Fusion nucléaire : la Chine prépare une centrale hybride révolutionnaire, et c’est pour bientôt

Les physiciens et ingénieurs chinois vont-ils damer le pion à ITER et aux autres tokamaks ?

D’après les informations du South China Morning Post, la Chine vient de faire une annonce assez inattendue qui a fait froncer les sourcils de quelques observateurs. Le gouvernement chinois aurait validé la construction d’une centrale hybride qui utiliserait à la fois les technologies de la fission et de la fusion nucléaire.

La fission, c’est le principe physique qui permet à ce qu’on appelle couramment des « centrales nucléaires » de produire de l’énergie. Elle est déjà maîtrisée par les humains depuis belle lurette. Pour la fusion, en revanche, c’est une autre histoire. C’est le Graal après lequel courent des milliers d’ingénieurs de grand talent. Elle permettrait de produire une énergie dantesque à partir de matériaux abondants, et sans les risques associés à la fission.

Autant dire que la fusion sera probablement au centre de la plus grande révolution énergétique de l’humanité depuis l’invention de l’humanité, ou peut-être même depuis la découverte du feu. Le problème, c’est que même si les bases théoriques sont désormais bien comprises par les spécialistes, il est immensément difficile de passer à la phase concrète.

Jusqu’à présent, tous les projets les plus avancés ont misé sur de tokamaks. Très sommairement, c’est un modèle de réacteur qui consiste à enfermer un plasma surchauffé dans une enclave magnétique pour forcer les atomes à fusionner. Le représentant le plus célèbre de cette catégorie est certainement ITER, le grand projet international basé en France, à Caradache.

Il y a aussi tout un tas de tokamaks expérimentaux à plus petite échelle qui servent à explorer cette technologie pour ouvrir la voie à ITER. On peut par exemple citer le JET ou le KSTAR, qui a récemment validé un test assez impressionnant . Mais la route sera encore longue. Le premier plasma d’ITER, par exemple, n’est pas attendu avant 2025 — et il s’agit d’une date butoir particulièrement optimiste. La récupération de l’énergie, elle, n’est pas prévue avant plusieurs décennies. Malgré tous ces grands projets, tout le monde s’accorde à dire que la fusion nucléaire commerciale est encore très loin….

… ou plutôt, tout le monde sauf le pays de Xi Jinping. Peng Xianjue, un éminent chercheur chinois spécialiste de l’armement et du nucléaire, a annoncé lors d’une conférence qu’elle comptait générer de l’énergie grâce à la fusion nucléaire d’ici 2028… Une date qui semble extrêmement ambitieuse, pour ne pas dire carrément fantaisiste connaissant les enjeux technologiques. Mais si les chercheurs se montrent aussi optimistes, c’est qu’ils misent sur une approche assez unique qui pourrait changer la donne.

Car contrairement à la de nombreuses institutions européennes et américaines, les chercheurs de l’Empire du Milieu n’ont pas misé exclusivement sur le principe du tokamak. À la place, ils comptent utiliser une version hybride d’une machine à striction axiale, plus connue sous le nom de Z-pinch.

Le retour en grâce de la Z-Machine

C’est un concept déjà bien connu depuis longtemps qui a été exploré par de nombreuses institutions de recherche ; les États-Unis, la Chine et la Russie ont tous déjà construit plusieurs Z-pinch expérimentaux. On peut par exemple citer la célèbre Z-Machine basée à Albuquerque, aux États-Unis.

Comme dans un tokamak, le nerf de la guerre, c’est le confinement d’un plasma. Dans une étoile comme notre Soleil, qui ne sont en fait que d’immenses centrales à fusion à ciel ouvert, ce sont les immenses forces gravitationnelles en jeu qui se chargent d’enfermer ces particules surchauffées.

Sur Terre, en revanche, c’est beaucoup plus compliqué. Certes, les adeptes du tokamak ont compris depuis belle lurette qu’il est possible d’y parvenir en établissant un champ magnétique surpuissant grâce à d’immenses électro-aimants. Mais ça reste beaucoup plus facile à dire qu’à faire.

Certains spécialistes ont donc suggéré qu’il pourrait être possible de se passer entièrement de ces fameux électro-aimants, et par extension, des innombrables défis d’ingénierie qui y sont associés.

À la place, dans un Z-pinch, le gaz est d’abord transformé en plasma à l’aide d’une décharge électrique surpuissante. Le passage de ce courant comprime alors violemment le plasma par l’intermédiaire des Forces de Lorenzt ; il se recroqueville progressivement au centre d’une chambre en forme de tube jusqu’à arriver à un stade critique où il s’arrête brutalement.

On se retrouve donc avec une grande quantité d’ions orphelins qui n’attendent qu’une chose : se débarrasser de toute l’énergie cinétique qu’ils ont accumulée au cours du processus. Cette énergie est libérée sous la forme d’une très grande quantité de rayons X ou UV ; ils vont rapidement surchauffer une capsule de combustible qui va à son tour lancer des réactions de fusion nucléaire à relativement petite échelle.

Une centrale hybride fusion-fission unique en son genre

Mais comme toujours dans le cas de la fusion nucléaire, le principal enjeu est de permettre à une telle machine d’atteindre le stade de la production nette d’énergie, et c’est là que le bât blesse. Que ce soit avec un tokamak ou un z-pinch, aucun laboratoire n’a encore réussi à y parvenir jusqu’à présent. Et jusqu’à preuve du contraire, les chercheurs chinois n’ont pas fait de découverte révolutionnaire qui permettrait de changer la donne à ce niveau.

Mais ils ont tout de même eu une idée très ingénieuse : au lieu de se casser les dents sur ce problème, ils ont choisi de le contourner complètement. Ils ne chercheront pas à récupérer toute l’énergie produite par la réaction de fusion initiale.

À la place, elle sera majoritairement redirigée vers la seconde partie de l’installation. Elle viendra alors percuter de l’uranium pour lancer une réaction de fission nucléaire identique à celle des centrales traditionnelles. On se retrouve donc avec une centrale hybride où un processus de fusion sert à amorcer une fission classique.

La Chine va-t-elle damer le pion à ITER et consorts ?

À première vue, l’intérêt d’imaginer un système aussi élaboré pour pratiquer de la « simple » fission nucléaire, déjà maîtrisée depuis des lustres, est tout sauf évident. Ce qui rend cette approche intéressante, c’est que cette réaction de fission multiplie aussi la production de chaleur totale du système par 10, voire 20.

Et cette production de chaleur pourrait à son tour participer à chauffer du plasma dans ce qui serait cette fois une vraie centrale à fusion. En revanche, cette étape arrivera bien plus tard. Car comme toujours lorsqu’on parle de fusion, il va falloir franchir d’immenses obstacles technologiques pour passer de la preuve de concept à la réalité. Dans le cas de ce Z-Pinch, il faudrait par exemple déployer des câbles électriques capables de supporter le courant électrique le plus intense jamais produit par l’humanité — et ce n’est que la partie émergée d’un immense iceberg.

Les chercheurs chinois estiment tout de même pouvoir arriver à la fusion nucléaire commerciale à l’horizon 2035. Il y a de quoi être sceptique, mais cela serait en tout cas un tour de force technologique hallucinant ; à titre de comparaison, la première preuve de concept non commerciale d’ITER n’est pas attendue avant 2060… Il sera donc très intéressant de suivre l’avancée de ces travaux qui ambitionnent de griller la politesse aux tokamaks ; nous vous donnons rendez-vous à la fin de la décennie pour en avoir le cœur net.

South China Morning Post

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