie du grand rabbin de France Haïm Korsia, dont la présence, une première depuis l’indépendance de 1962, aurait été un symbole fort et un des moments-clés de ce séjour en Algérie. Les autorités algériennes avaient donné leur accord et délivré un visa à cet homme dont les parents sont nés à Oran et à Tlemcen.
Testé positif au Covid le 25 août, au début du voyage présidentiel, le grand rabbin n’a finalement pu faire le déplacement. Sa présence en Algérie et au cimetière de Saint-Eugène devait permettre de porter le message de ces juifs d’Algérie qui souhaitent y revenir pour se recueillir sur les tombes de leurs ancêtres.
Ce message, c’est finalement Emmanuel Macron et ses invités, Benjamin Stora, Alexandre Arcady et Jacques Attali (tous trois nés en Algérie et de confession juive), qui l’ont relayé ce 26 août, lors de l’hommage aux combattants français morts pendant les deux guerres mondiales.
Histoire juive occultée
En compagnie de l’archevêque d’Alger, Jean-Paul Vesco, Macron s’est également rendu dans le carré juif où certaines sépultures remontent au XIVe siècle. Une petite halte s’impose devant la tombe de l’acteur Roger Hanin, né Levy, mort en 2015, et qui a passé une partie de son enfance dans le quartier de Bab el-Oued, à quelques encablures de ce cimetière.
Bien qu’il ait quitté l’Algérie à la fin des années 1940, Roger Hanin n’a jamais rompu les liens avec ce pays où ses ancêtres s’étaient installés à la fin du XIXe siècle. Son attachement à l’Algérie était tel qu’il a souhaité y être enterré aux côtés de son père.
Si la tombe de Roger Hanin symbolise l’attachement des juifs à cette terre, le mausolée des rabbins Ribach et Rachbats, où Emmanuel Macron s’est également recueilli, témoigne de l’histoire de la communauté israélite d’Algérie. Celle-ci comptait quelque 25 000 membres au début de la conquête française en 1830. L’obtention d’office, pour les juifs algériens, de la nationalité française en vertu du décret Crémieux de 1870, a contribué au divorce durable entre juifs et musulmans d’Algérie.
Originaires d’Espagne, Ribach et Rachbats ont fui ce pays comme des milliers d’autres juifs et musulmans pour échapper aux persécutions catholiques de 1391. Les deux érudits sont considérés comme les fondateurs de la communauté juive en Algérie. « L’histoire juive algérienne est totalement occultée dans le récit national, observe un des accompagnateurs de Macron lors de ce voyage. Cette halte au cimetière Saint-Eugène est un moment de recueillement mais aussi une façon de remettre en lumière cette mémoire commune entre juifs, chrétiens et musulmans. »
Depuis la visite historique de Valéry Giscard d’Estaing en Algérie en avril 1975, jamais un président français ne s’était rendu dans une mosquée. Pour sa deuxième visite après celle de décembre 2017, Emmanuel Macron a tenu à faire une halte à la Grande Mosquée d’Alger, monumental ouvrage construit sous l’ère de l’ancien président Bouteflika pour plus de 1,2 milliard d’euros.
En présence du ministère algérien des Affaires étrangères, Ramtane Lamamra, et du recteur de la mosquée, Mohamed Mamoune El Kacimi El Hassini, Emmanuel Macron a déambulé dans les arcanes de ce monument religieux qui fait encore l’objet de critiques pour son coût. Même si le chef de l’État français n’a pas pris la parole à l’issue de cette brève visite, son déplacement dans ce lieu de culte a marqué les esprits.
« Il fallait sortir du cliché Macron islamophobe ou de la France qui se bat contre l’islam, confie l’un des membres de la délégation française. Là encore, son déplacement à la Grande Mosquée est un message de tolérance et une manière d’insister sur le dialogue entre les trois religions monothéistes. »
Le symbole Santa Cruz
Après les juifs et les musulmans, il fallait donc marquer une nouvelle étape de ce voyage œcuménique à la chapelle de Santa Cruz d’Oran. Sur le promontoire qui domine la ville se côtoient trois symboles d’Oran : un mausolée musulman, le fort de Santa Cruz érigé par les Espagnols entre 1577 et 1604, ainsi qu’une chapelle chrétienne dont la vue embrasse la ville et la mer.
Pour la visite de la chapelle, le président français était accompagné de deux guides qui savent raconter la mémoire de ces lieux, marqués par le tragique été 1849 : l’écrivain et journaliste Kamel Daoud, et l’archevêque d’Alger, Jean-Paul Vesco.
Cet été 1849 fut particulièrement chaud à Oran. Le choléra se répand et décime une bonne partie de la population. Pour tenter de freiner l’épidémie, le général Aimable Pelissier, commandant des forces françaises et tristement célèbre pour les enfumades des grottes de Dahra en 1845, suggère au vicaire d’Alger d’organiser des processions vers le mont Santa Cruz et d’y installer une statue de la Vierge pour « jeter le choléra à la mer ».
Durant la procession du 4 novembre 1849, une pluie diluvienne s’abat sur la ville, la lavant ainsi du choléra, qui finira par disparaître quelques jours plus tard. Pour rendre grâce à ce qui passe alors pour un miracle, on bâtit une chapelle qui deviendra un lieu de pèlerinage pour les chrétiens, mais aussi de recueillement et de promenade pour la population oranaise.
La légende raconte que les femmes stériles d’Oran et des environs se rendent dans cette chapelle pour prier la Vierge afin de féconder leurs ventres. « Il y a un attachement des Oranais à cette chapelle parce qu’elle représente une partie de notre histoire, explique Saïd Sayoud, wali d’Oran. Les Algériens veulent montrer qu’ils peuvent vivre avec tout le monde quelles que soient les races et les religions. »
C’est dans cette chapelle que s’est tenue en 2018 la cérémonie de béatification de dix-neuf religieux catholiques, dont les sept moines du monastère de Tibhirine tués au cours de la décennie noire.
Sœur Clara, une religieuse de près de 80 ans et enseignante à la retraite, tenait à être présente pour approcher Emmanuel Macron. L’histoire de cette religieuse au corps frêle mais aux yeux pétillants se confond avec celle de la France et de l’Algérie. Ses arrières grands-parents ont quitté l’Alsace quand la région a été cédée aux Allemands en 1871. La famille s’établit alors dans la région de Sétif, dans l’est de l’Algérie.
Sœur Clara vit à Oran depuis une quarantaine d’années. Si toute sa famille a quitté l’Algérie en 1962, elle a tenu à y rester. « Je suis française mais je suis pleinement algérienne », dit-elle timidement. Lorsqu’elle raconte à Macron son histoire et son prochain départ à Nancy comme le souhaitent ses supérieurs, le président lui lance : « Vous reviendrez ! »
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