Enquête en France sur des implants vaginaux pour tromperie et blessures involontaires

Paris  – Les mêmes douleurs de « déchirement de l’intérieur », le même sentiment d’avoir été dupées puis abandonnées. Sujettes à de graves effets secondaires depuis la pose d’implants vaginaux, une quarantaine de patientes ont obtenu l’ouverture d’une enquête à Paris, estimant ne pas avoir été informées des risques de complications irréversibles.

En décembre 2019, Catherine M. sort d’une opération d’une trentaine de minutes avec une bandelette, un petit filet en polypropylène installé sous l’urètre, censée résoudre son incontinence urinaire à l’effort.

L’implant lui avait été présenté comme la « solution idéale, en ambulatoire », raconte à l’AFP cette institutrice quinquagénaire, lors d’une rencontre avec d’autres plaignantes assistées de leurs avocates Mes Laure Heinich, Hélène Patte, Dorothée Bisaccia-Bernstein et Amandine Sbidian.

« J’ai toujours fait confiance aux médecins », souligne-t-elle, amère. Pourtant, très vite, son état de santé se dégrade: une vive « douleur électrique » dans le bassin et la hanche gauche, « comme si elle était écartelée, qui irradie jusque dans le pied ».

Impossible de s’asseoir, d’avoir une vie sexuelle, de marcher. S’ensuivent un arrêt maladie de six mois, une dépression: « je leur en veux de ne pas m’avoir informée qu’on ne pourrait pas l’enlever », dit-elle.

Les bandelettes sous-urétrales et les prothèses de renfort pelvien, posées par voie vaginale ou abdominale, sont des dispositifs médicaux développés depuis la fin des années 1990.

Ces implants sont destinés respectivement au traitement de l’incontinence urinaire et des prolapsus (descente) des organes pelviens – un phénomène « généralement pas dangereux » et sans « risque d’aggravation rapide » selon la Haute autorité de santé (HAS). Une fois posés, ils s’incorporent aux tissus.

Selon le site de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), environ 50.000 dispositifs sont vendus annuellement en France, les deux tiers pour traiter l’incontinence urinaire. En 2019, 8 des 19 fabricants se partageaient près de 90% du marché.

Consentement
Certaines patientes ont voulu se faire enlever leur implant devenu trop douloureux, souvent sans succès. Marie-Christine S. a ainsi subi sept opérations depuis la pose de sa prothèse en 2002, selon les éléments portés à la justice.

« Ce sont vraiment des corps sacrifiés », s’émeut Me Laure Heinich.

Amélie (prénom modifié), 40 ans, a été opérée en novembre 2019 pour un prolapsus. « J’ai un implant dont je n’ai jamais voulu, je n’ai jamais eu de document de consentement », déplore-t-elle, très émue.

Parmi les effets indésirables: incontinence, infections, saignements, lésions, douleurs chroniques.

« Ça a détruit ma vie », renchérit Stéphanie Neplaz, qui a le sentiment d’avoir servi de « cobaye » lors de la pose d’une bandelette pour résoudre une incontinence consécutive à sa grossesse en 2016.

Toutes font partie de la quarantaine de femmes, âgées de 40 à 80 ans, qui ont signé deux plaintes contre X – en 2020, puis 2021 – pour des faits s’étalant de 1995 à 2019.

Une enquête préliminaire est ouverte depuis le 20 avril 2021 pour tromperie aggravée et blessures involontaires, confiée à l’Office de lutte contre les atteintes à la santé publique (OCLAESP), selon le parquet de Paris, sollicité par l’AFP.

Les notices des laboratoires étaient-elles sincères et complètes ? Les chirurgiens ont-ils informé leurs patientes des risques ? Ont-ils posé correctement les implants ? Les contrôles des autorités sanitaires ont-ils été suffisants ?

« Bonne foi »
Les plaignantes soutiennent que les laboratoires ont sciemment minimisé voire dissimulé les risques que présentaient leurs dispositifs, notamment les difficultés – même l’impossibilité – de les enlever.

« Tout en compatissant avec toutes les femmes qui connaissent des complications médicales liées au prolapsus des organes pelviens, Ethicon a agi de bonne foi en se basant sur des preuves scientifiques rationnelles concernant la recherche, le développement et la commercialisation de notre produit », souligne dans une déclaration transmise à l’AFP cette filiale de Johnson & Johnson, un des laboratoires mis en cause.

Selon les plaignantes, ces dispositifs ont été validés en France malgré des « études cliniques insuffisantes ».

Leur commercialisation ne requérait pas d’autorisation de mise sur le marché mais une certification CE (conformité européenne). Les premières enquêtes de matériovigilance en 2005 puis 2016 ne concluaient pas à une fréquence anormale de complications, autour de 1,5%, selon le site de l’ANSM.

Aux Etats-Unis pourtant, les prothèses posées par voie vaginale ont été classifiées à « haut risque » en 2016 et interdites en 2019.

Un an plus tard, le groupe pharmaceutique Johnson & Johnson y a été condamné à payer 344 millions de dollars pour publicité trompeuse et mensongère dans la commercialisation des implants pelviens de sa filiale Ethicon.

Puis la société américaine Boston Scientific a versé 189 millions de dollars pour solder des poursuites.

Utilisation suspendue
L’Australie a interdit les implants pelviens en 2017 et en 2019, Johnson & Johnson y a été reconnu coupable de négligences et de pratiques trompeuses. Et une plainte a été déposée en Afrique du Sud en 2021.

En France, la HAS réclamait en 2007 « des données cliniques comparatives pour confirmer l’intérêt » des implants pour le prolapsus posés par voie vaginale, selon une évaluation disponible en ligne.

Leur utilisation est suspendue depuis un arrêté ministériel de février 2019. En revanche, ceux posés par voie abdominale et les bandelettes sous-urétrales sont toujours autorisées et commercialisées, selon une liste du ministère de la Santé en date du 31 août dernier.

« Le problème des bandelettes urinaires est radicalement différent en termes de responsabilité de celui des prothèses vaginales. Le taux de complications est aussi radicalement différent », résume le Dr Bertrand de Rochambeau, président du syndicat des gynécologues et obstétriciens de France, pour expliquer que les premières soient toujours utilisées.

Selon les recommandations de la HAS, les chirurgiens ne doivent poser les implants qu’en dernier recours, « délivrer une information complète aux patientes » et les « associer » à la décision. « Les choses ont été extrêmement cadrées », souligne-t-on à la HAS.

L’ANSM n’a pas donné suite aux sollicitations de l’AFP.

afp

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