En Syrie, on boit de l’eau polluée malgré le choléra

Au milieu d’enfants en pleurs dans un hôpital bondé de l’est de la Syrie, Ahmad al-Mohammad se tord de douleur. Sa femme et lui sont atteints de choléra, une maladie qui a ressurgi dans le pays.

Depuis six jours, ce Syrien de 45 ans voit défiler d’autres patients à l’hôpital Al-Kasrah dans la province de Deir Ezzor, où l’eau du fleuve Euphrate, pollué, est utilisée par les habitants pour boire et pour irriguer les plantations.

« On a souffert de diarrhée, de vomissements et de douleurs (…) parce qu’on boit de l’eau directement de l’Euphrate », raconte à l’AFP Ahmad al-Mohammad qui parvient à peine à parler. « Cette eau est polluée mais on n’a pas d’autre choix. »

A proximité, un homme berce son enfant sous perfusion.

Pour la première fois depuis 2009, le choléra, une infection diarrhéique aiguë, est réapparu début septembre en Syrie où environ deux tiers des usines de traitement d’eau, la moitié des stations de pompage et un tiers des châteaux d’eau ont été endommagés par onze ans de guerre, selon l’ONU.

Une vue aérienne le 17 septembre 2022 du fleuve Euphrate, dans l’est de la Syrie, dont l’eau contaminée est utilisée pour boire et irriguer les plantations (AFP – Delil SOULEIMAN)
Une vue aérienne le 17 septembre 2022 du fleuve Euphrate, dans l’est de la Syrie, dont l’eau contaminée est utilisée pour boire et irriguer les plantations (AFP – Delil SOULEIMAN)
Le gouvernement syrien a annoncé 23 décès et plus de 250 infections dans six provinces sous son contrôle dans le pays morcelé, la plupart des cas à Alep (nord).

Dans les régions aux mains de l’administration autonome kurde qui contrôle une grande partie du Nord-Est, seize décès et 78 cas, dont 43 dans l’ouest de Deir Ezzor, ont été recensés, selon Juan Mustafa, un responsable kurde de la Santé.

Les tests ont montré la présence de la bactérie responsable du choléra dans l’Euphrate, d’après lui.

– « De toute urgence » –

En raison de la sécheresse, de la pollution et du déversement des eaux usées, le débit de l’Euphrate, qui irriguait dans le passé les régions parmi les plus fertiles de Syrie, a beaucoup baissé et plusieurs parties sont asséchées.

Les Kurdes syriens accusent aussi la Turquie voisine, par laquelle passe l’Euphrate, de retenir plus d’eau que nécessaire dans ses barrages, réduisant le débit du fleuve côté syrien.

Mais l’eau potable est devenue une denrée très rare. Et même l’eau achetée est souvent contaminée.

L’hôpital Al-Kasrah admet des dizaines de cas suspects chaque jour, selon son directeur Tarek Alaeddine.

« Tous les patients buvaient de l’eau livrée par des camions qui l’extraient directement de l’Euphrate, sans filtrage ni stérilisation », déclare M. Alaeddine. « Nous appelons les organisations internationales à agir de toute urgence. »

Selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH), la maladie s’est propagée dans l’ouest de la province de Deir Ezzor après que les autorités locales ont cessé de distribuer du chlore aux stations de pompage d’eau.

– « Pas d’autre choix » –

Des patients atteints de choléra reçoivent leur traitement à l’hôpital Al-Kasrah, dans la province syrienne de Deir Ezzor (est), le 17 septembre 2022 (AFP – Delil SOULEIMAN)
Des patients atteints de choléra reçoivent leur traitement à l’hôpital Al-Kasrah, dans la province syrienne de Deir Ezzor (est), le 17 septembre 2022 (AFP – Delil SOULEIMAN)
L’administration kurde a déclaré avoir repris la distribution de chlore après la réapparition de l’épidémie et fournir une aide aux établissements médicaux de la région pour éviter sa propagation.

Mais une solution risque d’être difficile.

L’agriculteur Ahmad Souleiman Al-Rachid, 55 ans, dit avoir irrigué ses champs avec l’eau de l’Euphrate, contaminant les cultures.

« Il n’y a pas de stations de filtrage de l’eau. On boit de l’eau non stérilisée et non chlorée, et on compte sur Dieu pour nous protéger », dit-il. « Que peut-on faire d’autre? Les autorités sont à blâmer. »

Au même moment, un camion rouillé pompe de l’eau trouble de l’Euphrate.

« On sait que l’eau est polluée, mais on la boit quand même. On n’a pas d’autre choix », ajoute l’agriculteur.

Non loin, un jeune garçon s’asperge le visage d’eau fraîche du fleuve. A côté de lui, Sobha Hamid Ali, 60 ans, lave des feuilles d’épinards avec l’eau du fleuve.

« On est obligés de manger des légumes contaminés », se lamente-t-elle. « Il faut bien qu’on vive après tout. »

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