La vidéaste-globe-trotteuse Christine Coulange présentera le 7 octobre 2022 au 6MIC à Aix-en-Provence sa nouvelle création : « Les rythmes de la Transe ». Un voyage immersif en sons et en images, qui est un résumé du périple musical qu’elle effectue depuis 15 ans entre l’Afrique et l’Océan indien, depuis le Maroc jusqu’à Mayotte en passant par l’Egypte, le Kenya, Zanzibar ou encore Madagascar.
Afrik vous avait présenté Christine Coulange en 2016 : depuis une quinzaine d’années, l’artiste marseillaise, à la fois vidéaste et compositrice de musique électronique, s’attelle à recueillir, en sons et en images, les musiques traditionnelles des pays qu’elle traverse, ainsi que les témoignages de ses principaux acteurs : musiciens et musiciennes, mais aussi directeurs/rices de centres de musique, musicologues et experts. Nous la rencontrons à nouveau, à la veille de présenter sa nouvelle création, « Les rythmes de la transe », dans la nouvelle salle dédiée aux musiques actuelles à Aix-en-Provence : le 6MIC.En quoi consistera votre nouvelle création qui sera donnée le 7 octobre prochain ?
C’est une performance en sons et en images, d’une durée d’une heure trente environ, qui sera donnée dans la grande salle du 6MIC : un voyage en immersion visuelle et sonore, grâce à 3 écrans de 5 mètres de large et à 12 points de diffusion sonore. Les images diffusées sur les écrans se répondent entre elles, et les sons accompagnent ces images et traversent les espaces. Les sons entendus incluent des musiques traditionnelles entendues, des sons du quotidien, ainsi que mes compositions musicales : car je compose ma musique à partir de « samples » (motifs musicaux, ndlr) recueillis auprès des musiciens traditionnels, dont je conserve l’image filmée, et dans mes créations vidéos, je joue à la fois sur le tempo de l’image et sur celui de la musique.
En somme, ce mélange entre images de paysages et de lieux, sons du quotidien, musiques traditionnelles, et musique électronique est votre marque de fabrique, comme artiste ?
Depuis le début de ma démarche comme vidéaste et compositrice, j’enregistre les sons de la nature et de la vie quotidienne : car pour pouvoir être immergé, il faut entendre le son des pays : les klaxons du Caire, les chants des femmes pêcheurs à Zanzibar, le souffle du vent dans les palmiers au Kenya…
Que cherchez-vous à démontrer, ou à partager, à travers ce projet de voyage musical ?
Ce projet des « Routes de la Transe » a démarré en 2007. Pour faire mieux connaître les échanges musicaux entre l’Orient, l’Afrique, l’Occident, et l’Océan indien, j’ai suivi une route géographique qui m’a fait partir du Maroc, puis l’Egypte, le Kenya, la Tanzanie, Zanzibar, Mayotte, et Madagascar. En attendant d’autres escales… Car les instruments comme les cultures ont beaucoup circulé entre tous ces pays, sur les chameaux, les camions, les pirogues, les bateaux,… A côté de la performance en images et en sons au 6MIC, je présenterai aussi un webdocumentaire, qui permet de faire entendre ce que nous racontent les musiciens, les historiens et les spécialistes rencontrés dans mes voyages. On pourra ainsi entendre Ahmad al Maghrabi, le directeur du centre Makan au Caire, qui est à la fois un centre de préservation des musiques traditionnelles et une école de musique ; des professeurs de l’Académie de musique de Zanzibar, la Dhow Countries Music Academy, où l’on apprend aussi bien des instruments traditionnels que du violon ou du piano ; nous pourrons aussi écouter Tambati Abdou, responsable de l’ensemble Madania à Mayotte, chœur de femmes soufies autour de la musique Deba. Une exposition photo sera également présentée dans le hall.
Les Comores, et Mayotte en particulier, ont été l’un de vos terrains d’exploration les plus récents – vous avez été notamment invitée en résidence d’artiste 3 ans, de 2016 à 2019, par la Direction des Affaires Culturelles : qu’est-ce qui vous a frappé dans cet archipel des Comores, et à Mayotte ?
C’est la présence du soufisme, qui réunit aussi bien un public masculin que féminin – dans des cérémonies, des danses et des musiques où les chœurs et les participants sont unisexes, toutefois. À Grande Comores nous avons ainsi rencontré le grand cheikh Mohamed Kassim, qui est à la tête de l’une des confréries soufies les plus importantes de l’archipel. Il m’a fait l’honneur de m’accueillir dans une cérémonie soufie masculine, qui mêle chants et danses. Bien sûr j’étais couverte, mais ceci m’a permis de comprendre à quel point cet islam était tolérant, car j’ai été acceptée sans problème. À Mayotte j’ai également découvert le Deba des femmes soufies : ce sont des cérémonies qui mêlent chant et danse, toutes les femmes portent le même costume et ont des mouvements synchronisés – c’est très organisé, et très spirituel à la fois. Et dans ces chants et danses on perçoit les influences multiculturelles : les modulations chantées évoquent les chants arabes, et les mouvements gracieux des bras et des mains, les danses indiennes…
Et dans ces cérémonies les « djinns » – ces petits génies propres à l’islam – peuvent faire leur apparition, dit-on… Y croire ou pas n’est pas la question : il faut simplement se réjouir que cette culture traditionnelle de Mayotte reste vivante. Car c’est en voyageant que l’on réalise à quel point, sur d’autres continents, les cultures traditionnelles restent vivantes. Ici en France nous avons presque tout perdu, de nos musiques et danses traditionnelles.
Les nouvelles technologies – vidéo, YouTube, webdocs, etc. – peuvent-elles aider les jeunes musiciens en Afrique ou dans l’Océan Indien à maintenir ces traditions vivantes ?
Certainement ! D’ailleurs le poids des nouvelles technologies m’a frappé dans tous les pays traversés : même les jeunes ou les enfants qui n’ont pas de téléphone portable, possèdent parfois un compte Facebook et savent surfer sur le net et sur les réseaux sociaux ! A Mayotte par exemple, on est loin d’avoir encore documenté toute la culture : sur internet on trouve très peu d’informations. C’est tout l’objet de mes webdocs, de réunir des informations à partager pour tous, ici et là-bas. Et tout l’objectif de ma dernière résidence d’artiste à Mayotte, de 2016 à 2018, consistait, en lien avec l’Université là-bas, à sensibiliser les jeunes à leur patrimoine : car ils ne réalisent pas que cela a de la valeur. A la télévision et à la radio, ces musiques traditionnelles sont trop peu présentes, et pour ces jeunes les grandes stars musicales ce sont Michael Jackson ou Beyoncé. Il s’agit de valoriser ces cultures musicales, et le premier pas, c’est de les donner à voir et à entendre…
afrik