La cinéaste et autrice, Sarah Maldoror, décédée en 2020 à l’âge de 90 ans, a été jusqu’au bout «une anticonformiste» dont le parcours professionnel a coïncidé avec «une vie de combat», estime Annouchka de Andrade, fille aînée de celle qui était citée parmi les pionnières du septième art africain. «Cela a été particulièrement difficile pour elle, elle a dû se battre tout au long de sa vie et à la fin, elle n’avait pas beaucoup de reconnaissance.
C’est pour cela qu’elle n’a pas été reconnue de son vivant», a dit d’elle sa fille. «Sarah a été oubliée, négligée et ces dernières années, elle a eu énormément de mal à faire ses films, toute sa vie a été un combat», a-t-elle ajouté dans un entretien avec l’envoyée spéciale de l’Aps au Festival international du film de femmes de Salé, au Maroc. Annouchka de Andrade, présente à cette manifestation pour les besoins d’un hommage rendu à sa mère, s’est dit «très touchée et à la fois surprise» par cet honneur et cette marque de reconnaissance à Sarah Maldoror. Sarah Maldoror «a traversé beaucoup de difficultés» pour réaliser des films, «parce qu’elle ne rentrait pas dans les cases», à l’image des femmes qui veulent généralement entreprendre, a souligné Annouchka de Andrade, par ailleurs directrice artistique du festival d’Amiens, en France.
L’hommage du festival de Salé, une victoire pour Sarah
«Aujourd’hui que des festivals comme celui de Salé veuillent lui rendre hommage, c’est très satisfaisant» au regard des difficultés qu’elle a rencontrées, estime sa fille. «Il faut toujours remettre les choses à leur place, et bien mettre le cinéma de Sarah au cœur de tout», assène-t-elle, avant d’ajouter : «Il ne faut pas oublier surtout ce qu’elle a dû affronter, endurer et surpasser. C’est bien qu’on lui rende hommage, mais il ne faut pas oublier tous les combats qu’elle a dû mener.» Pour Annouchka de Andrade, «c’est une victoire pour Sarah de voir» un festival de film dédié à la femme exister dans un pays tel que le Maroc, manifestation se présentant comme une occasion d’inviter «des talents de tous les pays du monde, notamment les Africaines» pour qu’elles «se nourrissent les unes des autres».
«Elle (Sarah Maldoror) a été très seule et maintenant, de voir que d’autres femmes ont pris la relève, c’est très gratifiant», se réjouit sa fille. Annouchka de Andrade invite les femmes, désormais nombreuses «devant et derrière la caméra», à s’approprier l’héritage de sa mère en la revisitant pour mieux avancer. «C’est important et nécessaire, car pour avancer, il faut savoir d’où l’on vient», dit-elle dans une sorte de message aux réalisatrices et femmes exerçant dans le domaine du cinéma.
Sarah Maldoror, une cinéaste en avance sur son temps
Sarah Maldoror compte une quarantaine de films à son actif, mais elle «n’a pas pu faire tous les films qu’elle voulait, parce qu’on (les guichets de financement du cinéma) voyait que cela parlait trop de femmes, de lutte ou alors ce n’était pas d’actualité». Elle est décrite comme une cinéaste en avance sur son temps, d’où son engagement à travers sa filmographie. Son long métrage, Sambizanga, réalisé au Congo en 1972 et projeté lors de cette édition du festival de Salé, traite de la lutte clandestine que mènent un groupe d’indépendantistes pour la libération de l’Angola. Cette fiction a été interprétée par des acteurs des mouvements de lutte de libération du Mozambique, de la Guinée, du Cap-Vert et de l’Angola, avec un rôle important joué par les femmes dans l’accompagnement de leurs maris.
En abordant très tôt des sujets de ce type dans ses films, Sarah Maldoror «a balisé le chemin pour la jeune génération de réalisatrices africaines», estime sa fille aînée. «Engagée était sa nature, il n’a jamais été question de faire autre chose que de défendre les opprimés, de parler des autres, notamment de toutes les personnes qui lui ressemblent, et de parler des luttes africaines contre la colonisation», a témoigné Annouchka de Andrade. «Cela a été son Adn. Elle était au-delà de tous les clichés, puisqu’elle a fait un film militant sur ces pauvres Africains qui se battent contre le colonialisme portugais», insiste sa fille. La dignité de la femme qui se bat avec son enfant sur le dos pour aller à la recherche de son mari, ainsi que la question de la solidarité sont généralement les sujets développés dans ses films.
D’origine guadeloupéenne, elle a débuté par le théâtre avec la première troupe d’origine africaine, Les griots, qu’elle a mise en place avec les cinéastes ivoirien, Timothée Bassolé, et sénégalais, Ababacar Samb Makharam. L’objectif de cette troupe est de donner à partager des auteurs qui n’avaient pas l’occasion d’être montrés, ni d’être mis en scène comme Aimé Césaire. «Elle a continué dans cette lignée avec le cinéma», soutient sa fille, qui se réjouit de voir sa mère inspirer de plus en plus la nouvelle génération. Comme le cinéaste sénégalais, Ousmane Sembène, et le Malien,
Souleymane Cissé, Sara Maldoror a elle aussi étudié le septième art en Union soviétique, une influence qui transparaissait dans son esthétique du cinéma. Sarah Maldoror a fait beaucoup de films parmi lesquels ses portraits sur les fondateurs du mouvement de la Négritude, Aimé Césaire, Léopold Sédar Senghor mais aussi Léon-Gontran Damas, une façon de montrer que l’Afrique avait ses poètes qui maîtrisaient parfaitement la langue française au même titre que Victor Hugo. Annouchka de Andrade, première admiratrice de Sarah Maldoror, annonce un film d’hommage sur sa mère que va réaliser la réalisatrice d’origine sénégalaise, Alice Diop.
Aps