Après être passé en début de semaine sous les 100 euros le mégawattheure (MWh), le prix du gaz européen a poursuivi sa baisse mardi retrouvant le niveau affiché en juin dernier. Son prix reste toutefois deux fois plus élevé qu’en début d’année et pénalise lourdement l’industrie du Vieux Continent. Explications.
Le prix du gaz repasse sous la barre symbolique des 100 euros le mégawattheure (MWh), soit trois fois moins cher qu’au pic observé l’été dernier. Un recul continu depuis plusieurs semaines qui se confirme mardi 25 octobre puisque le contrat à terme du TTF néerlandais, un marché pour expéditeurs et acheteurs qui fait office de référence des prix du gaz naturel en Europe, se négociait à 93,50 euros.
« Nous sortons d’une période où les prix étaient à des niveaux que nous n’aurions jamais imaginés, des niveaux principalement liés au conflit ukrainien et au violent rebond économique post-Covid de 2021 », explique Raphaël Trotignon, en charge du pôle Énergie-Climat pour le cabinet Rexecode.
« Les prix du gaz, comme ceux du pétrole, reposent sur un équilibre entre l’offre et la demande. Or, aujourd’hui la demande est faible notamment en raison des températures exceptionnellement douces du mois d’octobre tandis que l’offre est abondante avec des réservoirs pleins, ce qui crée d’ailleurs des problèmes de logistique », détaille le consultant Nicolas Meilhan, ingénieur et spécialiste de l’énergie.
De la peur de manquer au trop-plein de gaz
Après avoir craint une pénurie liée à la guerre énergétique livrée par Vladimir Poutine, les Européens ont aujourd’hui du gaz à ne plus savoir qu’en faire. Au 19 octobre, l’UE avait rempli ses stocks à près de 93 %. Les réservoirs de GNL (gaz liquéfié), dont la demande a explosé à l’approche de l’hiver pour remplacer le gaz russe, sont saturés.
Résultat : des méthaniers doivent faire des ronds dans l’eau en attendant de pouvoir décharger leurs cuves. La semaine dernière, plus de 35 navires étaient en attente sur le pourtour méditerranéen et au large de l’Espagne, pays pourtant le mieux doté en Europe avec six terminaux méthaniers. Une « situation complètement exceptionnelle », ont expliqué à l’agence Reuters des négociants et des opérateurs.
Dans le même temps, les particuliers européens ont peu utilisé leur chauffage depuis le début de l’automne en raison de températures très élevées pour la saison. En France, le mois d’octobre 2022 pourrait même devenir le plus chaud jamais enregistré.
La baisse de la consommation de gaz est particulièrement frappante en Allemagne puisqu’elle a chuté de 21 % sur les trois derniers mois par rapport à la même période de 2019.
Une activité industrielle en berne
En revanche, inutile d’espérer une baisse de sa facture d’énergie le mois prochain. Les ménages européens bénéficient de boucliers tarifaires et payent déjà le gaz bien moins cher que son prix réel. Quant aux entreprises, elles signent des accords à long terme. Seuls les groupes qui renégocient en ce moment leurs contrats pourraient donc éventuellement profiter de cette conjoncture.
Si la baisse du tarif du gaz peut apparaître comme une bonne nouvelle pour les Vingt-sept, son prix reste encore deux fois plus élevé qu’en début d’année et contraint les entreprises à moins produire dans un contexte de ralentissement de l’économie mondiale.
« Les prix élevés du gaz et les consignes de sobriété des gouvernements ont conduit les industriels à moins consommer. Certains ont même été contraints d’arrêter de produire, en particulier les industries qui utilisent beaucoup de gaz », rappelle Nicolas Meilhan. « 50 % de la capacité totale de production d’aluminium a été perdue en Europe et 70 % de la production d’engrais a été arrêtée ou ralentie », affirme l’expert.
En France, Duralex, le célèbre fabricant de verres, a récemment annoncé l’arrêt de son four de production de l’usine de Chapelle-Saint-Mesmin (Loiret) à partir du 1er novembre pour une durée de quatre mois.
« Ce choc sur les prix de l’énergie est assez ciblé sur l’Europe et malheureusement c’est un déficit de compétitivité monstrueux par rapport aux États-Unis » où les prix du gaz sont cinq fois moins élevés, note Raphaël Trotignon.
Un hiver au chaud, et après ?
Cette situation donne en tout cas de l’eau au moulin de l’Allemagne qui s’oppose au plafonnement des prix du gaz souhaité par la France. En effet, pourquoi plafonner les prix au risque de créer un mouvement d’inquiétude auprès des fournisseurs alors que les tarifs sont en train de baisser ?
La question devrait être au cœur de la rencontre prévue mercredi à Paris entre le président français Emmanuel Macron et le chancelier allemand, Olaf Scholz.
Vendredi dernier, les dirigeants européens ont entériné une feuille de route pour réduire les coûts énergétiques, mais trouver des mécanismes qui conviennent à tous les États membres s’annonce difficile.
En attendant, les Vingt-sept se sont mis d’accord sur quelques grands principes : favoriser les achats en commun ou encore « accélérer ses négociations » avec des pays producteurs « fiables » comme la Norvège et les États-Unis.
Même si les prix du gaz ont tendance à chuter ces dernières semaines, ils restent très volatils sur les marchés et alors que le conflit en Ukraine s’installe dans la durée, les approvisionnements ne sont pas garantis à moyen terme.
« Le problème du gaz est encore loin d’être derrière nous », prévient Raphaël Trotignon. « Cette année, nous avons pu remplir nos réservoirs en grande partie grâce au gaz russe avant les interruptions majeures de livraisons. Mais la question se pose plutôt pour les prochains hivers. Sera-t-on capable de reconstituer les stocks en se passant totalement de la Russie ? »
france24