Face à la résurgence des maladies émergentes en Afrique, le chef de Service des maladies infectieuses de Fann, recommande de lutter contre la désinformation et les barrages culturels. Entretient avec le professeur Moussa Seydi
Face à la résurgence des maladies émergentes en Afrique, le chef de Service des maladies infectieuses de Fann, recommande de lutter contre la désinformation et les barrages culturels. Dans cet entretien accordé à Bés bi Le jour, le professeur Moussa Seydi analyse l’impact des essais cliniques sur les systèmes de santé.
Comment se porte la recherche en Afrique ?
Depuis cette dernière décennie, il y a eu des progrès. Parce que si on regarde, la production scientifique mondiale était multipliée par 2,3 en Afrique. Alors que cette production scientifique a été multipliée par 1,3 dans le reste du monde. Mais il faut remarquer que ce progrès a eu lieu après un retard énorme, et nous sommes toujours en retard malgré ces progrès parce qu’il n’y a que 2,4% de chercheurs mondiaux qui sont africains. Moins de 1% des brevets sont détenus par les Africains. Nous participons à moins de 4% de la littérature scientifique mondiale. Il y a des progrès qui ont été faits mais il reste beaucoup à faire pour combler le gap.
Quel est l’impact de ces recherches sur les systèmes de santé ?
Je donnerais un point de vue du clinicien. Par rapport à l’utilisation de l’azytromicine et de l’hydroxy chloroquine dans le Covid, il y a des articles qui ont montré que c’était efficace in vitro. Une étude préliminaire a montré que cela pouvait marcher et nous avions pris l’option de l’utiliser. Et après avoir utilisé ce médicament, à peu près sur 1000 malades, nous avons fait une étude rigoureuse qui nous a montré que cette association était efficace et bien tolérée. Donc, cela nous autorisait à continuer le traitement et pas pour des recommandations internationales. Nous l’avions fait pour nous-mêmes. Mais le contexte a bien changé, et depuis lors, cette association n’est plus recommandée pour plusieurs raisons. On ne sait pas si cette combinaison marche sur Omicron. On sait qu’il y a des traitements qui marchent sur Delta par exemple, mais qui ne marche pas sur Omicron. On sait que le vaccin est un peu moins efficace sur Omicron.
Que peut-on retenir en guise d’exemple ?
Je peux donner l’exemple du vaccin Ebola. Nous avons participé à un projet de recherche là-dessus, on sait que sans ce vaccin, il est difficile d’arrêter une épidémie à virus Ebola. Et pour ces deux grands projets, la Solution recherche opérationnelle (Sro) c’était Pharmalys. C’est cette organisation qui nous a accompagnés. Imaginez dans un contexte de polémique internationale, si vous faites une recherche sans une au niveau de Pharmalys, peut-être votre étude ne sera même pas prise au sérieux. Donc, ce sont des organisations très importantes pour nous chercheurs. Je peux donner l’exemple de human papilloma virus, le vaccin contre le cancer du col de l’utérus, les recherches ont été effectuées ici notamment au lycée Kennedy. Ce sont ces recherches qui avaient permis de faire un plaidoyer pour l’introduction du vaccin chez les filles âgées de 9 à 15 ans.
Je peux donner l’exemple de l’infection à Vih, les premières recherches ont été menées ici. Au début, on disait qu’en Afrique il fallait juste faire le traitement des maladies opportunistes, il ne fallait pas donner de traitement anti rétroviral, c’est ce que tous les experts occidentaux disaient. On traite les infections opportunistes, on les laisse tranquillement mourir de l’infection à Vih. Mais ce sont ces recherches menées ici qui ont montré la faisabilité de ces traitements en Afrique. Et ce sont ces recherches qui avaient permis de faire le plaidoyer pour que ces médicaments soient mis à la disposition des patients gratuitement. Je peux donner d’autres exemples, et je ne vous ai parlé que des recherches menées, ici, à Dakar, qui était impliqué. Donc, on ne peut pas dissocier la recherche clinique de la médecine.
Que faut-il faire pour propulser la recherche face à la résurgence des maladies émergentes ?
Il y a beaucoup de choses à faire et à chaque niveau. D’abord, au niveau institutionnel, il faut créer et renforcer les institutions de recherche avec un agenda scientifique. Je ne vais pas donner de détail – mais pas d’agenda politique, pas d’agenda personne, pas un autre agenda, un agenda scientifique. La deuxième chose, c’est qu’il faut des moyens financiers. La recherche c’est quand même très lourd, il faut beaucoup de ressources. Si vous avez un montant dérisoire, vous ne pouvez pas faire de la bonne recherche. La recherche coûte cher mais voyez le résultat. Si vous créez un vaccin qui sauve des milliers de vies humaines, vous mettez sur pied un traitement qui guérit des millions de personnes, ça vaut le coup. Il faut former le personnel à la recherche.
Parce que dans l’exercice de sa profession, il peut constater des problèmes, vouloir analyser en vue d’apporter des solutions. Mais beaucoup de médecins dans les régions vous diront qu’ils ont réussi à identifier et à régler un problème à l’issue de recherches opérationnelles. On me raconte une histoire il y a très longtemps par un de nos anciens, je pense que c’était à Khombole, où il y avait beaucoup de cas de tétanos. Alors, quelqu’un a mené des études pour voir si en faisant le flambage de la lame de rasoir, est-ce que cela peut réduire le nombre de cas de tétanos néonatal. Et il avait trouvé que cela a réduit le nombre de cas de tétanos néonatal. Il y a des endroits ici, au Sénégal, où on a juste incité les gens à se laver les mains. Et on a vu en se lavant les mains, que cela réduisait les infections respiratoires. Ceux sont des types de recherche opérationnelle qu’un médecin peut faire. Donc, il faut faire former les gens dans le cadre de cette recherche opérationnelle.
Pour une adhésion des populations aux vaccins et traitements, qu’est-ce qu’il y a lieu de faire ?
Il faut lutter contre les fausses informations, les barrages culturels. La recherche est indispensable. Dans certains endroits, dès qu’on parle de recherche, on pense qu’on met en danger la vie des patients, on donne des médicaments que l’on ne connait pas, etc. Vous avez tous entendu parler du vaccin contre le Covid-19, vous vous rappelez le message qui circulait disant que tous ceux qui sont vaccinés, 6 mois après, allaient tous mourir. Si on était tous morts, que serait devenu le monde ? Ce sont des lobbys très bien organisés pour détruire tout ce qui est en rapport avec la recherche comme ceux qui sont contre les vaccins. Nous sommes infectiologues, moi je n’ai jamais vu de cas de diphtérie, mes anciens en voyaient tous les jours et les gens mourraient comme pas possible. C’est parce qu’il y a le vaccin, le tétanos néonatal, on peut rester 3 ans sans le voir.
Lorsque je faisais mes études en médecine, il y en avait minimum 200 par année. Et je peux continuer à donner des exemples. L’hépatite B, depuis qu’on a commencé à renforcer la vaccination, est devenu assez rare chez les enfants âgés de moins de 15 ans. C’est un gros combat, il faut lutter contre ces obstacles culturels mais aussi politiques. Il faut qu’il y ait de bonnes institutions, une bonne organisation et que le ministère de la santé et tous ceux qui parlent de santé se mettent ensemble pour voir comment faire pour lever tous les goulots d’étranglement.
lateranga