L’avant-projet de loi sur le statut des magistrats va être à nouveau examiné à la demande du président Tebboune, qui souhaite y ajouter certaines dispositions. Censé mieux garantir l’indépendance des juges, ce texte suscite l’inquiétude au sein de la profession.
Manifestation des magistrats contre les immixtions du pouvoir dans les affaires judiciaires, à Alger, le 31 octobre 2019. Algerian judges and prosecutors at a demonstration in the Supreme Court in Algiers, the capital, on October 31, 2019, against what they consider to be an interference by the executive power in the judiciary. – The Algerian courts, including the Supreme Court, are deadlocked: judges and prosecutors launched an indefinite strike on 27 October to demand the independence of the judiciary after a massive reshuffle that affected thousands of people. © Billal Bensalem / NurPhoto/ AFP
« Nous ne demandons pas uniquement la révision de la grille de nos salaires, mais aussi l’application stricte de la loi. Les médias braquent leurs projecteurs sur les cas liés aux libertés et ne parlent pas assez des autres affaires. » Au lendemain de la décision, annoncée ce dimanche 23 octobre, de soumettre l’avant-projet de loi portant sur le statut de la magistrature en deuxième lecture en conseil des ministres, un jeune magistrat s’inquiète. « Le chef de l’État nous a promis de consacrer l’indépendance de la justice. Pour nous, la nouvelle génération, c’est une exigence fondamentale », poursuit-il, espérant que le nouveau statut annoncé « consacre le renforcement des garanties pour le libre exercice du métier ».
Les discussions autour de ces changements de statut durent depuis des mois, avec leur lot de polémiques. Fin février 2022, Issaad Mabrouk, qui dirigeait alors le Syndicat national des magistrats (SNM), avait déjà protesté contre un texte qui, à ses yeux, ne prenait pas suffisamment en compte les propositions formulées lors des travaux des commissions mixtes par les magistrats dans le but d’assurer l’indépendance de la justice.
Oudache Laïdi succède à Issaad Mabrouk
Le 19 septembre, Issaad Mabrouk a finalement démissionné de son poste, sans évoquer les raisons de sa décision. Depuis le 22 octobre, c’est Oudache Laïdi qui a pris la tête du SNM. Ce natif d’El-Harrouch, dans la wilaya de Skikda, président du tribunal administratif d’El-Tarf et membre du bureau permanent du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), était vice-président du syndicat depuis mai 2019. Il a également été conseiller auprès du tribunal administratif de Guelma entre 2016 et 2019. Il bénéficie donc d’une longue expérience dans les structures en lien direct avec la gestion de carrière des magistrats et de leurs revendications socioprofessionnelles. C’est à lui qu’il revient maintenant de coordonner la réaction des magistrats au contenu du nouveau statut qui va régir la profession.
Jusqu’à présent, Oudache Laïdi s’est toutefois abstenu de commenter la décision du conseil des ministres d’approfondir l’étude dudit projet de loi. Une décision de renvoi qui semble liée aux mesures énumérées le 23 octobre par le chef de l’État lui-même. Abdelmadjid Tebboune a ainsi ordonné que le nouveau statut prévoit l’amélioration de la condition des magistrats à travers des cycles de formation. Mais aussi la révision de la grille des salaires et la mise à disposition de logements de fonction afin, dit-il, « de les protéger de toute tentation extérieure ». Le président a aussi exigé des rédacteurs du texte de loi que celui-ci privilégie le recours aux tribunaux spécialisés « dans le but de protéger le citoyen et de préserver les intérêts de l’État ».
Renforcement du CSM
Autres changements : le texte propose de confier au CSM la supervision exclusive des nominations et mutations, et évoque les garanties accordées aux juges qui seraient amenés à être traduits en conseil de discipline, dont le droit à la défense, au recours et à l’appel devant le Conseil d’État. Plus largement, le texte prévoit que le juge pourra saisir le CSM chaque fois qu’il estimera qu’il y a atteinte à son indépendance.
Un sujet important car, depuis trois ans, les magistrats algériens sont le feu des critiques pour leur gestion de l’après-Hirak. Les peines de prison infligées aux activistes, militants politiques et journalistes interrogent. Sous couvert d’anonymat, beaucoup de juges affirment souffrir de ces critiques et revendiquent eux aussi leur droit à la liberté de ton, au même titre que tout citoyen. « Où est le mal, du moment qu’un magistrat ne divulgue pas un secret professionnel ? », s’interroge un juge en fonction dans le Sud qui pointe du doigt un conflit de générations au sein même du corps de la magistrature : « Les aînés n’ont pas la même perception de l’obligation de réserve et de la liberté d’expression. »
Nouvelle liste de fautes graves
Parallèlement, l’avant-projet de loi organique introduit aussi une nouvelle liste de fautes graves susceptibles d’entraîner la révocation. Parmi ces fautes, celle qui provoque le plus de réactions négatives au sein de la corporation est la « participation à une action de nature à arrêter ou à entraver l’activité judiciaire ». Certains magistrats craignent qu’une telle disposition ne revienne, dans les faits, à remettre en question le droit de leur syndicat à appeler à des actions de protestation, tels que rassemblements ou arrêts du travail.
Sont également constitutifs de faute pouvant entraîner des sanctions disciplinaires : l’appartenance à un parti politique ou l’exercice d’une activité politique, la fausse déclaration de patrimoine, la non-déclaration de patrimoine après mise en demeure, la violation de l’obligation de réserve et du secret des délibérations.
Dernière inquiétude exprimée par les magistrats : le projet pourrait fixer l’âge de départ à la retraite à 60 ans révolus pour les hommes et à 55 ans pour les femmes. Cela est d’autant plus problématique, expliquent-ils, qu’en raison de leur longue formation, ils débutent leur carrière tardivement. Le texte de loi précise néanmoins que le CSM peut, sur proposition du ministre de la Justice et après consentement du magistrat ou à sa demande, prolonger la période d’activité jusqu’à l’âge de 70 ans pour les magistrats de la Cour suprême et du Conseil d’État, et jusqu’à 65 ans pour les autres catégories.
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