Liban: fin du mandat Aoun, marqué par des turbulences politiques et économiques

Michel Aoun a quitté dimanche le palais présidentiel à la veille de la fin de son mandat de six ans, marqué par un effondrement socio-économique et une série d’accidents tragiques et traumatisants. Avant de partir, le président libanais a pris une dernière décision politique qui risque de plonger le pays dans une crise constitutionnelle.

Affluant de différentes régions libanaises et parfois de l’étranger, des milliers de Libanais se sont massés dès samedi 29 octobre devant le palais de Baabda, au sud-est de Beyrouth, pour faire leurs adieux au président Michel Aoun. Friand des bains de foule, le chef de l’État, 86 ans, s’est mêlé à ses partisans venus lui rendre un dernier hommage.

C’est la première fois dans l’histoire du pays du Cèdre qu’un président a droit à un adieu populaire d’une telle ampleur. La même scène s’était produite lors de son élection six ans plus tôt, alors que le Liban faisait encore partie des pays où il faisait bon vivre.

L’image est d’autant plus surréaliste que le sexennat de Aoun entrera dans les annales comme un mandat marqué par un effondrement généralisé, entraînant l’appauvrissement de 80% de la population, le recul dramatique de la qualité des services publics, la destruction du pouvoir d’achat, la chute vertigineuse de la valeur de la livre libanaise face au dollar… Un pays à genou et un peuple meurtri par la plus grave crise économique de son histoire, qualifiée par la Banque mondiale comme une des pires au monde depuis 150 ans.

Un mandat marqué par des accidents tragiques, comme l’explosion dévastatrice du port de Beyrouth – la troisième plus puissante de l’histoire de l’humanité-, qui a fait 220 morts, 6 500 blessés et détruit une partie de la capitale, le 4 août 2020.

Le mandat de Michel Aoun a malgré tout à son actif des réalisations, comme l’accord sur le tracé de la frontière maritime avec Israël, conclu quelques jours avant la fin du mandat, le 27 octobre, et qui devrait permettre au Liban d’exploiter ses richesses gazières offshore et d’entrer dans le club des pays producteurs d’hydrocarbures.

Autre succès, au début du mandat celui-là, l’éradication, à l’été 2017, du groupe État islamique et du Front al-Nosra (ex-branche d’al-Qaïda en Syrie) de la chaîne montagneuse de l’Anti-Liban, à la frontière libano-syrienne.

Échanges d’accusations sur la responsabilité de la crise
Entre ces deux dates, le pays sera secoué par des turbulences économiques, des crises politiques et un mouvement de contestation inédit dirigé contre la classe politique accusée de corruption. Mais le changement souhaité par une partie des Libanais ne sera pas au rendez-vous et les partis traditionnels reviendront en force au Parlement lors des législatives de mai 2022. Seuls 13 députés se réclamant de la contestation sur les 128 que compte la Chambre parviendront à percer.

Les partisans et les adversaires de Michel Aoun se rejettent la responsabilité de ce qui est advenu au Liban. Les premiers accusent leurs détracteurs coalisés de les avoir empêchés de mener les réformes nécessaires et indispensables, d’avoir mis les obstacles à l’audit juricomptable de la Banque du Liban et des institutions publiques, d’avoir protégé le gouverneur controversé de la Banque centrale Riad Salamé, soupçonné, entre autres, de corruption et de blanchiment.

Les seconds leur renvoient toutes ces accusations et ajoutent que l’alliance entre le Courant patriotique libre (CPL), fondé par Michel Aoun, et le Hezbollah, a porté préjudice aux relations du Liban avec les riches États du Golfe et avec les pays occidentaux.

Ôter toute légitimité à Nagib Mikati
Les responsabilités sont sans doute partagées et les crises qui frappent le Liban ont des racines internes, mais aussi étrangères dans un pays de tout temps traversé par des influences extérieures. Les clivages politiques qui ont marqué le mandat Aoun sont tellement profonds qu’aucun successeur n’a été élu pour lui succéder. Malgré quatre séances tenues depuis le 29 septembre, le Parlement n’est pas parvenu à élire un nouveau président, faute de consensus sur un candidat accepté par les principales forces politiques.

Cette vacance à la tête de l’État est aggravée par le dernier acte politique du chef de l’État. Quelques heures avant de quitter le palais présidentiel, Michel Aoun a signé un décret considérant le gouvernement de Nagib Mikati comme démissionnaire.

Cette mesure n’a pas une grande valeur constitutionnelle, car le cabinet, chargé d’expédier les affaires courantes depuis les élections législatives de mai, est de fait démissionnaire. Le but de la manœuvre est de lui ôter toute légitimité, car Michel Aoun et son camp politique refusent que ce gouvernement hérite des prérogatives du président de la République comme le stipule Constitution en cas de vacance à la fonction suprême.

Risque de chaos constitutionnel
Le Premier ministre sortant a rapidement réagi en adressant dimanche après-midi une lettre au Parlement l’informant que son gouvernement continuera d’exercer ses fonctions d’expédition des affaires courantes, défiant ainsi le dernier acte politique de Michel Aoun.

En croisant le fer autour des prérogatives et de la légitimité des débris du pouvoir exécutif encore présents, Michel Aoun et Nagib Nikati prennent le risque de précipiter le Liban dans un chaos constitutionnel, qui viendra s’ajouter à la crise économique et aux tensions sociales.

Les développements des derniers jours du mandat montrent que Michel Aoun, aujourd’hui âgé de 86 ans, n’a aucune intention de prendre sa retraite politique dans la luxueuse résidence construite à son intention par des hommes d’affaires proches de lui.

Il continuera de se battre afin d’asseoir l’autorité de son gendre et dauphin désigné, Gebran Bassil, pour essayer de lui paver la voie vers la présidence. Mais le chemin est semé d’embûches, surtout que son héritier politique est frappé par des sanctions américaines et s’est fait de nombreux ennemis au sein de la classe politique.

rfi

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