L’explosion du mouvement #MeToo il y a cinq ans n’a pas seulement engendré une avalanche d’accusations à Hollywood, elle a aussi provoqué une petite révolution avec l’apparition de « coordinatrices d’intimité » pour encadrer les scènes de sexe. En plein essor, cette nouvelle profession est devenue indispensable sur de nombreux plateaux. Mais l’industrie reste minée par les rapports de force et la peur de dire non.
L’apparition des « coordinatrices d’intimité«
Depuis les révélations en 2017 sur le comportement de prédateur du tout puissant producteur Harvey Weinstein, accusé par plus de 90 femmes de harcèlement, d’agressions sexuelles ou de viols, Hollywood a fait son introspection. Sur les tournages, de nouveaux professionnels planifient les scènes de sexe, évaluent le consentement des actrices et leur fournissent des équipements pour s’assurer que leur dignité soit respectée.
Claire Warden, coordinatrice d’intimité basée à New York, voit une « différence incroyable » depuis #MeToo. Auparavant, « il y avait beaucoup de résistance de l’industrie, de la part des réalisateurs, de certains acteurs, des producteurs« , raconte-t-elle à l’AFP. Selon elle, entre 60 et 80 coordinatrices et coordinateurs de ce genre travaillent actuellement aux États-Unis. Et le programme « Intimacy Directors and Coordinators » (IDC), dont elle fait partie, forme de plus en plus de nouveaux venus.
Impulsion donnée par HBO
Les professionnels du cinéma commencent à faire leur aggiornamento, « après des années à crier dans le vide et à pousser autant que nous le pouvions pour éduquer l’industrie« , souffle-t-elle. Avant 2017, les coordinatrices d’intimité travaillaient surtout dans les théâtres et brillaient par leur absence dans le cinéma et la télévision, où les actrices souvent isolées dépendaient du service costumes pour bricoler des accessoires afin de couvrir leur appareil génital pendant les scènes de sexe.
Mais après le séisme Weinstein, HBO a engagé une coordinatrice d’intimité pour sa série « The Deuce », sur l’industrie pornographique du New York des années 1970. Et son scénariste David Simon a annoncé qu’il ne travaillerait plus jamais sans. La puissante chaîne, productrice de succès planétaires comme « Game of Thrones » ou « Sex and The City », a ensuite rendu obligatoire la présence d’une coordinatrice d’intimité sur toutes ses séries.
Désormais, des entreprises spécialisées proposent des strings sans attaches, accessoires en silicone et autres adhésifs adaptés à différentes complexions ou couleurs de peau. De quoi rassurer les jeunes actrices, comme Sydney Sweeney. Dans une récente interview avec le magazine Variety, l’artiste de 25 ans, tête d’affiche de la série « Euphoria », a expliqué ne s’être « jamais sentie gênée » grâce aux coordinatrices d’intimité. « C’est un environnement très sûr. J’ai beaucoup de chance d’arriver dans un moment où l’on fait autant d’effort dans ce processus« , a-t-elle estimé. « Même lorsque l’on accepte quelque chose, elles nous demandent sur place le jour même: ‘As-tu changé d’avis? Parce que tu peux.’ C’est vraiment bien« .
Peur d’être une « diva »
Tout n’est pas rose pour autant car l’industrie part de très loin en matière de consentement. L’actrice Christina Ricci, star de la série « Yellowjackets », a ainsi révélé à Variety qu’une production avait déjà menacé de la « traîner en justice » si elle refusait de participer à une scène de sexe. « Les actrices n’ont pas commencé à s’exprimer en 2017« , reprend Claire Warden. « Nous parlions depuis très longtemps et personne ne nous écoutait. L’industrie tentait vraiment d’étouffer ces voix« . Selon elle, dire « non » reste perçu comme une posture « dangereuse » par de nombreuses femmes de cinéma. « Nous sommes conditionnées (…) à croire qu’on te cataloguera comme une diva. Que tu n’auras pas de boulot, que personne ne travaillera avec toi, que tu n’es pas assez impliquée ou pas assez courageuse« .
Certaines coordinatrices doivent également combattre l’idée que leur présence peut nuire à la créativité du tournage, ou clouer d’autres professionnels au pilori de la « cancel culture ». « Vu le passif d’Harvey Weinstein, beaucoup de gens ont eu peur d’être perçus comme des prédateurs« , explique Jessica Steinrock, une coordinatrice suivie par plus de 500.000 abonnés sur TikTok.
Le métier n’a rien à voir avec les procédures de ressources humaines, insiste-t-elle. Il s’agit plutôt de réduire le risque et d’améliorer la performance face caméra, de la même manière qu’il existe des coordinateurs pour les cascades. Selon elle, « la croissance exponentielle (du secteur) ces dernières années a été douloureuse pour beaucoup, mais vraiment profitable dans l’ensemble« .
Pas de solution miracle
Au printemps, l’acteur Frank Langella a été débarqué par Netflix de la série « The Fall of the House of Usher » après des accusations de harcèlement sexuel d’une actrice. Dans une tribune au site spécialisé Deadline, il a dénoncé les instructions « absurdes » et « ridicules » de la coordinatrice d’intimité, qui avait indiqué l’endroit précis où il devait toucher la jambe de sa partenaire. « Cela ébranle l’instinct et la spontanéité« , s’est-il indigné. Cette réaction « provient d’un manque de volonté pour considérer le consentement de l’autre« , rétorque Claire Warden. « Cela vient d’un sentiment toxique selon lequel tout vous est dû« .
Plus globalement, les coordinatrices d’intimité ne peuvent pas lutter contre toutes les dérives révélées par l’affaire Weinstein, reprend sa consœur Jessica Steinrock. Le magnat d’Hollywood agissait en dehors des tournages. « La façon dont nous gérons les scènes d’intimité va avoir des répercussions sur la manière d’envisager le consensus, la façon de se préparer, sur comment les actrices conçoivent le droit à disposer de leur corps« , estime-t-elle. « Mais les coordinatrices d’intimité ne sont pas la panacée pour remédier à tout le harcèlement et aux abus de pouvoir commis dans l’industrie du cinéma depuis le siècle dernier« .
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