Congo : Wiflfried N’Sondé et ses amours planctoniques

Invité à bord de la goélette Tara, l’auteur congolais raconte son expérience à travers une fiction poétique, tandis qu’une dizaine d’artistes exposent à Dakar les œuvres inspirées par leurs résidences sur le voilier de recherche océanographique.

Après 22 mois de navigation et de prélèvements scientifiques à travers les océans du globe, la goélette française Tara a retrouvé son port d’attache, Lorient, en Bretagne. S’achève ainsi la mission Microbiomes qui lui aura permis d’entamer l’étude de trois des principales zones mondiales d’upwelling : le courant de Humboldt au large du Chili, le Benguela au large de l’Afrique du Sud et l’upwelling du Sénégal.

Les échantillons collectés au cours de ce voyage de 40 000 miles nautiques vont désormais pouvoir être analysés dans des laboratoires spécialisés afin, essentiellement, de mesurer les conséquences du réchauffement climatique et de la pollution plastique.

Résidences artistiques
Mais au-delà de cette mission purement scientifique, la Fondation Tara Océan – créée en 2003 par Agnès Troublé (dite Agnès b.) et Étienne Bourgois – s’est aussi donné pour objectif d’alerter le plus grand nombre sur la nécessité de protéger les océans, régulateurs du climat et fournisseurs d’oxygène.

Lors de ses escales, la goélette accueille ainsi à son bord scientifiques locaux, étudiants, collégiens ou simples curieux pour évoquer le destin du plancton, la pollution plastique, et tenter de mobiliser les futurs décideurs. Tara propose aussi, entre certaines escales, des résidences de plusieurs semaines à son bord : des artistes y sont accueillis pour partager la vie des 13 membres d’équipages et produire une œuvre en lien avec cette expérience.

Abysses et amours planctoniques
L’écrivain congolais Wilfried N’Sondé, auteur du Cœur des enfants léopards (2007) et de Femme du ciel et des tempêtes (2021) a pour sa part pu embarquer sur Tara au large des côtes chiliennes, lors de cette mission qui s’achève. C’est cette expérience qui lui a inspiré Héliosphéra, fille des Abysses. D’amour et de plancton, un roman qui vient de paraître aux éditions Actes Sud. Un roman, si l’on veut, mais plutôt un objet littéraire non identifié, entre essai, reportage et poésie.

L’auteur, depuis longtemps attentif à l’environnement, y raconte l’expérience d’une jeune scientifique, Ollanta Suarez, à bord de Tara le long de la côte sud du Chili. Il narre aussi le destin d’un ballon en plastique percé et abandonné aux eaux limpides de la Clarée dans la vallée de Névache, qui en se dégradant va répandre dans la nature les produits toxiques utilisés pour le fabriquer. Le tout est mis en regard de l’union sous-marine charnelle – la symbiose, pour employer un terme moins poétique – entre deux représentants du plancton : Heliosphera et Xanthelle.

Aux efforts de l’idéaliste et engagée Ollanta s’opposent les forces sombres de la pollution humaine, s’infiltrant dans les moindres recoins de la planète. « Les micro-plastiques se nichèrent aux côtés de la multitude d’êtres qui proliféraient autour de ces lieux d’échange entre le monde minéral du noyau de la planète et l’univers du vivant, écrit ainsi N’Sondé. Les éléments toxiques qu’ils ne cessaient de distiller entrèrent ainsi en contact avec les microbes les plus anciens et avec des éléments fondamentaux qui avaient favorisé l’éclosion de la vie trois milliards d’années plus tôt. […] Dans ce refuge naturel où aucune femme, aucun homme ne poserait jamais le pied, s’invitaient les déchets ménagers de leur société de consommation et les dérivés nocifs de leurs usines pétrochimiques. »

Coopération pacifique
En dépit de ces lignes nourries d’inquiétudes environnementales, Héliosphera, fille des abysses n’est pas un texte plombant ou culpabilisant, c’est avant tout un éloge enlevé du vivant. Qui s’achève sur une note d’espoir : et si la symbiose du phytoplancton et du zooplancton était une leçon d’amour universelle ?

« Portées par cette dynamique bénéfique à tous, Héliosphéra et Xanthelle contribuaient à perpétuer la source de l’énergie à l’origine de la transformation des formes de vie vers des entités nouvelles, toujours plus complexes et mieux adaptées : la coopération pacifique », écrit pour finir le romancier congolais.

Rayon vert
Cette approche positive est proche de celle qui sous-tend l’exposition présentée à l’Institut français du Sénégal, à Dakar, par la commissaire Ken Aicha Sy, depuis l’escale de la goélette en septembre. Sous le titre Tara Océan, Corps noir, absorption et rayonnement, celle-ci rassemble jusqu’au 30 janvier 2023 les œuvres – « récits collectés dans les profondeurs des océans » – de neuf artistes contemporains ayant résidé à bord du voilier.

« Ces récits qui nous alertent nous subjuguent, écrit la commissaire. Ils peuvent être sombre, voire terrifiants. Cependant la poésie et la lumière du coup de crayon nous rassurent et rappellent que même dans l’obscurité il peut y avoir l’espoir d’un rayonnement, d’une vie […]. » Parmi les artistes exposés, l’on retrouve la correspondante de bord de Tara, Maéva Bardy qui documente avec talent les voyages de la goélette, mais aussi le photographe Nicolas Floc’h qui travaille sur les paysages sous-marins, la couleur de l’eau ou les grandes profondeurs dans un contexte de changement globaux. On peut aussi admirer les algaetypes de Leslie Moquin : des tirages photographiques obtenus par contact et dont l’émulsion photosensible est un jus d’algue – en l’occurrence la spiruline – en référence à ce fameux rayon vert que les marins espèrent toujours à l’horizon, quand le soleil se couche…

Héliosphéra, fille des Abysses. D’amour et de plancton, de Wilfried N’Sondé, Actes Sud, 162 pages, 18 euros.

Tara, Océan noir, absorption et rayonnement, exposition à l’Institut Français du Sénégal, 89 rue Joseph Gomis, Dakar. Jusqu’au 30 janvier 2023. Visite guidée par la commissaire d’exposition le 29 octobre.

jeuneafrique

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