Benjamin Biolay, cœur de rocker

Est-ce la cinquantaine approchante qui a tant donné envie à Benjamin Biolay de regarder dans le rétroviseur ? Il n’empêche que Saint-Clair, son dixième album écrit principalement à Sète, sa ville d’adoption, s’inscrit dans la belle continuité de Grand Prix, disque de la rencontre avec le grand public. 

Lui s’en souviendra longtemps de ce timing involontairement idéal. Les paroles de Comment est ta peine ? s’abattent sur notre printemps confiné, trouvent immédiatement écho. Prémonitoires, réconfortantes, addictives. Il faut ajouter à cela une section rythmique redoutable. Biolay tient enfin là son tube (vingt millions de streams). Tour de piste inaugural mené tambour battant d’un Grand Prix qu’il franchira en grand vainqueur : doublé artiste masculin/album de l’année en 2021 lors des Victoires de la musique, tournée à guichets fermés dont des jauges de Zénith foulées pour la première fois en vingt ans de carrière.

Rarement éreinté par la critique, l’ex-chanteur maudit s’est ainsi définitivement ouvert un horizon populaire et commercial amorcé par La Superbe. Prolifique – moyenne d’un album tous les vingt-quatre mois – pourfendeur d’ennui, de surplace et d’ignorance, Benjamin Biolay allait-il retrouver dans l’air sétois les adjuvants euphorisants du pluriel musical ?

Il faut ici considérer, à l’image de son métissé diptyque Palermo Hollywood/Volver conçu à Buenos Aires, ce Saint-Clair comme le prolongement de Grand Prix. Même manière de poser de profil sur la pochette. Même balance régulière entre la gifle sonique pop-rock et la caresse cambrioleuse. Même équipage précieux, qu’il embarque également sur scène, composé de Pierre Jaconelli à la guitare et à la basse, Johann Dalgaard au synthé, Philippe Entressangle à la batterie. Et toujours cette contemplation d’une nostalgie fauve, ces chemins de traverse amoureux aussi romantiques que patraques, cette mélancolie dansante, cette sensibilité exacerbée, ces six cordes nettement mises en avant qui prennent à nouveau le pouvoir sur les arrangements orchestraux et le piano. Menu (trop ? ) copieux en dix-sept temps pour se plier à son appétit sans mesure.

Dès Les Joues roses, Biolay parade toutes fenêtres ouvertes dans un bolide princier qui entre en trombe dans les cœurs (« S’il n’en restait qu’une/Les soirs de chagrin/Je voudrais m’étreindre/En baisant ta main« ). Fonceur encore, vicieux dans son approche mélodique sur l’équivoque Rends l’amour, constat amer et politique à rapprocher du slogan « Rend l’argent ! ».

Il y a du religieux dans les textes (Sainte-Rita), du sociétal (La traversée, sur le naufrage des migrants en Méditerranée), du cru avec le verbe baiser qui revient de façon assez récurrente, du souvenir autobiographique (Les lumières de la ville), de la projection heureuse (Saint-Germain). Ou l’introspection couperet et foudroyante de (Un) Ravel, sommet du disque (« Ainsi va la vie/Ce joyeux bordel mêlé d’ennuiQuelques faits de gloire/Peu de fantasmes assouvis/Mais qui tournent au ralenti/Intérieur nuit »).

Tout n’est pas exemplaire dans cette abondance de titres : Numéros magiques se vautre comme le Depeche Mode du pauvre tandis que Forever prend des allures poussives de déjà-entendu. Plutôt que le duo anecdotique avec Nathy Cabrera, on préférera sans réserve celui partagé avec Clara Luciani et doté d’un imparable refrain (Santa Clara). Détenteur désormais d’un trousseau à multiples clés, Biolay va plonger prochainement dans l’arène de Bercy. Une autre première fois. Dandy gladiateur solidement armé pour le combat. 

Benjamin Biolay Saint-Clair (Romance Musique) 2022

rfi

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