Sahel : pourquoi l’idéologie compte dans la lutte contre le terrorisme

En répétant comme un mantra le fameux triptyque « sécurité-gouvernance-développement », les autorités des pays confrontés au terrorisme occultent à tort les motivations religieuses du jihad.

Prétendre que les motivations du jihad en Afrique de l’Ouest ne sont pas religieuses revient à se voiler la face. Le Sahel occupe en fait une place de choix dans le projet de réislamisation financé par les oligarchies pieuses du Golfe. Les acteurs de la « radicalisation » se sont certes épanouis grâce aux défaillances locales – qui font rimer démocratie avec corruption et inégalités –, mais aussi à la faveur de quarante années de financements extérieurs destinés à construire des mosquées, financer des centres d’éducation et des bourses d’études.

Face à l’islamisme armé au Sahel, les réponses nationales et internationales, elles aussi armées, négligent un enjeu majeur : le succès de cette idéologie dans les sociétés. Après une série d’entretiens avec des agents des forces de l’ordre, imams, fonctionnaires, journalistes et quatre présumés jihadistes, réalisés au Burkina Faso, au Mali et en Côte d’Ivoire en janvier 2022, plusieurs constats s’imposent.

Influences extérieures
D’abord, le Sahel est ouvert à toutes les influences, parmi lesquelles le narratif révolutionnaire qui émerge en 1989 après la défaite soviétique en Afghanistan. La victoire d’une poignée de moudjahidines sur une armée redoutée renvoie à l’image de l’opprimé qui relève la tête et triomphe.

En outre, depuis les années 1970, nombre d’imams et d’enseignants sous influence du wahhabisme, mouvement fondamentaliste de réforme de l’islam sunnite, étudient en Arabie Saoudite, au Koweït et en Égypte. Ils sont auréolés à leur retour du prestige de leur immersion à la source du savoir et de la légitimité qu’est le monde arabe. Les fournées suivantes écument les mahadhra de Mauritanie, les medersa et instituts du nord du Nigeria et autres universités du Soudan.

Des formes de sous-traitance locale du wahhabisme pullulent, s’accompagnent d’œuvres de charité et de volontaires, considérés comme respectables. Tout un vivier de transmission du puritanisme religieux prospère, grâce au concours d’institutions telle la Ligue islamique mondiale (LIM) ou la fondation koweitienne Jemaah Islamiyah.

Les valeurs sont importées, mais bien reçues par des groupes en déshérence politique, peu instruits et surtout sous l’emprise de la misère. Les masses en mal d’espérance aiment le salut mystérieux et le miracle. Aussi, la délégation de leurs attentes de parias à une entité tutélaire qui les élève ici-bas, ennoblit et sauve post-mortem, constitue-t-elle le vrai succès de l’islamisme.

Embrigadement local
Second point, largement méconnu : l’Université islamique de Say, au Niger, ouvre en 1986 sur décision des pays membres de l’Organisation de la coopération islamique (OCI), tandis que l’institut Ibn-Abbas de Nouakchott, en Mauritanie, va lui aussi former quelques futurs cadres de Boko Haram, envoyés par leurs familles apprendre l’Islam « authentique ».

Le terreau de la doctrine salafiste, qui se propage au Moyen-Orient et en Afrique du Nord dans les années 1990, est fin prêt. L’usage récurrent de l’expression « État de Kofr » (« mécréant »), occidentalisé et insensible aux intérêts des populations, imprègne le discours extrémiste dans les mosquées, sur les groupes de discussion électronique, diffusé sur clés USB ou autres cartes mémoire.

La fabrique de la haine du citoyen envers l’État est en marche. Le Haut conseil islamique (HCI) au Mali devient ainsi, sous la direction de Mahmoud Dicko, un contre-pouvoir et un piège permanent pour l’État qui l’a créé. Les slogans présentant un monde en perpétuelle belligérance s’entendent maintenant, à voix haute à travers l’Afrique subsaharienne, plus qu’au nord du continent.

La violence islamiste relève d’une croyance
En l’absence de stratégies prenant en compte l’idéologie, l’Afrique de l’Ouest s’achemine vers la coagulation d’entités terroristes recrutant parmi les civils. Boko Haram, l’État islamique au grand Sahara (EIGS) et le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM) témoignent d’une tendance lourde à la reproduction de mots d’ordre, de certitudes et de prédispositions à la violence, d’abord au sein des instances religieuses d’enseignement et de pratique, bien avant la constitution en bande armée.

Faute d’analystes arabisants au sein des instances de sécurité, de la presse et du monde universitaire, l’enjeu idéologique passe après les urgences de police. Sans personnel compétent, les structures de contrôle de l’enseignement confessionnel ne peuvent évaluer le contenu des manuels scolaires offerts par des lobbies transnationaux. Ostensiblement, la plupart des gouvernements de la région et nombre d’experts, en Europe et sur le continent, éludent ou ignorent que la violence islamiste en Afrique, même quand elle se greffe sur des contradictions économiques, procède d’une conviction, d’une foi éprouvée, et non d’une prééminence du crime organisé. Autrement dit, des gens tuent et se font tuer pour complaire à Dieu et obtenir le salut éternel.

Effet de paravent
L’insurrection terroriste au Sahel est certes alimentée par les frustrations liées à la faible gouvernance. L’incompétence et la pénurie de prospective chez les gouvernants empêchent de prendre la mesure réelle des ressorts non militaires du péril. Le fameux nexus « sécurité-gouvernance-développement », répété comme un mantra dans les forums, opère un effet de paravent et retarde une riposte sur le terrain de l’idéologie, le sujet qui embarrasse.

À force de sacrifier à la susceptibilité de certains musulmans, qui ne peuvent admettre qu’on puisse commettre des crimes au nom de l’islam, la lutte anti-jihadiste en élude les causes profondes et se concentre sur des conséquences. Au final, le concours décisif des croyants à la riposte manque, accentuant l’inefficacité relative de la contre-offensive.

jeuneafrique

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