Muriel Edjo : « La 5G, c’est la clé d’une transformation profonde des conditions de vie de l’Africain moyen »

Les pays africains adoptent la 5G plus rapidement que les experts le prédisaient, mais concrètement, en quoi la 5G est-elle vraiment nécessaire en Afrique ? Que va-t-elle apporter de plus ? Les réponses de Muriel Edjo, auteur du rapport Ecofin Pro : « 5G : ce qui peut changer en Afrique avec l’ultra haut débit »

Agence Ecofin : Concrètement, qu’est que la 5G va apporter de plus à l’Africain moyen, à part télécharger plus vite ses vidéos ?

Muriel Edjo : Quand on parle d’Internet à très haut débit en Afrique, les usages qui viennent généralement à l’esprit de tout le monde sont les appels vidéo, le gaming ou le streaming de haute qualité pour les particuliers. Or, le très haut débit c’est bien plus d’avantages au profit de l’Africain moyen. Il ne faut pas percevoir la 5G comme une technologie mobile qui servira aux services télécoms de base. C’est vrai qu’elle jouera un rôle dans cet aspect, mais dans une moindre mesure. Plus de 70% des cas d’usage de la 5G sera réservé au secteur industriel et des services. C’est la clé d’une transformation profonde de secteurs stratégiques pour le développement comme la santé, l’éducation, le commerce, les transports, l’agriculture, la sécurité, avec un impact direct sur les conditions de vie de l’Africain moyen. La 5G est le carburant de la société numérique à laquelle aspire le monde. Elle permettra de faire fonctionner des technologies de pointe comme l’intelligence artificielle, les algorithmes d’apprentissage profond, le cloud computing, etc., indispensables au traitement en temps réel d’un important volume de données qui seront à leur tour essentielles dans la prise de décisions éclairées par les gouvernements au profit des populations. Dans le domaine de la santé par exemple, la 5G combinée à l’intelligence artificielle devient un outil puissant pour traiter rapidement de grands volumes de données parfois épars et élaborer des schémas de propagation de maladie que les gouvernements peuvent utiliser pour une réponse sanitaire efficace.

L’une des applications phare de la 5G est l’Internet des objets (IoT). En Afrique du Sud, par exemple, des sociétés minières ont opté pour le débit élevé, la faible latence et la haute densité d’appareils connectés par la technologie 5G pour sécuriser davantage leurs tunnels souterrains de plusieurs kilomètres. Pour la sécurité des mineurs qui sont des Africains moyens, la 5G garantira leur sécurité au travail à travers des caméras wi-fi, des détecteurs de gaz, l’utilisation de robots dans des zones jugées dangereuses, etc. Ce ne sont que quelques-uns des nombreux cas pratiques possibles avec la 5G.

AE : Est-ce que la 5G sera réservée aux classes aisées ?

ME : Pour les usages particuliers, oui la 5G sera réservée aux classes aisées qui ont un plus grand pouvoir d’achat pour acquérir les téléphones compatibles à cette technologie. On parle ici d’appareils dont le coût moyen se situe quand même autour de 700 euros. Pour l’Africain moyen, généralement au revenu très modeste, c’est beaucoup d’argent. Bien sûr, il est possible que certains l’acquiert tout de même, les passionnés de technologie.

AE : La 5G va-t-elle accélérer la croissance économique ?

ME : Oui, avec son débit dix fois supérieur à la 4G et sa fiabilité, la 5G ouvre de nouvelles perspectives pour le développement économique en Afrique. Dans tous les secteurs, elle apportera de l’efficacité opérationnelle. Dans la banque, le commerce, les activités portuaires, pétrolières, l’énergie, etc., la 5G, associée à des technologies comme le machine-learning, l’IoT, l’automatisation, contribuera à transformer l’outil de travail, la chaîne de production, la gestion de stock, la maintenance. De suivre en temps réel l’ensemble du processus de production, de la piloter même à distance. D’exploiter d’importants volumes de données pour répondre aux besoins du marché, satisfaire la qualité de la demande, d’analyser et de s’adapter à l’évolution des habitudes de consommation.

La 5G c’est également des débits qui viendront améliorer l’environnement de travail. Pour les petites et moyennes entreprises africaines, la technologie soutiendra la transformation numérique de leurs opérations, permettant aux employés de travailler aussi bien en entreprise qu’en mobilité, qui est en pleine expansion. C’est aussi un plus pour le travail collaboratif (vidéoconférence élargie), la transmission de grands volumes de donnée, le stockage et le partage de documents sur des espaces partagés (clouds).

Pour les entreprises de logistiques et de transport par exemple, c’est une opportunité d’améliorer le suivi en temps réel des marchandises et les temps de livraison. Pour les entreprises agricoles, c’est la possibilité d’automatiser leur exploitation, piloter à distance leurs équipements, surveiller les indicateurs de sols pour l’arrosage, etc. Autant d’applications exigeantes en latence qui contribueront à développer la production. Avec la Covid-19, de nouvelles opportunités d’affaires ont vu le jour dans des secteurs comme la culture. Avec l’engouement pour les mondes virtuels, les entreprises culturelles (galeries, musées, etc.) peuvent développer des expériences culturelles beaucoup plus immersives grâce à la réalité virtuelle et augmentée.

AE : Est-ce que la 5G ne va pas nous rendre trop dépendants des technologies chinoises ?

ME : Non, pas du tout. Actuellement plusieurs entreprises technologiques détiennent des brevets sur la 5G. Il est vrai que les entreprises chinoises détiennent le plus grand nombre de ces brevets mais chaque pays choisira en fonction de ses intérêts. Le gouvernement britannique a par exemple décidé en 2020 d’exclure les équipements Huawei des réseaux 5G dans le pays. Les Etats-Unis l’ont fait également tout comme l’Australie, la Canada ou encore la France et plusieurs pays européens qui préfèrent Ericsson. Maintenant, les Etats africains savent qu’il existe des alternatives. C’est à chacun de choisir selon sa convenance. S’il n’y avait pas ce pouvoir de choisir, on pourrait craindre une dépendance au technologies chinoises.

AE : Est-ce qu’il ne serait pas plus important d’accélérer l’inclusion numérique et atteindre la couverture universelle ?

ME : Les deux sont nécessaires. Je le rappelle, la 5G n’est pas encore vraiment adaptée pour le grand public en Afrique. Pour l’instant, c’est une technologie destinée à l’amélioration des écosystèmes de production et de gouvernance. Pour la consommation générale, la 3G et la 4G suffisent amplement pour regarder les vidéos, effectuer de la voix sur IP, le gaming, envoyer des mails. L’on peut même dire que l’utilisation de ces technologies n’est pas encore optimale en Afrique où seul près de 33% de la population accèdent à Internet, 28% par mobile dans la région subsaharienne.

Alors que la transformation numérique du monde s’accélère, l’un des aspects importants sur lequel le continent doit justement accentuer l’investissement pour faire profiter à tous des dividendes de l’économie 4.0 est l’amélioration de l’inclusion numérique. Cela suppose la couverture universelle haut débit. D’après Ericsson, la 3G et 4G ne représenteront encore respectivement que 40% et 28% des réseaux mobiles d’Afrique subsaharienne d’ici 2027. Pour l’Association mondiale des opérateurs de téléphonie (GSMA), il faut également améliorer l’accès de tous aux smartphones 4G qui ne sont pas toujours accessibles pour le plus grand nombre. 58% de la population d’Afrique subsaharienne n’accède pas encore à Internet mobile. Cette population est pourtant couverte par un réseau télécoms 3G/4G mais elle ne dispose pas d’appareils compatibles. Il faut aussi réduire les prix d’accès à Internet qui demeurent trop élevés. Tout cela contribuera à ce que l’Africain moyen puisse bénéficier des dividendes numériques. Sans inclusion, les inégalités n’iront qu’en s’accentuant en Afrique et retarderont l’atteinte des objectifs de développement durable.

La 5G aura beau catalyser l’écosystème de gouvernance, contribuer à analyser les données de santé pour l’émission de services en lignes adaptés aux réalités médicales locales, régionales et nationales, sans inclusion numérique pour faciliter l’accès des populations aux services élaborés elle ne servira finalement à rien.

AE : Quels sont les pays dans le monde où la 5G est déjà largement utilisée ?

EM : La 5G commerciale était déjà disponible dans 1336 villes de 61 pays dans le monde en 2021. Ce nombre doit avoir encore grimpé entre-temps. La Chine est le pays qui a le plus grand nombre de villes couvertes par cette technologie, plus de 340 villes, suivie des Etats-Unis et de la Corée du Sud avec respectivement plus de 270 et 80 villes. En Chine, par exemple, la société d’électricité China Southern Power Grid Co qui dessert plus de 254 millions de personnes dans cinq provinces du sud du pays, et dispose de connexions avec des réseaux électriques nationaux ou régionaux au Vietnam, en Thaïlande, au Myanmar et au Laos, a déjà adopté la 5G pour automatiser le réseau, effectuer son inspection à distance, réduire les coûts de maintenance, augmenter les revenus. En Corée du Sud, Korea Telecom et Samsung Medical Center ont construit en 2021 un hôpital intelligent 5G à Séoul avec un réseau d’entreprise dédié qui propose divers services notamment le diagnostic pathologique numérique, les cours de chirurgie à distance, les soins aux patients hospitalisés basés sur l’IA et un robot autonome pour la salle d’opération. L’Arabie saoudite, le Canada, l’Angleterre, l’Australe et aussi en Suède, sont quelques pays où la 5G est déjà déployés dans plus de 20 villes.

AE : Par rapport aux autres régions du monde, comment se situe l’Afrique au niveau l’adoption de cette technologie ?

ME : l’Afrique a progressé plus vite que le prédisaient certains cabinets d’analyses étrangers. Alors que plusieurs envisageaient véritablement une offre 5G sur le continent vers 2025, plusieurs marchés ont faussé tous ces pronostics pessimistes et impulsé l’avènement de l’ultra haut débit. Ils sont aujourd’hui une dizaine, les pays d’Afrique qui commercialisent la 5G. C’est le Lesotho qui a été le pionner en octroyant une licence à Vodacom qui a lancé le service en 2018. Le Togo, l’Afrique du Sud, les Seychelles, l’île Maurice, le Kenya, l’Ethiopie, le Zimbabwe, le Nigeria et la Tanzanie lui ont emboité le pays. Quelques déploiements commerciaux supplémentaires sont annoncés dans de nouveaux pays d’ici la fin de l’année. D’ici 2025, l’Afrique aura certainement fait de grandes avancées dans la 5G, surtout avec une jeunesse innovante, entreprenante et dynamique qui ne cesse de croître et d’investir des secteurs économiques stratégiques.

ECOFIN

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