C’est une histoire largement méconnue au Mexique. Au pied des montages du Veracruz, la petite ville de Yanga revendique avec orgueil d’avoir abrité, au XVIIe siècle, le premier peuple libéré de l’esclavage après trente ans de lutte contre la vice-royauté espagnole. Aujourd’hui, les héritiers de ce récit tentent de le promouvoir tandis que beaucoup de Mexicains ignorent encore leurs ascendances africaines.
« Les chaînes brisées signifient la liberté de l’homme noir retrouvée ». Antonio Carrera désigne un détail d’une fresque colorée qui recouvre, sur une vingtaine de mètres, un mur de la plus grande place de Yanga. Ce passionné, qui se définit comme promoteur culturel, est l’un des principaux défenseurs du passé de la ville : « Je suis né ici et je suis fasciné par cette histoire qui nous a affranchis. » Elle est également affichée par un grand panneau sur la route dès l’entrée dans la municipalité : « Yanga, le premier peuple libre des Amériques. »
Son histoire remonte au XVIe siècle, quand les Espagnols débarquent sur le continent par le port de Veracruz et colonisent le territoire mexicain. On estime alors qu’entre 250 000 à 500 000 Africains ont été amenés en Nouvelle-Espagne pour le travail forcé. Parmi eux, Ñyanga, sa statue trône aujourd’hui au milieu de la place. « Il a été enlevé probablement de l’Afrique de l’Ouest vers l’an 1570, raconte Antonio, pour être vendu comme esclave à l’une des fermes des environs. Il travaille pendant neuf ans sous le joug des Espagnols, puis s’échappe et se cache dans la montagne. » Là, il fonde un palenque, une petite communauté qui rassemble d’autres esclaves enfuis. « Ils étaient environ 700 hommes », vivant de l’agriculture et du fruit des attaques qu’ils menaient contre les diligences espagnoles sur le chemin entre Veracruz et Mexico. « En 1609, sous les ordres du vice-roi d’Espagne, Don Luís de Velasco, un groupe de soldats est envoyé pour mettre fin à la rébellion de Ñyanga et ses hommes. » Le promoteur culturel fait alors le récit enflammé des stratégies et des rebondissements de la bataille. Ñyanga en sort finalement vainqueur et parvient à négocier avec la Couronne : « Une trêve et un accord sont conclus, autorisant les rebelles à vivre librement sur ces terres. »
Il faudra attendre vingt ans pour que la fondation du village de San Lorenzo de los Negros soit officiellement actée en 1630, il sera ensuite renommé Yanga au milieu du XXe siècle. « C’est une histoire magnifique », s’émerveille Oscar Malagón, l’artiste peintre auteur de la fresque qui relate la rébellion. Originaire de Yanga, il a dédié tout son art à transcrire l’histoire de cette communauté : « Pour moi, Ñyanga est un symbole libérateur, parce que cet homme a résisté et ne s’est jamais rendu. » Antonio Carrera ajoute : « C’est un précurseur des droits de l’homme sur le continent américain. »
Racontée par un prêtre jésuite dans les chroniques de la Compagnie de Jésus en Nouvelle-Espagne, l’histoire de la révolte de Ñyanga a failli être perdue, restée dans l’oubli pendant trois siècles dans les archives de Córdoba, la grande ville voisine. « Dans tous les traités de la région, explique Antonio Carrera, le nom de Ñyanga a disparu, ils ne mentionnent que la présence des rebelles et leurs attaques. » Dans les années 1980, une poignée d’hommes a entrepris de révéler cet épisode fondateur. « Nous sommes longtemps restés invisibles, déplore Oscar Malagón. Quelques-uns d’entre nous ont toujours revendiqué leurs racines afro-descendantes, mais encore aujourd’hui la ségrégation raciale persiste. »
L’histoire de Yanga sauvée des oubliettes
Au Mexique, quelque 2,5 millions de personnes se reconnaissent une ascendance africaine, selon le dernier recensement de 2020, soit environ 2% de la population. Selon Antonio Carrera, ce nombre est largement sous-estimé : « Nous insistons beaucoup sur le fait que les gens doivent s’auto-déclarer mais, malheureusement, beaucoup ne le font pas. » Au Veracruz comme dans le reste du pays, de nombreux Mexicains ignorent tout simplement leurs origines africaines.
Des racines longtemps oubliées, même par l’État. Lors de l’indépendance du Mexique en 1821, la construction d’une nouvelle identité nationale a effacé les spécificités des communautés indigènes et afro-descendantes. Pour cette dernière, son existence n’a été reconnue que très récemment : en 2019, lorsqu’elle est inscrite dans la Constitution mexicaine. Deux ans plus tôt, l’Unesco avait déclaré la ville de Yanga comme étant un lieu de mémoire de l’esclavage. « C’était ici que se trouvait le siège du mouvement afro », se félicite Efrain Blanco Vera à Mata Clara, le village juxtaposé qui était une ancienne colonie de travailleurs forcés jusqu’au milieu du XIXe siècle. La majorité de ses 2 000 habitants s’identifient comme afro-descendants. Au sein du Conseil afro-mexicain de Veracruz, Efrain se charge de défendre leurs droits : « Aujourd’hui, nous luttons pour que les aides allouées aux membres de la communauté soient les mêmes que pour les indigènes. »
Car la pauvreté frappe plus sévèrement les populations oubliées. À Yanga, le quartier du Mirador héberge une communauté indépendante composée principalement d’Afro-descendants. Elle se trouve dans le dénuement le plus complet. « Telle est la réalité des communautés afro au Mexique, regrette Antonio Carrera, ses résidents vivent sans infrastructures et sans services publics, la justice ne leur est pas encore parvenue, parce qu’ils étaient invisibles. » Alors, il affirme que quelle que soit l’apparence physique des habitants de Yanga, tous sont descendants du rebelle qui a fondé la ville : « Le berceau de la liberté aux Amériques. »
rfi