Sahel : entre Iyad ag Ghali et Abu al-Bara al-Sahraoui, la guerre des (chefs) jihadistes

Ils ont un temps cohabité, parfois même coopéré. Mais depuis le début de l’année 2020, les combattants des deux principales nébuleuses jihadistes qui sévissent dans le Sahel se livrent une sanglante lutte de territoire et d’influence. D’un côté, le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM, ou JNIM, selon l’acronyme arabe), dirigé par le Touareg malien Iyad ag Ghali. De l’autre, l’État islamique au Grand Sahara (EIGS), dont Abu al-Bara al-Sahraoui a pris la tête après la « neutralisation », en 2021, de son chef historique Abou Walid al-Sahraoui.

Alors que les premiers sont les légataires des mouvements jihadistes qui, en 2012, avaient fondu sur le septentrion malien, prenant le contrôle d’une partie du territoire et des grandes villes – avant d’en être un temps délogés par les soldats de l’opération française Serval -, les seconds ont adopté la bannière noir et blanc de l’État islamique en mai 2015, lors de la création de la branche sahélienne du Califat par Al-Sahraoui. Le groupe obtiendra le statut de « Province » de l’État islamique en mars 2019.

Depuis, l’hostilité entre les deux camps n’a eu de cesse de croître et les rangs de l’EIGS se sont étoffés, notamment grâce aux nombreuses défections au sein du GSIM, estimées à plusieurs milliers selon des enregistrements attribués à des membres du groupe. En parallèle, le niveau de violence dans la région a connu une augmentation exponentielle, tout en se propageant chaque jour un peu plus. Initialement concentrée au nord du Mali, la spirale jihadiste s’est peu à peu étendue à travers le pays, avant de toucher le Burkina Faso et le Niger. Conséquence d’une volonté d’expansion vers les pays côtiers du Golfe de Guinée partagée par l’EIGS et le GSIM, elle métastase désormais vers le sud, aux frontières du Togo et du Bénin.

Guerre ouverte
« L’année 2020 a marqué la démarcation claire entre les deux groupes, bien que certaines tensions soient plus anciennes. Depuis, l’EIGS tente de s’étendre et de consolider aussi sa zone d’influence dans le Liptako Gourma. Mais le GSIM reste le groupe dominant dans toute la sous-région », résume Héni Nsaibia, chercheur au sein de l’Armed Conflict Location and Event Data Project (Acled). Cette guerre ouverte, héritée de la rivalité entre les deux organisations à l’échelle internationale, fait notamment rage dans le centre du Mali et, surtout, dans la zone dite « des trois frontières », qui sépare le pays du Burkina Faso et du Niger

Devenu le principal théâtre de cette rivalité meurtrière, le Liptako Gourma ne compte plus les épisodes d’affrontement qui ont ensanglanté son sol. « D’Intillit à Tessit et de Ménaka à Gao se dessinent des lignes de front sur lesquelles on constate des va-et-vient, des escarmouches et des affrontements ciblés en permanence. Mais ce sont toujours des affrontements très localisés et pas une bataille rangée », détaille Héni Nsaibia.

Quel est l’état des forces ? Si les effectifs dans les deux camps sont difficilement quantifiables avec précision, le GSIM conserve, malgré les défections, l’avantage du nombre. Selon des spécialistes du jihadisme au Sahel, Iyad ag Ghali serait suivi par quelque 5 000 combattants, contre moins de la moitié pour l’EIGS. Reste que les deux organisations recrutent massivement au sein des populations locales, exploitant pêle-mêle les déficits de services sociaux et de perspectives économiques engendrés par l’absence de l’État dans certaines zones enclavées, tout en attisant et instrumentalisant les tensions intercommunautaires.

Massacres de masse
Mais si les objectifs se ressemblent, les stratégies, elles, divergent. Considéré comme plus « pragmatique », le GSIM demeure l’organisation la mieux implantée. « Non seulement le GSIM reste le groupe dominant dans la sous-région, mais il est aussi le plus actif, et de loin. On considère que 80 % de l’activité jihadiste au Mali et au Burkina Faso est imputable au GSIM. L’EIGS, lui, mène des opérations plus “spectaculaires”, en ce sens qu’elles sont plus violentes », décrype Héni Nsaibia.

L’EIGS, considéré comme plus « fondamentaliste », est connu pour ses attaques qui ciblent civils et combattants armés sans distinction. Le groupe dirigé par Abu al-Bara al-Sahraoui est tenu pour responsable de nombreux massacres de masse commis dans sa zone d’action. Dans le cercle d’Ansongo, au Mali, en août 2021, une série d’attaques avait ainsi fait au moins une cinquantaine de victimes civiles. Depuis le mois de mars, la région de Ménaka, à proximité des frontières burkinabè et nigérienne, est en proie à des raids menés par les soldats du califat sur les populations civiles, et les combattants de groupes armés signataires de l’Accord d’Alger. Selon de nombreuses sources sécuritaires locales et internationales, la région est le prochain théâtre de l’affrontement entre l’EIGS et le GSIM. Ces derniers se préparant à prendre les armes dans un vaste « front », aux côtés du Mouvement pour le salut de l’Azawad (MSA) et du Groupe autodéfense touareg imghad et alliés (Gatia), dont l’objectif est de contrer l’avancée des hommes de l’État islamique au Grand Sahara.

Le GSIM, plus prompt à se présenter comme une faction « protectrice des populations » et qui cultive une image d’organisation pourvoyeuse de services sociaux de base là où l’État est absent, est pourtant très loin d’être exempt de violences contre les civils. En juin 2021, ce sont des hommes soupçonnés d’être affiliés au GSIM qui ont commis le massacre de Solhan, un village du nord-est du Burkina Faso où 130 à 160 personnes ont été tuées, selon les sources. En outre, le groupe d’Iyad ag Ghali soumet plusieurs localités à des blocus, de part et d’autres des trois frontières. Le GSIM serait responsable de 53 % des morts liées à des attaques jihadistes, contre 42 % pour l’EIGS (l’origine de 5 % des décès reste indéterminée), selon l’ONG Acled.

Si les pertes essuyées par les groupes armés terroristes dans le cadre de leurs affrontements, ne sont pas connues, le fait que les populations sahéliennes sont les premières victimes de ces violences est une certitude. Massacres communautaires ou opérations de représailles : pris entre deux feux, les civils soupçonnés par les uns de soutenir les autres, sont régulièrement pris pour cible, victimes collatérale de la lutte hégémonique des deux nébuleuses jihadistes.

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