Situation jadis inconcevable, les utilisateurs de smartphones pourraient perdre inopinément tout signal de téléphonie mobile cet hiver dans certaines régions d’Europe si des coupures de courant ou des rationnements d’électricité affectent des parties du réseau.
Le tarissement par la Russie de ses livraisons de gaz à l’Europe, à la suite des sanctions occidentales à son encontre liées au conflit en Ukraine, fait craindre des pénuries d’électricité. En France, la situation est compliquée par la fermeture d’une grande partie du parc nucléaire pour des travaux de maintenance ou des problèmes de corrosion même si RTE, le gestionnaire du réseau de lignes à haute tension, juge que le risque de coupure ne surviendrait que dans des situations extrêmes et pourrait être évité en baissant légèrement la consommation nationale.
Des responsables du secteur des télécoms craignent qu’un hiver rigoureux en Europe ne mette à l’épreuve les infrastructures, contraignant les pouvoirs publics et les entreprises à prendre des mesures.
De nombreux pays européens ne disposent pas actuellement de suffisamment de systèmes électrogènes de secours pour faire face à de vastes coupures de courant, ont dit quatre responsables du secteur télécoms, ce qui pourrait provoquer des pannes de réseaux mobiles.
Les pays de l’Union européenne, notamment la France, la Suède et l’Allemagne, s’efforcent de faire en sorte que les télécommunications soient préservées même au cas où des coupures d’électricité finiraient par vider les batteries de secours installées sur des milliers d’antennes mobiles réparties sur leur territoire.
L’Europe dispose de près d’un demi-million de tours télécoms et la plupart sont équipées de groupes électrogènes de secours d’une durée d’environ une demi-heure.
FRANCE
Un plan élaboré par Enedis, gestionnaire du réseau de distribution d’électricité, envisage des coupures de courant de deux heures maximum dans le pire scénario, ont dit deux sources proches du dossier.
Selon un principe de « délestage tournant » évoqué le 1er septembre par la Première ministre Elisabeth Borne, de telles coupures n’affecteraient que certains endroits du pays, de manière alternée et les services essentiels tels que les hôpitaux, la police et les administrations seraient épargnées, ont dit les sources.
Le gouvernement, les opérateurs télécoms et Enedis, filiale d’EDF, ont discuté de la question au cours de l’été, ont dit le gouvernement et les sources.
La Fédération française des télécoms (FFT), qui représente notamment les opérateurs Orange, Bouygues Telecom et SFR (Altice), a pointé du doigt Enedis pour son incapacité à préserver les antennes mobiles d’éventuelles coupures de courant.
Enedis a refusé de s’exprimer sur le contenu des discussions avec les autorités.
Dans une déclaration transmise à Reuters, Enedis dit que tous ses clients réguliers sont traités sur un pied d’égalité en cas de pannes exceptionnelles.
Il précise être en mesure d’isoler certaines parties du réseau pour fournir des clients prioritaires tels que les hôpitaux, des sites industriels sensibles ou l’armée mais que c’est aux autorités locales d’ajouter les infrastructures télécoms à la liste des clients prioritaires.
« Nous allons peut-être améliorer notre connaissance du sujet d’ici cet hiver mais ce n’est pas facile d’isoler une antenne mobile » du reste du réseau, a dit un responsable du ministère des Finances au fait de ces discussions.
Un porte-parole du ministère des Finances a refusé de s’exprimer sur les discussions entre Enedis, les opérateurs télécoms et le gouvernement.
SUÈDE, ALLEMAGNE, ITALIE
Les compagnies télécoms en Suède et en Allemagne ont aussi exprimé leurs inquiétudes sur d’éventuelles pannes de courant auprès de leurs autorités respectives, ont dit plusieurs sources au fait du dossier.
L’autorité de régulation suédoise, PTS, travaille avec les opérateurs et d’autres administrations pour trouver des solutions, a-t-elle dit. Les discussions portent notamment sur ce qui se produira si l’électricité est rationnée.
PTS finance l’achat de stations portables de carburant et d’antennes relais mobiles en cas de coupures de courant durables, a dit un porte-parole de l’autorité.
L’organisme représentant les entreprises du secteur télécoms en Italie a dit à Reuters qu’il voulait que le réseau mobile soit exclu de toute mesure de coupure ou de rationnement d’électricité et qu’il entendait soulever cette question auprès du futur gouvernement appelé à être formé après les élections de dimanche dernier.
Les coupures de courant augmentent le risque de pannes de composants électroniques s’ils sont soumis à des interruptions brutales, a dit Massimo Sarmi, le patron de ce groupe de pression.
TRAFIC
Les équipementiers de réseaux Nokia et Ericsson travaillent avec les opérateurs mobiles pour trouver les solutions permettant d’atténuer l’impact d’éventuelles coupures d’électricité, ont dit trois sources proches du dossier.
Les deux groupes ont refusé de s’exprimer sur le sujet.
Les opérateurs européens doivent revoir le fonctionnement de leurs réseaux en limitant la consommation superflue d’électricité et en modernisant leurs équipements via des conceptions moins énergivores, ont dit les quatre responsables du secteur.
Pour économiser de l’électricité, les entreprises télécoms utilisent des logiciels qui optimisent le trafic, mettent en sommeil les antennes lorsqu’elles ne sont pas utilisées et éteignent différentes bandes de fréquences, ont dit les sources proches du dossier.
Les opérateurs travaillent aussi avec les gouvernements au niveau de chaque pays pour vérifier que des plans sont prévus afin de maintenir les services essentiels.
En Allemagne, Deutsche Telekom dispose de 33.000 tours mobiles et ses systèmes de génération d’électricité de secours ne peuvent en couvrir qu’une petite partie simultanément, a dit un porte-parole du groupe.
L’opérateur allemand aura recours à des générateurs mobiles fonctionnant essentiellement au diesel en cas de pannes de courant prolongées, a-t-il dit.
La France compte pour sa part environ 62.000 antennes mobiles et le secteur ne pourra pas toutes les équiper de nouvelles batteries, a dit Liza Bellulo, présidente de la FFT.
« Nous nous sommes peut-être un peu endormis sur nos lauriers dans une grande partie de l’Europe où l’électricité est assez stable et bonne », a dit un responsable du secteur télécoms. « Les investissements dans le domaine du stockage d’énergie ont peut-être été moindres que dans d’autres pays. »
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