Les « Suisse Secrets » n’ont pas fini de livrer tous leurs secrets. La fuite de données de Credit Suisse apporte aujourd’hui un nouvel éclairage sur une gigantesque affaire de corruption sur des contrats pétroliers au Nigeria à la fin des années 1990.
Dans un article publié le 22 septembre, nos partenaires de l’Organisation Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP) révèlent l’existence de cinq comptes en banque suisses, jusqu’alors inconnus, contrôlés par des employés de Addax Petroleum.
Cette société, sortie de nulle part, avait obtenu en 1998 l’un des contrats pétroliers les plus lucratifs de l’histoire du Nigeria. Une enquête nigériane avait, par la suite, établi qu’elle avait, en échange, versé plusieurs millions de dollars de pots-de-vin au clan du dictateur Sani Abacha. La justice française avait, quant à elle, condamné en 2007 le ministre du pétrole de l’époque, Dan Etete, pour avoir blanchi une partie de ces fonds occultes.
Les recherches de l’OCCRP permettent aujourd’hui d’établir que plusieurs autres figures politiques majeures en Afrique occidentale et centrale étaient liées à Addax et à sa maison mère, Addax and Oryx Group (AOG), partageant les mêmes comptes à la banque Credit Suisse, sur lesquels ont transité plusieurs dizaines de millions de francs suisses.
Parmi les multiples cotitulaires de ces comptes joints, un nom interpelle : celui d’Umaru Ali Shinkafi, qui fut le chef des renseignements nigérians du régime civil de 1979 à 1983, avant de se rapprocher du clan Abacha après son coup d’Etat militaire, puis de se présenter à la vice-présidence du Nigeria après la mort du dictateur. A ses côtés, apparaissent les noms d’employés d’Addax, mais aussi de personnalités politiques congolaises (Dominique Nimi Madingou et Maurice Nguesso) et sénégalaises (Moustapha Niasse et Abdoulaye « Baba » Diao), dont la présence n’est, à ce jour, pas expliquée.
Interrogé par l’OCCRP, AOG a assuré que ces comptes n’étaient « pas secrets ». Selon l’explication avancée par le groupe, les personnalités politiques précitées étaient des actionnaires minoritaires d’AOG, et ces comptes permettaient de leur verser des dividendes « modestes ». AOG précise qu’elles n’avaient, à l’époque, « aucun mandat politique ».
Une explication qui ne convainc pas David Mühlemann, expert juridique et financier à l’ONG anticorruption suisse Public Eye : « A première vue, j’ai du mal à trouver des raisons légitimes pour lesquelles AOG devrait détenir des comptes communs avec des personnalités politiques de haut rang », réagit l’expert auprès de l’OCCRP. De fait, leur simple présence parmi les actionnaires de ce groupe titulaire de contrats pétroliers au Nigeria, inconnue jusqu’alors, soulève de nombreuses questions.
Les données de « Suisse Secrets » étant muettes sur l’origine et la destination des fonds ayant transité par ces comptes, il est impossible de savoir si ceux-ci ont pu être utilisés pour payer des pots-de-vin jusqu’alors inconnus à d’autres personnalités publiques, au Nigeria ou ailleurs.
Les antécédents d’Addax en matière de corruption et d’irrégularités financières poussent toutefois l’activiste nigérian Olanrewaju Suraju, président de l’ONG Human and Environmental Development Agenda, à avancer cette hypothèse auprès de l’OCCRP. Seule une nouvelle enquête permettrait d’établir le rôle exact joué par ces comptes suisses. Depuis le retour de la démocratie, les autorités nigérianes se battent pour récupérer les fonds détournés du temps du régime Abacha. Elles ont obtenu, en 2017, la restitution d’environ 321 millions de dollars (270 millions d’euros) confisqués sur des comptes suisses liés à l’ancien dictateur.
Le Monde