Sans surprise, la BEAC a, elle aussi, augmenté les taux qu’elle utilise pour contrôler la création monétaire via le crédit par les banques. Une option qui semble être plus un effet de suivisme qu’une solution concrète et adaptée au défi de l’inflation telle qu’elle s’impose à la CEMAC.
La BEAC, la banque centrale commune aux 6 pays membres de la CEMAC, a récemment relevé les principaux taux qu’elle utilise pour influencer la capacité des banques commerciales à octroyer des crédits bancaires. Ainsi, son principal taux de refinancement ou TIAO est passé de 4% à 4,5% et son taux de la facilité de prêt marginal, qui est prévu pour des emprunts bancaires de moins de 24 heures, est passé de 6,25% à 6,75%.
C’est la deuxième fois consécutive que l’institution relève ses taux. Selon la logique propre à la science monétaire, cela devrait limiter la capacité et la volonté des banques commerciales à accorder plus de crédits, et cela devrait aussi marquer un arrêt sur le marché interbancaire. La BEAC justifie cela par sa volonté, elle aussi, d’apporter une solution à la hausse des prix mondiaux qui touche aussi sa zone de compétence. « Il est observé dans la sous-région un taux d’inflation projeté largement au-dessus du seuil communautaire à 4,2 % en septembre 2022, avant de continuer à grimper à 5,2 % en décembre 2022 et d’atteindre le pic de 5,7 % en mars 2023… Dans ce contexte, la Banque Centrale se devait d’agir, en lien avec son mandat, pour assurer la stabilité monétaire, même si l’on anticipe un retour à la normale de la dynamique de l’inflation à partir de 2024 », explique-t-elle dans son rapport de politique monétaire.
Un choix qui ne résiste pas à la critique
Cette décision résiste mal à la critique, selon des données que fournissent l’institution et d’autres analyses consultées par l’Agence Ecofin. La BEAC part de l’hypothèse, inchangée depuis des décennies, que l’inflation (hausse des prix sur le marché) entraine un plus grand besoin de la monnaie pour régler les factures, et qu’il existe un risque qu’il y ait plus d’argent en circulation au sein de l’économie que de contreparties disponibles en termes de réserves de change.
Cette logique, qui est propre aux accords de coopération monétaire signés avec la zone euro et gérés par la France, ne tient plus au regard de l’évolution actuelle des données comme l’inflation. Comme c’est le cas dans beaucoup de pays africains, la hausse des prix n’est pas le fait d’une plus grande circulation de la monnaie. Elle est le fait de facteurs exogènes, comme les conséquences de l’après Covid-19 et la guerre russo-ukrainienne qui, sur le court terme, a provoqué une hausse des prix de l’énergie au niveau mondial et une baisse de disponibilité de céréales et d’engrais, et donc des quantités d’aliments disponibles.
De ce point de vue, limiter la capacité des banques commerciales à injecter de la monnaie au sein des économies est contreproductive, car il y a actuellement un besoin impérieux de financer les investissements sur des patrimoines de production, qui aideront la CEMAC à moins dépendre des marchés extérieurs.
Par ailleurs, l’inflation des prix énergétiques a eu un effet bénéfique sur les réserves de change de la sous-région. Parce que ces pays sont principalement des producteurs de gaz et de pétrole, et ajouté aux appuis divers des institutions multilatérales, les réserves de changes sur la période de 12 mois s’achevant en août 2022 ont augmenté de 1367 milliards FCFA, selon la BEAC. Elles étaient à 5 980 milliards FCFA à la même période.
Une décision plus sévère que dans la zone UEMOA où le risque est plus élevé
La banque centrale note elle-même que les réserves de change ont progressé plus rapidement (+78%) que la masse monétaire interne (+15%), et que le taux de couverture de la monnaie se rapproche des 83% (contre environ 64% précédemment), tandis que la couverture des importations par les réserves de change se rapproche des 4 mois. De ce point de vue, on comprend mal le risque de déséquilibre qui existe sur la monnaie, comme le fait savoir l’institution régionale.
Enfin, dans la sous-région jumelle (UEMOA), où le niveau d’inflation a atteint les 8,5%, largement au-dessus du pic envisagé par la BEAC en 2023 (5,7%) et où le risque d’un besoin plus grand de la masse monétaire existe en raison d’une population trois fois plus grande, la banque centrale (BCEAO), malgré une augmentation, maintient ses principaux taux directeurs à 2,5% pour le TIAO, et à 4,5% pour le guichet de prêt marginal.
Interrogé sur la question par un journaliste du média Investir au Cameroun, le gouverneur de la BEAC a répondu que face à l’inflation qui monte, ses collègues et lui se devaient de réagir, et que c’est « le seul outil qui est en leur possession ». Hélas, cette décision ne sera pourtant pas plus efficace que les décisions de politique monétaire précédentes.
Aussi, les composantes de l’inflation en zone CEMAC étant concentrées sur les produits énergétiques et alimentaires, notamment les céréales qui entrent dans la fabrication du pain et de la bière, des experts consultés par l’Agence Ecofin ont souvent estimé que la BEAC devrait permettre une expansion du déficit budgétaire de la sous-région, pour permettre la construction d’une raffinerie plus efficiente et compétitive et relancer la production agricole. Mais à cette option, des experts de la Banque centrale ont toujours répondu que ce n’était pas leur rôle.
ecifin