Sandrine Rousseau, le coup des clashs permanent

EELV MP and member of left-wing coalition Nupes Sandrine Rousseau delivers a speech during a debate on a bill to boost household purchasing power at The National Assembly in Paris, on August 3, 2022. (Photo by Alain JOCARD / AFP)

La députée écologiste de Paris impose un style, clivant, qui ravit ses adeptes mais déplaît jusque dans son propre camp.

« De la colère, j’en suis remplie. De la radicalité, j’en suis pétrie ». Le 21 août 2021, à Poitiers, Sandrine Rousseau annonce la couleur. Verte, mais pas que. Encore inconnue du grand public, celle qui candidate alors pour l’investiture écolo à l’élection présidentielle définit clairement sa ligne : écoféministe et radicale.

Les polémiques sur le barbecue sont encore loin, tout comme ses passes d’armes régulières avec Yannick Jadot ou Fabien Roussel. Mais le style, conflictuel, est déjà là. En témoigne cette « bousculade violente » dont elle se dit victime en chargeant Éric Piolle. Après les démentis de l’intéressé et les dénégations de la presse, son entourage finit par relativiser : « La violence était plutôt symbolique ». Le décor est planté.

Une capacité à cliver et capter l’attention qui fait d’elle la finaliste surprise de la primaire écolo en septembre 2021 et qui, dans le même temps, lui attirera une foule de détracteurs qui voient dans l’enseignante-chercheuse en sciences économiques la parfaite caricature sur laquelle taper. Illustration avec le magazine ultra-conservateur Valeurs actuelles qui lui a consacré deux unes quasi-identiques en un an.

Mauvaise perdante de la primaire, ultra-critique de la campagne de Yannick Jadot (dont elle finit par être évincée), adepte des joutes avec Fabien Roussel, arbitre des « limites » du rire… Pas une semaine ne passe sans que l’écoféministe ne fasse parler d’elle. Et il faut dire que ça fonctionne. Presque trois millions de vues pour cette séquence chez Yann Barthès au cours de laquelle Rousseau affirme qu’il y a « des limites à la caricature ».

« La méthode de Sandrine Rousseau, c’est d’être au centre des débats. Elle est clivante, c’est le problème, mais elle a aussi une capacité à adapter son discours au contexte », décrit un cadre EELV qui requiert l’anonymat. Le tollé provoqué par ses propos sur le virilisme et le barbecue en est l’illustration. Le 30 août, la députée de Paris déclare vouloir « changer de mentalité pour que manger une entrecôte cuite sur un barbecue ne soit plus un symbole de virilité ».

Une sortie ultra-commentée qui a généré 327 279 tweets, dont 100 400 tweets publiés le 30 août, au plus fort de la polémique, selon les données fournies au HuffPost par Visibrain (plateforme de veille médiatique).

« Bifteck ou planète ? »
Pendant plusieurs jours, les chaînes d’informations en continu et les éditorialistes s’interrogent : les amateurs de viande rouge grillée sont-ils sexistes ? Moquée, critiquée ou acclamée, Sandrine Rousseau est au centre du jeu, au point de se permettre de souffler sur les braises en invitant sur Twitter ses followers à faire un choix : « bifteck ou planète ? ».

Une présentation binaire qui n’est pas de nature à calmer la polémique. Elle s’en moque. « À gauche, nous sommes désorganisés par rapport à la vague de fond de l’extrême droite. Pour la contrer, certains deviennent conformistes. Il faut réinstaller le débat sur nos valeurs », se défend-elle auprès du HuffPost.

Un style cash qui offre à ses détracteurs de tous bords une fenêtre de tir particulièrement facile à cibler. « C’est une vraie idéologue. Pour elle, les idées priment sur tout, même sur les faits et le réel » , commente pour sa part Renaud Labaye, secrétaire général du RN à l’Assemblée nationale, qui conseille même aux députés lepénistes de ne pas surréagir à la moindre de ses sorties.

Et quand un sondage Ifop vient confirmer ce qu’elle a dit par des chiffres, personne ne tombe sur l’institut de sondages quand Sandrine Rousseau, elle, est régulièrement victime de cyberharcèlement. Malgré ces vagues de haine, la féministe n’entend surtout pas lâcher son clavier.

« Sur les réseaux sociaux, on peut s’exprimer de manière différente qu’à l’Assemblée nationale par exemple. Aujourd’hui, l’extrême droite est très présente et très organisée sur les réseaux sociaux et je refuse de leur laisser le champ libre. Je revendique le fait d’amener le débat chez nous pour remporter la bataille culturelle », assume Sandrine Rousseau, régulièrement accusée d’aller trop loin.

« Je préfère le féminisme qui rassemble ; mon féminisme est celui de la concorde et non pas celui de la discorde »

Isabelle Rome
« Je ne peux pas soutenir les démarches clivantes et je ne suis pas loin de penser que Sandrine Rousseau dessert la cause. Je préfère le féminisme qui rassemble ; mon féminisme est celui de la concorde et non pas celui de la discorde », commentait début septembre auprès de quelques journalistes dont Le HuffPost Isabelle Rome, ministre déléguée en charge de l’Égalité entre les femmes et les hommes. Des critiques qui glissent sur la principale intéressée, bien décidée à poursuivre son entreprise de « déconstruction », y compris au sein de sa propre famille politique.

Ce qui a mis le feu aux poudres, c’est sa sortie sur Julien Bayou dans l’émission C à vous, le 19 septembre. En plateau, l’écoféministe accuse le secrétaire national d’EELV de « comportements de nature à briser la santé morale des femmes ». À l’appui, le seul témoignage non détaillé de l’ex-compagne de Julien Bayou qu’elle a reçue chez elle. Une pratique inédite alors qu’aucune plainte n’est déposée en justice et aucune enquête journalistique publiée. Tollé immédiat dans le monde politique.

« La sandrine-rousseauisation de la vie politique »
« Sandrine Rousseau n’est pas un agent de la justice. En auditionnant la victime présumée, elle décide de remplacer le juge. Elle devient juge de l’opinion publique en direct à la télévision. C’est très grave », dénonce Olivia Grégoire, ministre déléguée aux PME, au Commerce et à l’Artisanat, qui ironise sur la « la sandrine-rousseauisation de la vie politique française » dont l’affaire Bayou serait la dernière illustration.

Mais ces critiques ne s’arrêtent pas aux portes des opposants politiques. En interne, on suspecte Sandrine Rousseau de régler ses comptes, en amont d’un congrès qui doit se tenir d’ici la fin de l’année et qui s’annonce aussi crispé que stratégique pour EELV.

« Évidemment que c’est ça le sujet – le congrès. Ce genre d’affaires mérite de la décence et du respect et on en est loin quand on les gère sur les plateaux de télévision ou les réseaux sociaux », grince, désabusée, une responsable écolo. Avant de sortir l’artillerie lourde : « Ce n’est pas parce qu’on a subi des violences qu’il faut être violent à son tour dans ses méthodes. Les militants sont très choqués et ils trouvent que tout cela va beaucoup trop loin ». Ambiance.

Même au sein d’organisations féministes, on reste parfois interloqué après la sortie de Sandrine Rousseau, à rebours de tous les usages en vigueur. Les féministes médiatiques ne se bousculaient d’ailleurs pas au portillon pour prendre publiquement la défense de Sandrine Rousseau cette semaine. À part Raphaëlle Remy-Leleu, conseillère EELV à la mairie de Paris, sur le plateau de C ce soir, le 27 septembre : « Qu’est-ce qu’on attend de nous ? On nous dit qu’on se prend pour les inquisitrices, mais c’est le rôle social qu’on nous attribue par ailleurs en nous demandant d’être des lanceuses d’alerte », regrette cette élue proche de Sandrine Rousseau.

« Sandrine Rousseau sert la cause féministe et crée le débat. Elle est devenue une forme de totem pour les conservateurs. Elle fait partie de ces femmes qui ont centralisé la question féministe, longtemps considérée comme annexe », la défend aussi l’eurodéputée insoumise Manon Aubry. Qui ajoute : « On aime ou pas la méthode, mais je vois la tentation de diviser les féministes qui ont toujours connu des nuances. Il y a tant à faire contre le patriarcat que vous ne me trouverez jamais de ce côté-là ! ».

Au sein du groupe EELV à l’Assemblée, certains lui reconnaissent volontiers sa faculté à mettre le doigt là où ça fait mal. « Sandrine Rousseau se saisit des affaires d’une manière qui n’est pas habituelle en politique, mais cela permet d’imposer le débat », soulignait auprès du HuffPost le 28 septembre Sabrina Sebaihi, députée des Hauts-de-Seine.

« Ma fidélité est à des combats et des valeurs, pas à un parti »

Sandrine Rousseau
Pour autant, il n’est pas difficile d’obtenir au sein des rangs écologistes de virulentes critiques quant à sa méthode. À une condition qui illustre la véritable gêne qu’elle provoque en interne : le respect de l’anonymat. « Elle ne veut pas le pouvoir. Ce qu’elle recherche, c’est la notoriété », enfonce, sans prendre de gants, une écolo historique.

Des griefs que n’ignore pas la principale intéressée : « La critique qu’on me renvoie le plus, c’est que je nuirais au parti. Mais on me disait déjà la même chose au moment de l’affaire Baupin, soupire Sandrine Rousseau. « La fidélité à un parti est différente de la façon de faire il y a vingt ans. Aujourd’hui, c’est une fidélité à des combats et à des valeurs et non plus à des appareils. »

Une inflexibilité qui pourrait se retourner contre elle ? Certains, en interne, le souhaitent. Comme cette élue, particulièrement remontée, qui étrille sans se retenir sa camarade : « Elle ne cherche que l’affrontement pour se victimiser en retour ». Et de prévenir, agacée : « Il va falloir l’arrêter ». La guerre ne fait que commencer chez EELV.

huffingtonpost

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