La biodiversité des sols, ce « monde caché » sous nos pieds, évaluée à l’échelle mondiale pour mieux la protéger

Insectes, vers de terre, champignons… Les sols renferment une biodiversité méconnue. Une étude publiée dans la revue Nature dresse un panorama des « hotspots » de la biodiversité des sols dans le monde, dont la moitié seulement bénéficie d’une protection.

Pour découvrir un monde caché, il suffit parfois… de creuser. Sous nos pieds, en forêt ou dans les prairies, une myriade d’êtres vivants – arthropodes (insectes, collemboles, mille-pattes, araignées…), nématodes et annélides (vers de terre), mais aussi champignons microscopiques et bactéries – œuvrent silencieusement et dans l’obscurité au recyclage des nutriments.

Cette discrète vie souterraine constitue la clé de voûte des écosystèmes terrestres – et celle de la survie de l’humanité, comme l’ont souligné les experts de la Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) – l’équivalent de ce qu’est le GIEC pour le climat – dans leur premier rapport sur la dégradation et la restauration des terres (mars 2018).

Alors que la plupart des aliments que nous consommons dépendent de la fertilité des sols, la biodiversité souterraine est menacée par le réchauffement climatique, la destruction des habitats naturels, la pollution, ou encore l’usage de pesticides.

10.000 observations d’insectes, de vers de terre et de microbes du sol à travers le monde
Une équipe de chercheurs allemands et espagnols a donc cherché à repérer les « hotspots » (points chauds) de la biodiversité du sol sur la planète, afin de déterminer à quels endroits il serait le plus nécessaire de concentrer les efforts de protection.

Pour ce faire, les scientifiques ont mené une enquête de terrain comprenant plus de 10.000 observations d’insectes, de vers de terre et de microbes à travers le monde, recueillant également 615 échantillons de terre.

A partir de ces données, ils ont pu évaluer différents aspects de la biodiversité des sols – notamment la richesse locale en espèces et le caractère plus ou moins unique de la composition en espèces par rapport aux alentours – ainsi que les « services écosystémiques » fournis par ces sols, tels que le stockage du carbone ou la régulation des flux d’eau.

Leurs résultats, publiés dans la revue scientifique Nature (10/2022), montrent que ces paramètres – nombre d’espèces, composition unique et services écosystémiques – atteignent leur maximum à des endroits différents. Ainsi, les écosystèmes tempérés présentent une plus grande richesse en espèces, tandis que les milieux tropicaux et arides, eux, abritent les communautés d’organismes les plus uniques.

Concrètement, « lorsque vous creusez dans un sol européen, par exemple dans une forêt, vous trouvez de nombreuses espèces différentes en un seul endroit. Mais si vous vous rendez dans une forêt située quelques kilomètres plus loin, vous trouverez des espèces similaires. Ce qui n’est pas le cas dans les tropiques, où il suffit de se déplacer de quelques kilomètres pour trouver des communautés d’organismes complètement différentes », explique le Dr Carlos Guerra, chercheur au centre allemand de recherche intégrative sur la biodiversité (iDiv), auteur principal de l’étude, dans un communiqué.

Où concentrer les efforts de protection pour préserver la biodiversité des sols ?
Quant aux services écosystémiques fournis par les sols et dont bénéficie largement l’humanité, ils culminent en revanche dans les régions froides des hautes latitudes, selon l’étude. Mais alors, quelles zones choisir pour focaliser les efforts de protection ?

« C’est beaucoup plus difficile que pour les plantes et les mammifères, où l’on observe généralement une meilleure correspondance spatiale des différentes dimensions (richesse en espèces, caractère unique, et services écosystémiques, NDLR) », reconnaît Carlos Guerra.

Néanmoins, les auteurs de l’étude dressent un panorama des points chauds de la biodiversité du sol, situés principalement dans les tropiques, en Amérique du Nord, en Europe du Nord et en Asie. Or, la moitié de ces « hotspots » ne bénéficient d’aucune forme de protection.

« Les zones protégées ont été sélectionnées principalement pour la conservation des plantes, des oiseaux ou des mammifères. Nous devons (désormais) inclure les sols, leur biodiversité et leurs services dans notre perspective », prône le Dr Manuel Delgado-Baquerizo, de l’Institut des ressources naturelles et d’agrobiologie de Séville (Espagne), qui a supervisé les recherches.

Les chercheurs espèrent que leurs travaux seront pris en compte au moment des négociations lors de la COP15 Biodiversité en décembre prochain au Canada, qui auront pour objectif de définir le nouveau « cadre mondial de la biodiversité » à l’horizon 2030.

afp

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