Elizabeth II, reine pop

Le respect dû à la Couronne britannique n’empêche pas les chansons – tout au moins depuis la fin des années 60. Des Beatles aux Sex Pistols, les Britanniques l’ont souvent attaquée ou critiquée, tandis que les artistes français se contentent de la rêver.

Dans un deuil ne comptent pas que les hymnes et les cantiques, les fanfares militaires et les chœurs anglicans. La mémoire collective britannique a aussitôt convoqué les chansons qui se sont accumulées tout au long du règne d’Elizabeth II. Ou plutôt non : pas tout son règne. Les chanteurs de variétés ont très longtemps été d’une déférence qui se traduisait par un vaste silence. Les Britanniques aimaient leur souveraine et ne la chantaient guère. Certes, le patriotisme n’a jamais été absent des répertoires populaires, mais les auteurs et compositeurs préféraient écrire sur la fierté d’être anglais, les grenouilles des Français ou les défaites militaires des Allemands plutôt que sur le charme et les sourires d’Elizabeth II.

Le régime de monarchie parlementaire du Royaume-Uni la protégeait des plumes trempées dans l’encrier de l’actualité politique. Ainsi, les Premiers ministres n’ont jamais été épargnés et Margaret Thatcher, notamment, a pris son content de gnons, pour parler comme Georges Brassens.

Elizabeth II règne depuis une bonne vingtaine d’années quand sort la charmante chanson Her Majesty – vingt-trois secondes à la toute fin de la face B de l’album Abbey Road des Beatles. Écrite, composée et enregistrée par Paul McCartney sur l’inspiration de sa rencontre avec la reine, la chanson dit gentiment qu’elle n’a pas grand-chose à dire, mais qu’elle est bien attirante. Le symbole est amusant : la dernière chanson du dernier disque enregistré par le plus grand groupe britannique de l’histoire est un portrait de sa reine.

Curieusement, c’est une des plus douces chansons pop sur Elizabeth II qui a plutôt suscité des épines que des roses de la part de ses sujets musiciens. Évidemment, on pense à God Save the Queen des Sex Pistols en 1977, qui stigmatise « son régime fasciste », Elizabeth my Dear des Stone Roses en 1989, qui détourne un air de la Renaissance anglaise pour l’appeler à abdiquer, ou Nothing Great About Britain du rappeur Slowthai en 2019, qui exige d’elle qu’elle le respecte avant qu’il pense à la respecter. On peut imaginer sans peine que ces artistes comptent parmi le quart de la population britannique qui souhaite l’abolition de la monarchie.

Avec le temps, un autre songbook s’est peu à peu constitué, qui se demande qui est la personne derrière la reine. Ainsi, Billy Bragg dans Rule Nor Reason, en 1999, décrit une souveraine seule sur son trône, écoutant des disques de Shirley Bassey et pleurant en regardant par la fenêtre.

On peut évidemment l’imaginer en personnage plus bouffon. Chez les citoyens jamaïcains, également sujets de la Couronne, on s’amuse bien, par exemple avec U Roy qui fume de l’herbe avec elle dans Chalice in the Palace en 1976 ou avec Eek A Mouse qui se moque de ses grands airs dans Queen Elizabeth en 1984.

De l’autre côté de la Manche

En France, la Reine Elizabeth est aussi, très souvent, un personnage de fiction. Déjà, dans les années 50, Boris Vian imagine qu’elle lui demande de remplacer le prince consort – mais la chanson Dans mon lit ne sera enregistrée qu’après sa mort, en 1964, par Jacques Higelin. Et ce fantasme de lèse-majesté s’est perpétué de génération en génération, par exemple dans El Padre de Rohff en 2013.

Dans La Reine d’Angleterre, en 2010, Katerine s’imagine qu’elle lâche des bordées d’insanités, qu’il enregistre d’ailleurs en français et en anglais. Pourtant, dans la sagesse populaire avec laquelle les baby-boomers ont été élevés, Elizabeth incarne le parangon absolu de la plus exquise et implacable politesse, qualité citée pêle-mêle par Henri Tachan, Pierre Perret ou François Morel.

Mais nous sommes français et ne comprenons pas forcément l’essence de la monarchie. D’ailleurs, en 1987, dans Liebe, Laurent Voulzy chante : « Comme y’a une reine d’Angleterre / Rien n’sert à rien dans l’univers ». Voici qui projette Elizabeth II dans les méandres sans fin de la métaphysique et, une fois de plus, un texte d’Alain Souchon condense notre imaginaire collectif : un monde dans lequel une reine britannique a incarné longtemps une idée de la permanence.

D’ailleurs, en 1980, dans Le Crooner de l’an 2000, sur un texte de Luc Plamondon, Julien Clerc chante que vingt ans plus tard, il pense au rock’n’roll de jadis avec Mick Jagger et qu’ensemble, ils prennent le thé sur la tombe d’Elizabeth. Une curieuse vision du futur exprimée il y a quarante-deux ans, dans laquelle on n’imaginait pas que ces deux chanteurs seraient toujours actifs en 2022, et encore moins que la Reine mourrait à quatre-vingt-seize ans.

rfi

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