« Giorgia Meloni, c’est la nouveauté » : la leader d’extrême droite aux portes du pouvoir italien

À quelques jours des législatives en Italie, Giorgia Meloni, la leader du parti d’extrême droite Fratelli d’Italia, semble en passe de devenir la première présidente du Conseil de l’histoire du pays. Dimanche 11 septembre, elle était en meeting à Milan, fief de son ancien allié et rival Matteo Salvini.

Des badauds se promènent, des couples se régalent de glaces italiennes, des touristes cherchent à prendre la meilleure photo de l’imposante cathédrale… Ce 11 septembre pourrait ressembler à un dimanche comme un autre place du Duomo, à Milan, dans le nord de l’Italie. Si ce n’est qu’en plein centre, une foule agitant des drapeaux est réunie autour d’une oratrice à l’accent romain prononcé.

Il s’agit de Giorgia Meloni, la leader du parti Fratelli d’Italia, mouvement d’extrême droite né en 2012 et qui est parvenu à s’imposer en quelques années comme le principal parti d’opposition dans le paysage politique. À 45 ans, la grande blonde à l’air vindicatif apparaît comme la favorite aux prochaines élections législatives, le 25 septembre, organisées après la chute du Premier ministre Mario Draghi fin juillet. 

Des partisans de Giorgia Meloni brandissent des drapeaux à l'effigie du parti Fratelli d'Italia, à Milan, le dimanche 11 septembre 2022.

Selon les derniers sondages, le parti est crédité de près de 25 % des voix à l’échelle nationale, soit cinq fois plus que lors des dernières législatives en 2018, mais surtout bien au-dessus des autres partis de droite, dirigés par Matteo Salvini et l’éternel Silvio Berlusconi. Réunis dans une large coalition, les trois partis pourraient obtenir une majorité suffisamment solide pour modifier la Constitution italienne.

« Giorgia Meloni est la seule que nous n’ayons pas encore essayée – ce qui signifie qu’elle est la seule qui n’a pas encore échoué », explique simplement Francesco Trevisi, un retraité originaire de Lecce, dans le sud de l’Italie, alors qu’il termine sa balade. 

Milan, fief de Salvini et Berlusconi

Que ce soit à cause de la chaleur écrasante, d’une campagne électorale en demi-teinte ou du Grand Prix de Formule 1 qui se déroulait à quelques kilomètres de là, à Monza, Giorgia Meloni n’a pas réussi à « remplir la piazza Duomo », comme elle l’avait promis. Mais la présence de quelques milliers de ses partisans suffit pour mettre en évidence le nouveau rapport de forces au sein de la droite italienne. 

Traditionnellement, Milan, moteur économique du pays, est  le fief des grands pontes Silvio Berlusconi et Matteo Salvini. C’est ici que le premier a bâti ses empires immobiliers, publicitaires et télévisuels, où il possédait un club de football et où il a lancé sa carrière politique. C’est ici aussi que le parti du second, la Ligue, autrefois appelée la Ligue du Nord, espérait créer une capitale prospère et indépendante, loin de « Roma Ladrona » (Rome, la voleuse, NDLR).

Lors des campagnes électorales précédentes, les deux hommes avaient rivalisé d’efforts pour organiser le plus grand rassemblement possible au pied du Duomo, la troisième plus grande cathédrale du monde. Cette année, ils n’ont pas eu d’autre choix que de céder du terrain à Giorgia Meloni. Et cela se ressent dans les sondages : en 2018, Fratelli d’Italia avait obtenu moins de 4 % des voix dans la capitale de la Lombardie. Cette fois-ci, il devrait en rafler le quart.

Un panneau d'affichage de la Ligue, le parti de Matteo Salvini, promettant de mettre fin aux traversées de migrants en Méditerranée, photographié dans la principale gare ferroviaire de Milan.
Giorgia Meloni, seule figure d’opposition

Dans les sables mouvants de la politique italienne, où les hommes politiques semblent changer d’avis, de parti ou de coalition tous les deux jours, Giorgia Meloni bénéficie d’un avantage majeur : une réputation de constance et de cohérence. Pour cause, son parti a été le seul à ne pas rejoindre la coalition d’unité nationale de Mario Draghi – une formation qu’elle qualifiait d’antidémocratique.

« Qu’on l’aime ou non, elle est restée fidèle à sa parole et a refusé de s’engager dans des alliances contre nature », salue ainsi Grazia Valerin, une retraitée milanaise tombée par hasard sur le rassemblement de la candidate. « On ne peut pas en dire autant des gens comme Salvini. Ils prétendent aujourd’hui être dans l’opposition alors qu’ils étaient au gouvernement », abonde son compagnon, Ruben, employé d’assurance. Ancien électeur de la Ligue, il a d’ores et déjà décidé de ne pas renouveler son vote fin septembre.

« Giorgia Meloni exploite habilement sa position de principale force d’opposition », analyse Maurizio Cotta, professeur de sciences politiques à l’université de Sienne. « Elle a su capitaliser sur le ressentiment d’une partie de la population envers le gouvernement de Mario Draghi – une politique d’abord considérée comme compétente et efficace, mais qui est également apparue comme sévère et technocratique ».

« Les limites de Salvini sont devenues trop évidentes pour la plupart des électeurs », poursuit le spécialiste – la popularité de Matteo Salvini a dégringolé depuis sa prise de pouvoir bâclée en 2019. Quant à Berlusconi, 85 ans, « il est une force épuisée ». 

L’Italie d’abord, l’Europe ensuite

La désillusion à l’égard de Matteo Salvini était d’ailleurs un thème récurrent du meeting à Milan. « Meloni a appris des erreurs de Salvini », assure Massimo Boscia, un étudiant de 23 ans, qui a lui aussi rompu avec l’homme politique après sa décision de rejoindre le gouvernement d’unité nationale.

L’étudiant a surtout été conquis par le programme économique de la candidate Fratteli d’Italia, un mélange de réductions d’impôts favorables aux entreprises, de protectionnisme, d’investissements industriels et qui refuse de répondre aux « injonctions stériles de l’environnementalisme. »

Si l’Italie a la deuxième dette publique la plus élevée de la zone euro, l’Union européenne lui a réservé plus de 200 milliards d’euros de fonds de redressement post-pandémie. Un accord subordonné à une série de réformes que Giorgia Meloni assure, par ailleurs, vouloir renégocier si elle est élue. « Je le dis à l’Union européenne : la fête est terminée », a-t-elle lancé, dimanche, promettant de « commencer à défendre les intérêts nationaux de l’Italie comme le font déjà tous les autres membres de l’UE ». Loin des rassemblements, la candidate avait cependant adopté un ton plus conciliant envers Bruxelles, promettant notamment une prudence budgétaire. 

Contrairement à Salvini, Meloni s'en est tenu à une ligne pro-Otan, soutenant les sanctions occidentales contre la Russie en raison de la guerre en Ukraine.

Pendant sa prise de parole, Giorgia Meloni s’est aussi attaquée une nouvelle fois au candidat de centre gauche, Enrico Letta, son principal adversaire. « La gauche nous attaque à longueur de journée parce qu’elle n’a rien d’autre à offrir », a-t-elle lancé. Et de dénoncer : « Ils essaient de créer un monstre (…) en me traitant de fasciste ». 

Des accusations que la gauche est allée puiser dans les origines du parti Fratelli d’Italia. « Giorgia Meloni dirige un parti dont les racines remontent à la tradition fasciste, notamment à travers le symbole de la flamme », explique Paolo Berizzi, journaliste au quotidien italien La Repubblica, qui vit sous protection policière depuis trois ans après avoir reçu des menaces de mort de la part de groupes néofascistes. « Dans ses interviews avec la presse étrangère, elle essaie de se montrer modérée, mais lorsqu’elle s’adresse à des foules de droite lors de rassemblements, elle montre son vrai visage », ajoute-t-il. 

« En l’état actuel des choses, cette nation est destinée à disparaître », a averti Giorgia Meloni, dimanche, avant d’ajouter, fidèle à ses valeurs : « Et La solution n’est pas l’immigration, comme la gauche voudrait vous le faire croire ». 

Une victoire « féministe »

La candidate aime se décrire elle-même comme une « conservatrice » qui défend le patriotisme et les valeurs familiales traditionnelles. Giorgia Meloni reste, par exemple, opposée aux quotas visant à renforcer la présence des femmes au Parlement ou dans les conseils d’administration, affirmant qu’elles doivent arriver au sommet par le mérite, comme elle l’a fait. 

Et si son parti a une priorité concernant les femmes, c’est surtout celle d’inverser le déclin du taux de natalité en Italie. « Les femmes ne devraient pas avoir à choisir entre leur carrière et la maternité, comme je l’ai fait lorsque j’ai quitté mon emploi pour avoir un bébé », affirme Rafaella D’Ascoli, chanteuse lyrique, venue scander l’hymne national italien à la fin du meeting. « Il faut faire en sorte qu’elles puissent faire les deux ». 

Dans l’assemblée, plusieurs partisans de Girogia Meloni voient en sa probable victoire prochaine une avancée pour la cause féministe. « Une victoire de Fratelli d’Italia serait une victoire pour les femmes », estime ainsi Serena, pharmacienne, saluant sa « ténacité ».  

Au fond, le programme de Giorgia Meloni est « à peu près le même que celui de Salvini », conclut de son côté Claudio, retraité. Nostalgique de la Ligue d’autrefois, lui restera fidèle au parti de Matteo Salvini. « L’Italie a essayé tout le monde [à droite, NDLR] Meloni, c’est la nouveauté », explique-t-il. « Ça me convient parfaitement. Tant qu’à la fin, ils gouvernent ensemble.  » 

france24

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