Confidences – Après avoir gravi le Mont Elbrouz, toit de l’Europe : Dr Naji Lamrani Zakaria raconte sa montée au sommet

Il y a des gens attirés par l’ivresse des hauteurs. Dr Naji Lamrani Zakaria, cardiologue à l’hôpital Dalal Jamm de Guédiawaye, Maroco-Sénégalais, fait partie de cette race d’hommes qui adorent les sommets. Il a atteint le 17 septembre 2022, à 12h 37 min, le faîte du Mont Elbrouz, surnommé le colossal neigeux. Après avoir débuté la randonnée dans la nuit du 16 septembre, à 21h. Sur le chemin du sommet, ce médecin-alpiniste a dû affronter 9 heures de tempête de neige qui l’ont bloqué. Entre la montée et la descente, ce fut presque 23h de bataille, de souffrance non-stop pour accomplir un rêve. Il est redescendu le 17 septembre 2022, à 18h 52.

Dr Naji Lamrani Zakaria, qui a déjà conquis le Kilimandjaro, toit de l’Afrique, réalise l’exploit de poser les drapeaux du Sénégal et du Maroc au pic du Mont Elbrouz, situé à la frontière entre la Géorgie et la Russie, qui culmine à 5642 m. Pour Le Quotidien, il raconte sa montée vers le sommet de l’Europe, en attendant la conquête, plus tard, de l’Everest.

Par Bocar SAKHO – Dr Zakaria, en brandissant le drapeau du Sénégal pour la première fois dans l’histoire, au sommet du Mont Elbrouz, considéré comme le toit du continent européen, qu’avez-vous ressenti ?

Après l’avoir hissé pour la première fois sur le toit du continent africain, j’avais ressenti de la gratitude et un sentiment d’appartenance à l’endroit de mon deuxième chez moi, mon pays d’accueil, le Sénégal.

Vous avez sans doute souffert pour y parvenir parce que les risques sont énormes ?
Souffrance ? Qui dit souffrir dit avoir mal. Donc je dirais que c’est une question de foi, de patience, d’endurance. Vous savez, la montagne, c’est le meilleur moyen de se perdre, mais c’est aussi le meilleur moyen de se retrouver. Pour moi, la montagne n’est pas une source de souffrance. C’est tout simplement un retour vers l’essentiel, une quête spirituelle qui nous rend modeste et humble. Vous savez, du haut de chaque sommet, on perçoit mieux la place minime voire dérisoire que l’on occupe dans cette vie. Les difficultés résident dans la préparation physique et mentale. En un mot, le secret est le mindset (état d’esprit).

Les risques sont quand même réels ?

Il y a des dangers objectifs d’origine naturelle, sur lesquels on a très peu de prise, et des dangers subjectifs d’origine humaine, dus à plusieurs facteurs : manque d’entraînement, matériel utilisé non adéquat, mauvais choix d’un itinéraire, panique, excès de confiance, exposition à des dangers objectifs… Il faut noter que l’altitude, le froid, le vent, l’ensoleillement peuvent être des facteurs à risque pathologiques. Une baisse de la pression atmosphérique en altitude peut engendrer une hypoxie et le fameux Mal aigu des montagnes (Mam), faute d’acclimatation et d’une ascension progressive. Le froid, en association avec le vent, peut engendrer une hypothermie. Le rayonnement solaire, accru par l’altitude et le pouvoir réfléchissant de la neige, peut provoquer l’ophtalmie des neiges. Sans parler de la possibilité des tendinites, entorses, fractures, déchirures musculaires, poulies digitales, d’hypoglycémie… Il faut donc faire preuve de bon sens, de savoir-faire, de patience et être à l’écoute de la montagne pour limiter les risques inhérents à l’altitude.

Quelle est la particularité du Mont Elbrouz ?
Il faut savoir que chaque montagne a ses caractéristiques, notamment la manière et l’itinéraire choisi pour l’ascension. Si, par exemple, on compare la voie normale des trois montagnes citées, Mont Elbrouz sera sans contestation le sommet le plus difficile à escalader, et il a toujours su s’imposer et a toujours son mot à dire chez les plus grands alpinistes du monde.

On imagine que les conditions météorologiques étaient extrêmes ?
Oui, les conditions météorologiques étaient extrêmement difficiles, un grand défi dans cette saison hivernale. L’année dernière, le 24 septembre 2021, il y a eu 5 décès. J’ai escaladé cette montagne le 17 septembre 2022, il faisait -33 degrés, une vitesse de vent qui arrivait à 70km/h et une vision très difficile voire impossible à 3 mètres, on était coincés pendant 9h dans une tempête de neige. Dans ces conditions, étant cardiologue, je suis habitué aux urgences, et donc d’avoir du sang-froid. Il est aussi impératif d’avoir de la prouesse et du savoir-faire. Il faut également bien communiquer avec son guide, en travaillant en équipe et en partageant nos ressentis. Définissez vos objectifs et n’arrêtez pas, vous y arriverez sans doute. Il faut toujours sourire aux obstacles : le mindset (état d’esprit), en un mot, est la clé du succès.

Après le Kilimandjaro et le Mont Elbrouz, la prochaine destination doit être sans doute l’Everest ?
Prenant comme référence Reinhold Messner dans le monde de l’alpinisme, je suis en quête des 7 sommets du monde, c’est-à-dire escalader les 7 plus hautes montagnes des 7 continents : Mont Kilimandjaro (5895 m), toit de l’Afrique, Mont Elbrouz (5642m), le colossal neigeux qui dépasse largement le Mont Blanc (4810m), faisant de lui le plus haut sommet d’Europe. Il y a aussi le Mont Aconcagua (6961m), toit de l’Amérique du Sud, le Mont Denali (6190m), toit de l’Amérique du Nord (Alaska), le Mont Vinson (4892m), le toit de l’Antarctique, la Pyramide de Carstenz (4884 m), le toit de l’Océanie. Et enfin, il y a le Mont Everest (8849 m), le toit de l’Asie et du monde, que j’envisage d’escalader prochainement inchallah et y hisser les deux drapeaux-frères du Maroc et du Sénégal.

Vous êtes médecin, comment avez-vous contracté le virus de l’alpinisme ? Pourquoi la montagne vous attire autant ?
C’est une contagion. Des côtés paternel et maternel : ma mère aime les randonnées et mon père a escaladé la première montagne de 1500m à l’âge de 11 ans. Ça fait plus de 8 ans que je gravis des montagnes. Et il faut savoir que mon neveu, Sami, a été élu ce 1er septembre 2022, le plus jeune alpiniste (4 ans) au monde qui a gravi le Mont Toubkal, la plus haute montagne du Maroc et la plus haute montagne du Nord de l’Afrique, qui culmine à 4167m.

Mes parents, depuis mon jeune âge, m’ont inculpé une culture, un emploi du temps de l’espace, de l’environnement, ancré dans le quotidien. Mon rapport avec l’environnement montagneux était un rituel sacré, un cours durant toute l’année et pas seulement pendant les vacances. J’ai ainsi appris que le bonheur n’est pas une destination ou un but à atteindre, mais une façon saine de vivre. Sans oublier que je suis entouré et accompagné par des amis (es) alpinistes de renom.
lequotidien

You may like